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Accident nucléaire : la France est-elle préparée en cas d’urgence ?

Plus de 2,2 millions de personnes vivent actuellement dans un rayon de 20 kilomètres autour des 19 centrales nucléaires françaises et doivent donc être équipées en pastilles d’iodes.

Avec la guerre en Ukraine, l’invasion de Tchernobyl et Zaporijjia par l’armée russe, la peur du nucléaire refait surface en Europe. Partout, les civils inquiets s’arrachent des pastilles d’iode pour se protéger en cas d’accident. Or la France, malgré son héritage industriel nucléaire, est l’un des pays européens les moins bien lotis en terme de prévention des risques nucléaires. Un décryptage de Léa Garson.

Lors de son allocution du 9 novembre dernier, Emmanuel Macron affirmait que la France allait « pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires » tout en continuant « de développer les énergies renouvelables », des propos qui ont suscité de nombreuses réactions, allant de l’inquiétude à l’approbation. La mise à l’arrêt de 11 réacteurs sur 56 cet hiver, suite à des problèmes techniques (notamment de corrosion), a particulièrement alimenté le débat. 

Le 10 février 2022, durant sa visite du site de General Electric à Belfort, le chef d’État a confirmé la construction de six réacteurs de type EPR 2. Propos qu’il a de nouveau appuyés ce mercredi 2 mars 2022, dans sa prise de parole liée à la guerre menée par la Russie, présentant le développement du secteur nucléaire, comme fer de lance d’une stratégie d’indépendance énergétique (avec les énergies renouvelables) s’opposant tacitement à la dépendance au gaz russe.

Au sein même des mouvements écologistes, le sujet du nucléaire divise. Si les débats sont régulièrement axés sur les questions de souveraineté réelle (importation de l’uranium), d’empreinte carbone ou encore de coût économique, nous allons plutôt aborder ici la gestion des risques nucléaires et la sécurité de la population en cas d’accident.

Un parc nucléaire vieillissant 

Avec ses 18 sites et 56 réacteurs, le parc nucléaire français est le plus important au monde en proportion de sa population, et le deuxième après les États-Unis en nombre de réacteurs (on en compte 98 sur le sol américain). Viennent ensuite la Chine (45 réacteurs), la Russie (39), et le Japon (38).

Conçus à l’origine pour fonctionner au maximum jusqu’à 40 ans, 39 des 56 réacteurs français atteindront les 40 ans d’activités au plus tard en 2025. 

Durant son intervention à Belfort, Emmanuel Macron a confirmé son intention de prolonger leur durée de vie à 50 ans. Si EDF envisage de grands travaux (chiffrés à 55 milliards d’euros selon l’entreprise, et jusqu’à quatre fois plus par Greenpeace), les cuves des réacteurs ne peuvent, par exemple, pas être remplacées. L’IRSN (Institut National de Sûreté Nucléaire) a notamment alerté sur le risque de rupture brutale de cuves au bout de 35 ans d’utilisation

La vétusté des barrages fluviaux, dont dépendent les circuits de refroidissement, est également un paramètre préoccupant, d’autant que les épisodes de précipitations extrêmes – accentués par le réchauffement climatique – sont de plus en plus fréquents et pourraient finir par les faire céder ; ce qui provoquerait, à terme, une fusion des cœurs entraînant l’accident nucléaire (à distinguer d’une explosion atomique). 

Les mouvements souterrains doivent aussi être pris en compte. La centrale de Tricastin (l’une des plus vieilles de France) est construite sur une zone sismique. Son refroidissement dépend d’un canal dérivé du Rhône, dont la digue est conçue pour résister à un séisme de magnitude 5,2 sur l’échelle de Richter.

En 2019, la région a connu un séisme de magnitude 5,4, l’épicentre n’était qu’à 25 kilomètres du site. Des travaux doivent donc être réalisés pour améliorer la résistance de la digue.

Centrale nucléaire de Tricastin – Crédit : x1klima

Les déchets nucléaires

Le transport et le stockage des déchets radioactifs sont également des facteurs de risques d’accident et de contamination radioactive. Ces déchets (dont le rayonnement peut être plus ou moins dangereux) circulent en continu sur les voies ferrés et les routes de France, afin d’être soit entreposés dans des piscines, soit stockés à 500 mètres sous terre pour les plus radioactifs (déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue). 

Même s’ils sont stockés dans des fûts de béton ou d’acier conçus pour résister à des conditions d’accident (chute de 9 mètres, incendie de 800°C pendant 30 minutes, immersion dans l’eau d’une profondeur de 15 mètres pendant 8 heures…), et que leur acheminement suit des protocoles stricts, le risque de fuite radioactive lors d’un accident de transport ne peut être totalement écarté. 

