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Avec “1336”, les salariés qui ont fait plier la multinationale Unilever fêtent leurs 10 ans

La coopérative contribue à la relance de la production des plantes aromatiques et médicinales, à l’image du tilleul et bien d’autres, dont elle réalise désormais la cueillette annuelle dans la Drôme provençale.

À Gémenos, dans les Bouches-du-Rhône à quelques dizaines de kilomètres de Marseille, la coopérative Scop Ti (Société Coopérative Provençale de Thés et Infusions) s’affaire à conditionner sachets de thé et infusion en tout genre, commercialisés sous la marque « 1336 ». Un chiffre qui ne doit rien au hasard. 1336, c’est le nombre précis de jours d’une lutte menée par plus d’une centaine de salariés pour s’affranchir du géant Unilever. En 2014, après avoir voulu délocaliser la production de l’usine anciennement appelée Fralib, la multinationale plie aux termes d’un combat juridique intense. Depuis dix ans, le savoir-faire local est sauvegardé au sein de la structure, de façon solidaire et égalitaire.

« L’odyssée des fralibs »

À parcourir l’interface de la boutique en ligne de « 1336 », marque de thés, infusions ou vrac de la coopérative Scop Ti, on croirait presque sentir, à travers l’écran, les doux parfums de tilleul, verveine ou menthe proposés à la vente. Bien loin de se douter que la relaxation promise par les produits est à des années lumières de ce qu’ont pu vivre, quelques années auparavant, les actuels salariés de l’entreprise qui les ont confectionnés.

Pour comprendre, il faut remonter à 2010, au moment où Unilever annonce aux travailleurs sa volonté de fermer Fralib, qu’il détient, pour délocaliser sa production à Bruxelles et en Pologne. À l’époque, l’entreprise commercialise les petits sachets de la marque Éléphant.

Scop-ti portrait – Crédit : Martin Flaux

« On considère que la marque est née ici, à Marseille, il y a plus de 130 ans. La totalité des plantes aromatiques étaient issues du terroir local, comme le tilleul, la verveine, la camomille ou la mélisse, toutes celles qui poussent dans nos régions. L’Éléphant n’était vendu et conditionné qu’en France. Mais dès qu’Unilever, avec la marque Lipton, a mis la main dessus, entre les années 70 et 90, la délocalisation au bout du monde a commencé et les producteurs locaux ont été désengagés », explique Olivier Leberquier, président de la coopérative Scop Ti, pour La Relève et la Peste.

Alors, après l’annonce de 2010, les 182 salariés de Fralib, renommés « Fralibs », débutent leur lutte, d’abord pour leurs emplois, évidemment, mais plus largement pour conserver un savoir-faire et une histoire ancestrale régionale dans leurs locaux. Après plusieurs occupations d’usine, de nombreuses actions en justice mais aussi la création d’un projet alternatif appelé Scop Ti, ils parviennent finalement à gagner la bataille, au bout de 4 ans, contre le géant Unilever.

La coopérative était née, sur le principe d’une SCOP (société coopérative et participative). Les salariés sont aussi associés majoritaires et détiennent au moins 51% du capital social.

Photo prise à Gémenos, dans l’usine de l’ancienne société Fralib, rebaptisée Scop Ti, unité de production de thé, montre des boîtes d’infusions 1336. Les salariés de Scop Ti ont lancé « 1336 », leur propre marque de thés et d’infusions. – Crédit : BERTRAND LANGLOIS / AFP

La solution du sociofinancement

Avec une compensation financière et un rachat des machines pour 1 euro symbolique, 58 des 76 salariés finalement restés en lutte jusqu’aux derniers instants ont alors porté ce projet de coopérative, où 46 y ont été inscrits salariés, avec l’assurance de conserver toutes les compétences en interne. Cependant, contrairement à ce qu’ils avaient espéré, ils ne sont pas parvenus à conserver la marque Éléphant.

