Ce weekend, une grande mobilisation a eu lieu pour protester contre l’autoroute A69. Près de 10 000 personnes ont défilé le samedi. Le dimanche, alors qu’une conférence scientifique était en cours à proximité d’une nouvelle ZAD, celle-ci a été prise d’assaut par les forces de l’ordre qui n’ont pas laissé le temps aux familles de partir. Bilan : une trentaine de blessés et neuf personnes interpellées.
Un déferlement de violence
Après une grande journée de mobilisation réussie le samedi, les citoyens en faveur d’une alternative au projet de l’A69 sont partis se coucher dans le campement général, situé sur un terrain privé prêté par un agriculteur du coin.
Vers 4h du matin, un hélicoptère de la gendarmerie avec un projecteur « est passé très très bas au-dessus du campement », réveillant tout le monde dans la panique, de crainte que l’évacuation de la ZAD créée dans vieux corps de ferme à l’abandon la veille commence de nuit. L’engin est ensuite parti, laissant les campeurs stressés et déroutés.
« Vers 6h du matin, nouvelle alerte : des policiers ont été repérés en train de se placer autour de la ZAD, ainsi que des camions autour du campement. Dès 7h du matin, au lever de la lumière, tout le monde était dans la « Cremzad » pour fabriquer des barricades. Certaines personnes ont commencé à prendre peur et à partir, croisant des dizaines de camions sur leur chemin » explique Jibon, l’un des écureuils du GNSA qui est resté plus de 30 jours en haut d’un platane, pour La Relève et La Peste
Le matin, un tweet de Darmanin disant qu’ « aujourd’hui il n’y aurait pas de ZAD » et l’arrivée des équipes de TF1, BFM et CNews ont confirmé leurs craintes. D’un commun accord, les organisateurs ont quand même décidé de maintenir les tables-rondes et conférences prévues dans la journée, telles qu’elles avaient été déclarées et validées et par la préfecture du Tarn, espérant que l’expulsion de la cremzad commence en fin de journée quand les familles seraient parties.
Parmi les opposants au projet de l’autoroute A69, la communauté scientifique est particulièrement inquiète, comme 200 d’entre eux l’ont exprimé dans une lettre publiée au mois de septembre. Aux environs de 12h30, une conférence de l’Atécopol (un collectif scientifique local) a ainsi débuté sur le terrain privé qui jouxtait le corps de ferme qui avait été investi par les manifestants la veille.
« Quelques minutes après le début de la conférence, alors que les scientifiques étaient en train de rappeler l’inadéquation de ce projet face aux trajectoires nécessaires pour respecter l’Accord de Paris, et d’expliciter leur positionnement critique face aux pratiques de compensation écologique sous le bruit croissant d’un hélicoptère de la gendarmerie, les forces de l’ordre ont décidé de donner l’assaut » racontent les scientifiques de l’Atécopol.
Les sommations ont été dites « en moins de 30s », selon les témoins présents sur place, la charge a été très rapide.
« Il y avait plein de sortes de profils dont des parents avec des enfants en bas âge et des bébés, ils ont commencé par lancer une grenade de désencerclement. Thomas Brail était juste devant eux et leur a demandé de ne pas utiliser la force car c’était un moment calme et familial. Il a été poussé et a reçu des coups de matraque de tous les côtés, une énorme contusion au poignet, un coup de matraque au niveau de la jambe droite juste au-dessus du genou, sa batterie externe de téléphone a été complètement explosée par le coup » raconte Olivier, le référent du groupe local GNSA à Lavaur, pour La Relève et La Peste
Malgré ses demandes répétées pour discuter avec un responsable, Thomas Brail n’a reçu que des coups et du gaz, son œil a un voile aujourd’hui et il est en ITT pour plusieurs jours à cause de ses blessures. Son véhicule professionnel a également été dégradé par les forces de l’ordre pendant la manifestation.
« N’envoyez pas la force, s’il vous plait » : c’est le cri d’alarme de Thomas Brail, juste avant d’être chargé par des CRS sur le tracé de l’autoroute A69.
On vous raconte. pic.twitter.com/tOLrlElPmZ
— Vakita (@vakitamedia) October 22, 2023
« Tout le monde a compris que cela allait être la guerre dès la grenade de désencerclement lancée, on avait tous les oreilles qui sifflent à cause des détonations, les familles fuyaient sous les gaz avec les enfants » raconte Jibon
« Les autorités nous ont attaqués avec des lacrymogènes et des coups de matraque alors que nous voulions assister à la conférence des scientifiques. Tout le monde était pacifiste pourtant ! J’ai eu peur ! » confie César, très jeune rappeur de 10 ans venu à l’événement pour donner un concert, sur ses réseaux
La mise en danger des personnes présentes
La « cremzad » n’a pas été la seule cible des policiers, ils ont aussi tiré des « quantités impressionnantes » de gaz lacrymogènes sur le terrain privé de l’agriculteur, provoquant de nombreux départs de feux qui auraient pu être dramatiques s’ils n’avaient pas été maîtrisés par les manifestants qui se sont relayés pour les éteindre.
L’agriculteur ne pourra plus replanter ses champs cet automne à cause de la contamination au gaz lacrymogène. Il estime qu’environ 10% du site sera impropre à cultiver.
« Les forces de l’ordre ont créé une situation extrêmement dangereuse pour le lieu et les personnes présentes. La préfecture sait à quel point les feux peuvent se propager rapidement dans la zone en cette période de sècheresse historique, en témoigne l’arrêté préfectoral du 6 octobre interdisant l’apport et l’usage du feu sur les terrains en nature de bois, landes et leurs environs » rappellent les membres des Soulèvements de la Terre
Certaines grenades sont tombées dans le jardin d’une mamie de 92 ans qui était toute seule dans sa maison. Les policiers ont interdit aux manifestants de s’en approcher pour l’aider. Elle a finalement pu sortir grâce à l’intervention de sa fille qui a débarqué pour confirmer aux gendarmes que sa mère se trouvait à l’intérieur.