À ce titre, les itinéraires de convois des matières les plus “à risque” ne peuvent pas être rendus publics, afin d’éviter tout acte de terrorisme. De plus, l’étanchéité des trains n’est pas totale, leur stationnement fréquent en gare de voyageurs (notamment celle de Lyon Part-Dieu) expose la population à des radiations non consenties.

Les structures dans lesquelles les déchets sont ensuite entreposés doivent assurer une ventilation et une régulation de la température constantes, afin d’éviter la surchauffe. Une panne pourrait causer un incendie, tout comme un incident externe (séisme, attentat, intempérie…) pourrait entraîner une altération des équipements et provoquer une contamination radioactive, dont les conséquences seraient potentiellement plus graves que celles de Tchernobyl.

Par ailleurs, le 12 octobre 2021, l’association Greenpeace publiait un rapport dénonçant l’envoi d’uranium de retraitement français vers la Russie (qui possèderait l’une des seules usines pouvant l’utiliser). Cette matière radioactive issue de la production d’énergie nucléaire serait alors convertie, enrichie et réutilisée à la place de l’uranium naturel afin de fabriquer du combustible nucléaire pour les réacteurs russes.

Mais d’après Greenpeace, l’uranium de retraitement serait inutile pour la Russie, qui le stockerait simplement dans son usine « pour une durée illimitée ». Grâce à cet arrangement, l’uranium de retraitement n’est pas comptabilisé comme déchet. Le Parlement Européen a demandé aux Etats membres de mettre un terme à toute collaboration avec Rosatom, mais pour l’instant l’attentisme prévaut.

Selon Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), « un accident nucléaire est toujours possible et ceux qui prétendraient le contraire prennent une grande responsabilité », propos qu’il exprimait en conférence de presse de rentrée, le 19 janvier 2022. Appelant à la vigilance et au réalisme, il ajoutait « cela suppose de l’anticipation ».

Les comprimés d’iode stable

Pour répondre aux risques d’accidents nucléaires sur son territoire, le gouvernement français propose aux citoyen.ne.s qui vivent ou travaillent à proximité d’une centrale nucléaire de se constituer un « kit d’urgence » contenant des comprimés d’iode stable. Des exercices de mise en situation sont également organisés sur le territoire, en guise d’entraînement. Ces mesures sont-elles suffisantes ?

En cas d’accident, comme ceux de Fukushima et Tchernobyl, de l’iode radioactif peut être absorbé par inhalation, par l’eau ou encore l’alimentation et causer des troubles graves de la thyroïde. C’est pourquoi les gouvernements ayant recours à l’énergie nucléaire ont fait fabriquer des comprimés qui visent à saturer la thyroïde en iode stable, afin d’empêcher l’absorption d’iode radioactif.

Conservables 10 ans (5 auparavant), ces comprimés ne doivent être pris que sur ordre du préfet.

Depuis 1997, les pouvoirs publics (services de l’État et EDF, propriétaire des centrales nucléaires) organisent des campagnes de distribution de comprimés d’iode, contenant 65 ou 130 milligrammes d’iodure de potassium, quantités qui correspondent respectivement à la posologie d’une prise pour un enfant (65 mg) et de celle pour un adulte (135 mg).

Le périmètre concerné par ces campagnes, initialement défini à un rayon de 10 kilomètres, a été étendu en 2016 à 20 kilomètres. Plus de 2,2 millions de personnes vivent actuellement dans un rayon de 20 kilomètres autour des 19 centrales nucléaires françaises et doivent donc être équipées en pastilles d’iodes.  

Carte du parc des réacteurs EDF en exploitation – Crédit : IRSN

Des mesures à l’efficacité limitée

Au total, sept campagnes ont été mises en place depuis leur création : en 1997, 2000, 2005, 2009, 2016/2017, 2019/2020 et la plus récente en février 2021. 

D’après une enquête menée par l’ANCCLI (Association nationale des comités et commissions locales d’information, qui assure la communication avec les riverains des centrales nucléaires), la dernière campagne a été un véritable fiasco

Et pour cause : chaque foyer devait recevoir un document par courrier permettant d’aller récupérer l’iode en pharmacie, mais depuis la loi RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), EDF n’a plus le droit d’utiliser son fichier de coordonnées clients, il doit racheter des fichiers commerciaux à des grandes entreprises (fabricants d’automobiles, grandes surfaces). 