Olivier Leberquier ne le cache pas, les premières années ont été particulièrement difficiles, d’un point de vue financier. Repartir de zéro, monter sa marque sans cadres… le premier chiffre d’affaires atteint 1,8 million d’euros, mais le déficit le rattrape presque tout autant. La solution du sociofinancement, soit le financement participatif, s’est alors rapidement imposée.

« Avec l’aide de partenaires, comme d’autres SCOP ou des micro-monnaies notamment, nous avons réussi à tenir et à augmenter, progressivement, notre chiffre d’affaires », ajoute le président à La Relève et la Peste.

Olivier Leberquier – Crédit : Martin Flaux

Celui-ci progresse jusqu’en 2020, avant la crise sanitaire et l’inflation venant mettre un coup d’arrêt à cette remarquable épopée riche cette année-là d’un CA de 4,2 millions d’euros. Malgré cette brèche, Scop Ti enregistre, en 2024, une relance de plus de 40%, avec près de 4,6 millions de chiffre d’affaires espéré.

Pour y parvenir, la coopérative a également dû diversifier son activité en se tournant vers des marques distributeurs afin de pérenniser son modèle économique, expliquant ainsi la marge de progression enregistrée pour 2024. Cette dernière travaille notamment avec la coopérative Éthicable, pour qui elle produit 7 références de la gamme « Paysans d’ici ». Une belle prouesse et un pari réussi à l’occasion de fêter les 10 ans de Scop Ti.

Des matières premières locales

Bien que le thé soit, lui, venu de pays lointains producteurs, la coopérative contribue cependant à la relance de la production des plantes aromatiques et médicinales, à l’image du tilleul et bien d’autres, dont elle réalise désormais la cueillette annuelle dans la Drôme provençale. Le thym, quant à lui, est cultivé à 34 kilomètres de l’usine, à Trets, récolté et séché sur place. L’objectif : se fournir auprès de producteurs les plus locaux possibles et ainsi relocaliser les savoir-faire.

« Aujourd’hui, le parcours d’un thé ou d’une infusion de la marque Éléphant, en comparaison, passe bien souvent par l’Amérique latine, l’Europe de l’Est puis revient par bateau au Port d’Anvers, pour repartir en Allemagne, puis enfin en Pologne pour être conditionné. Au niveau du bilan carbone, cela pose énormément souci », ajoute le président de Scop Ti.

Crédit : Martin Flaux

« Nous espérons aussi que ce que l’on fait depuis dix ans permettra de donner un exemple et, à terme, de relocaliser les productions de plantes aromatiques en France. Aujourd’hui, le tilleul est délaissé des producteurs tout simplement parce qu’il n’y a pas de débouchés pour eux. Il faut donc relancer cette filière. Nous, on essaye de le faire avec nos petits moyens, mais d’autres commencent à le faire aussi », poursuit Olivier Leberquier pour La Relève et la Peste.

Mais le président de la coopérative n’est pas dupe : il est aujourd’hui impossible d’atteindre à nouveau les 450 tonnes de tilleul produites il y a près d’un siècle sur le territoire national, et ce pour plusieurs raisons. 

« Il y a aujourd’hui des réglementations, et heureusement. Notamment le fait que cueillir du tilleul en bord de route, extrêmement chargé en plomb, soit illégal, ce qui permet au client de consommer des produits de bonne qualité. Mais il y a aussi une réglementation du travail, où, fort heureusement, les travailleurs sont maintenant protégés, encadrés. L’idée, c’est de retrouver une production correcte, tout de même bien au-delà de nos 10 ou 15 tonnes actuelles », explique Olivier Leberquier.

En outre, des recherches sont menées sur la façon de cultiver ces plantes afin de les respecter tout en les rentabilisant au maximum. Des plantations de tilleul sous forme d’arbustes, à l’image des théiers, sont par exemple expérimentées, de façon à ce que la taille et la cueillette ne nécessite plus d’être en hauteur pour les travailleurs.

Crédit : Martin Flaux

Source : « Qu’est-ce qu’une Scop ? », Les-Scop.coop

Juliette Boffy

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