« Les scientifiques sur place ont pu constater que les gendarmes mobiles, loin de se contenter de s’attaquer à la ZAD qui avait été installée la veille, ont usé abondamment de lanceurs de grenades lacrymogènes sur l’ensemble du site sur terrain privé, obligeant les scientifiques et leur public à se mettre à l’abri rapidement. Les forces de l’ordre ont également lancé des grenades lacrymogènes dans la zone du parking, gazant ainsi une foule comprenant des familles, des enfants et des personnes vulnérables essayant de quitter le site » s’indignent les scientifiques
Les affrontements ont duré jusqu’à 16h environ. Loin des mensonges répétés par Darmanin, qui accuse les manifestants de « violences inouïes » pour cautionner ce déchaînement policier et cacher le fait que cette expulsion a eu lieu sans procédure légale adéquate, les personnes présentes sur place ont tout tenté pour apaiser les choses, sans succès.
« Quand on nous qualifie de « terroristes de l’intérieur », je pense que l’État se met dans une position d’autoritarisme dangereuse. Malgré la répression et les coups bas, on est restés dans une démarche bienveillante. J’ai été impressionné de voir la gentillesse des quelques dizaines de blacks blocks présents. Ils étaient à genoux en train de se couvrir la tête tout en faisant un cordon pour empêcher que les gens soient blessés par les policiers. C’est rageant de ne pas avoir pu mener ce rassemblement pacifiste jusqu’au bout, ils n’ont même pas respecté le temps de parole des scientifiques » détaille Jibon, l’un des écureuils du GNSA, pour La Relève et La Peste
« Cette journée devait aussi être l’occasion de faire un point sur l’entrevue avec Carole Delga qui nous a beaucoup déçus. C’était un vrai dialogue de sourds avec l’impression que les arguments scientifiques n’étaient pas importants pour elle et qu’il fallait absolument faire ce projet.
On voit qu’il y a des dysfonctionnements institutionnels et démocratiques forts qui ont tendance à s’empirer. On voit aussi une tendance des politiciens à s’attribuer toute la légitimité démocratique et rejeter toute forme de débat, de construction démocratique alors que les scientifiques et les autorités consultatives devraient être pris en compte.
Si à chaque fois qu’il y a un avis défavorable du Conseil National de Protection de la Nature, il est écarté on se demande à quoi servent ces institutions. Il y a une vraie dérive inquiétante qui nous questionne en tant que scientifiques sur l’utilité de nos recherches publiques qui devraient être utiles au fonctionnement de nos sociétés » s’inquiète Odin Marc, chercheur au CNRS en Sciences de la Terre à Toulouse, membre de l’Atécopol et des Scientifiques en Rébellion, pour La Relève et La Peste
Alors que les manifestants et les familles ont été copieusement gazés, les locaux de Pierre Fabre, l’entreprise à l’origine du projet, étaient protégés par une « une forteresse » avec des barrières anti-émeutes de 3 à 4 mètres de haut. Côté population locale, « La Voie Est Libre » rappelle qu’un référendum sur l’A69 est demandé par 82% des habitant·es du Tarn et de la Haute-Garonne, qui rejettent à 61% le projet d’A69, selon un récent sondage IFOP.
« Je suis dégoûté par cette classe politique d’une médiocrité confondante qui vise à décrédibiliser les mouvements portant les enjeux environnementaux en les présentant comme violents. Au regard de l’Histoire, ce jeu clientéliste/électoraliste est irresponsable » a accusé Christophe Cassou, directeur de recherche au CNRS
Ce constat amer est d’autant plus vrai qu’une récente enquête d’Off Investigation vient de dévoiler comment les actionnaires du projet d’autoroute A69 ont contribué à financer la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2017.
« Nous avons eu un peu moins de monde que prévu par crainte des violences policières. J’ai 52 ans et cela fait 30 ans que je manifeste, c’est la première fois de ma vie que je prends des lunettes de piscine, un masque et une bouteille d’antiacide digestif par précaution. La violence est venue des forces de l’ordre. Nous le sentiment qu’on a, c’est que cette semaine il y a le Conseil d’État qui doit se prononcer sur la confirmation de la dissolution ou non des Soulèvements de la Terre. On a l’impression d’avoir fait les frais d’une démonstration de violence de la part d’un État fort » exprime Olivier, le référent du groupe local GNSA à Lavaur, pour La Relève et La Peste
La répression est aussi juridique et économique. D’abord, pour celles et ceux qui font face à de potentielles poursuites judiciaires. Ensuite, pour les écureuils ayant mis leur vie en pause pour défendre les platanes centenaires pendant plus d’un mois, et doivent aujourd’hui se racheter du matériel (saisi par les autorités) et gagner à nouveau leur vie.
Malgré cette répression et ce déni démocratique, tous les collectifs engagés dans la lutte contre l’A69 restent déterminés à continuer d’agir. Ils demandent le retrait de la gendarmerie de la zone de la Crémade et l’arrêt des chantiers, une médiation citoyenne et politique ainsi qu’une véritable expertise socio-économique indépendante sur le projet d’autoroute A69.
Sources : « Le regard des habitants du tarn et de haute garonne sur le projet d’autoroute A69 », sondage IFOP, 19/10/2023 / « Que vaudrait une démocratie qui relativise les savoirs scientifiques ? » France3Régions Occitanie, 22/10/2023