Ces listings n’étant pas à jour (changements de propriétaires, décès, nouvelles constructions…), presque les trois quarts des personnes concernées n’ont pas reçu les papiers pour aller retirer leur boîte.

Une campagne qui a coûté 5 millions d’euros pour un taux de réussite de 27%, selon Jean-Claude Delalonde, président de l’ANCCLI et ancien conseiller départemental du Nord.

“Qu’en est-il des touristes et des personnes de passage dans les zones en question ? Si vous n’habitez pas près d’une centrale, mais que vous partez en vacances à Gravelines cet été, vous n’êtes pas équipé en comprimés d’iode censés vous protéger d’une partie des rayonnements en cas d’accident. Si vous passez devant une centrale en train, non plus.” s’inquiète notre interlocuteur concerné depuis plus de vingt ans par ces questions, en tant qu’ancien président de la CLI (commission locale d’information) de Gravelines, présent à la création de l’ANCCLI en 2005, avant d’en prendre la présidence et d’être réélu jusqu’en 2023.

En Belgique et au Luxembourg, ces pastilles sont disponibles en libre service. En France, c’est plus complexe : leur vente n’est pas soumise à ordonnance, mais les stocks sont loin des pharmacies, réquisitionnés par l’État.

Le président de l’ANCCLI nous partage ses questionnements : « Depuis l’âge de 50 ans, je reçois des courriers m’informant que je dois réaliser des coloscopies tous les 5 ans. Pourquoi ne pourrais-je pas recevoir un papier m’indiquant d’aller chercher une boîte de comprimés d’iode ? Nous avons le pays le plus nucléarisé (compte tenu de sa population) et le moins organisé pour distribuer des comprimés d’iode ».

Réapprendre la culture du risque

Contrairement à celle des États-Unis, habituée aux ouragans et autres événements extrêmes, la population française n’est que très peu sensibilisée à la prévention des risques naturels ou techniques. Si dans la culture américaine il est courant d’avoir son kit d’urgence rangé dans un sac de sport à la maison ou dans le coffre de la voiture, en France, ce n’est pas rentré dans les mœurs. 

Il y a bien une page sur le site internet du gouvernement français invitant à préparer son kit d’urgence, mais l’État ne communique que très peu dessus, fruit d’une politique paternaliste qui laisse sa population en dehors de ces considérations.

On pourrait également s’intéresser aux exercices d’entraînement à l’évacuation : s’ils sont réalisés tous les trois ans dans chaque centrale nucléaire, il n’y a jamais eu d’essai d’évacuation des villes.

Pour Jean-Claude Delalonde, se pose un problème de priorité : ”sous prétexte qu’il est compliqué de faire évacuer une ville, on n’habitue pas les habitants à savoir quoi faire”.

Pour pallier à ce manque, Barbara Pompili, la ministre de la transition écologique, annonçait en décembre 2020 un projet de moderniser la culture du risque dans notre pays. Avec l’intensité et la fréquence croissantes des catastrophes naturelles – du fait de la crise écologique et climatique – , ou encore le vieillissement de certaines infrastructures, on comprend bien cette nécessité. 

Lire aussi : La France est le pays d’Europe le plus menacé par la crise climatique

La ministre a chargé Fred Courant (l’un des deux animateurs de la célèbre émission C’est pas Sorcier) de présider cette mission portant sur « la transparence, l’information et la participation de tous à la gestion des risques majeurs, technologiques ou naturels ».

Avec son équipe, il a présenté plusieurs propositions à l’occasion du Forum de la Résilience qui s’est tenu en octobre 2021 à Rouen (où l’on se souvient de l’incident Lubrizol). En octobre 2022, sera organisée la première journée de la résilience, afin de poursuivre cette campagne de communication. 

En attendant une préparation aux risques nucléaires plus accrue, les riverains des centrales nucléaires (dans le rayon des 20 kilomètres) n’ayant pas été équipés en comprimés d’iode, peuvent se rendre en pharmacie avec leur justificatif de domicile ou leur contrat de travail. La liste des pharmacies partenaires de la distribution est disponible ici

Il est aussi, entre autres, recommandé d’avoir d’avoir du scotch pour calfeutrer les fenêtres, un stock de packs d’eau et de vivres, et de se rapprocher de la mairie de sa commune. On peut notamment y consulter le DICRIM (document d’information communal sur les risques majeurs), qui devrait être connu de tou.te.s. 

Si la préparation aux situations d’urgence peut-être associée à une conduite survivaliste, elle revêt aussi une dimension d’acte citoyen : être apte à réagir de façon autonome permet de soulager le collectif et de réduire les risques non seulement pour soi-même, mais aussi pour les autres.

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