Le 27 décembre 2023, Amazon Logistique France, en charge des plus grands entrepôts de la société, a été condamné à payer une amende de 32 millions d’euros par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) « pour avoir mis en place un système de surveillance de l’activité et des performances des salariés excessivement intrusif » par le biais de scanners des entrepôts.
Une surveillance excessive illégale
Selon la CNIL, le recueil des données par des scanners qu’utilisaient les employés des entrepôts pour traiter les colis constitue un « système de suivi de l’activité et des performances excessif conduisant le salarié à devoir potentiellement justifier de chaque pause ou interruption ».
Chaque salarié des entrepôts est muni d’un scanner pour documenter en temps réel les tâches qui lui sont assignées. Les scanners enregistrent les temps d’inactivité supérieurs à 10 minutes, ainsi que le rythme de traitement des colis.
La CNIL juge également « excessif de conserver toutes les données recueillies par le dispositif ainsi que les indicateurs statistiques en découlant, pour tous les salariés et intérimaires, en les conservant durant trente et un jours ».
Trois indicateurs enregistrés par les scanners ont étés jugés illégaux par la CNIL : le « stow machine gun » qui note lorsqu’un article est scanné « trop rapidement » (en moins de 1,25 secondes après avoir scanné un autre article), l’« idle time » qui signale lorsqu’un scanner est inactif pendant plus de 10 minutes, et un dernier qui mesure le temps écoulé « entre le moment où l’employé a badgé à l’entrée du site » et celui où il a scanné son premier colis.
Selon l’instance, ce système conduit les salariés à justifier toute interruption de l’activité de son scanner, même de trois ou quatre minutes, ce qui signifie qu’une pression continue pèse sur eux.
Un combat de longue date contre la surveillance d’Amazon
Dans un communiqué, le groupe a déclaré être en profond désaccord avec les conclusions de la CNIL, qu’il estime incorrectes, et se réserve le droit de faire appel. Il bénéficie de deux mois pour formuler un recours devant l’État.
D’après Amazon : « L’utilisation de systèmes de gestion d’entrepôt est une pratique courante du secteur : ils sont nécessaires pour garantir la sécurité, la qualité et l’efficacité des opérations et pour assurer le suivi des stocks et le traitement des colis dans les délais et conformément aux attentes des clients »
Les indicateurs enregistrés par les scanners concernent plusieurs milliers de salariés. La CNIL a ouvert une procédure en 2019 à la suite d’articles de presse et de plaintes de salariés. L’emploi des scanners, l’excessive surveillance (qui menait parfois à des licenciements) et le rythme très soutenu à appliquer aux entrepôts était déjà souligné.
D’après la CNIL, la filiale française n’a pas suffisamment informé ses employés de la collecte de leurs données via leur scanner, ainsi que sur le système de vidéosurveillance. L’autorité administrative se réserve donc la possibilité de faire de nouveaux contrôles.
Selon l’ouvrage « Comment l’État s’attaque à nos libertés », la dystopie technologique est déjà en marche en France, de la vidéosurveillance à la biométrie. Elles sont déployées pour des buts de premier abord louables, avant d’être normalisées et étendues. Afin d’éviter la banalisation d’une surveillance globale, d’une atteinte à la vie privée et une entrave à la liberté d’expression, la CNIL continue d’exiger un cadre légal.
Les voix, témoignages et mobilisations de citoyennes et citoyens restent essentielles pour défendre les libertés publiques et provoquer le changement, comme le démontrent les plaintes des salariés d’Amazon.
Pour sa décision, la CNIL s’est basée sur les fondements du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Elle est équivalente à 3 % du chiffre d’affaires de l’entreprise française, et constitue ainsi une sanction sans quasi-précédent.