La lutte contre les méga-bassines a pris une ampleur impressionnante. Ce weekend, près de 7000 personnes se sont rassemblées dans les Deux-Sèvres pour manifester contre un nouveau projet de méga-bassine, grande comme 7 terrains de football, qui doit pomper dans une nappe phréatique superficielle. Les manifestants ont démonté un ancien système de pompage qui devait être réutilisé pour approvisionner la méga-bassine. Si certains observateurs dénoncent un conflit « écolos contre agriculteurs », la réalité est bien plus complexe. C’est ce que rappelle la Confédération Paysanne qui fait partie prenante de cette lutte autour d’un enjeu crucial : la préservation de l’eau comme bien commun dans un contexte de crise climatique.
Écolos contre agriculteurs ?
Ils étaient sept fois plus que lors du premier rassemblement co-organisé par Bassines Non Merci, les Soulèvements de la Terre et la Confédération Paysanne, en septembre 2021. Ce weekend du 26 et 27 mars, près de 7000 personnes ont manifesté dans les Deux-Sèvres, à la Rochénard, pour s’opposer au projet de méga-bassine d’Epannes, de 220 000 m3 et 7 hectares, qui risque d’impacter les besoins des habitants de Vallans en eau potable, selon les collectifs.
« Le 6 novembre dernier, on avait vraiment frappé fort en vidant une bassine, mais la Confédération Paysanne a reçu beaucoup de pression et de menaces derrière. On a donc choisi de ne pas retourner sur une bassine existante, et plutôt déterrer les vieilles canalisations qui sont comptabilisées dans ce nouveau projet nommé SEV5. Plein de personnes étaient venues avec des plants de légumes et des arbres pour se réapproprier les terres. Un énorme périmètre nous était interdit, on s’est approchés au plus près de la ligne rouge pour déterrer ces canalisations et prendre les bouches d’eau. L’idée c’est de les ramener à la Préfecture pour les mettre face à cette problématique. » explique Léna, membre des Soulèvements de la Terre, pour La Relève et La Peste
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Comme tout conflit, la guerre de l’eau crée d’énormes crispations sur le territoire, à tel point qu’un important dispositif policier a été déployé lors de la manifestation. Hélicoptères, canon à eau et bataillons de forces de l’ordre surveillaient ainsi la mobilisation. Les policiers étaient même équipés d’une nouvelle arme : a priori un lanceur EMEK EMF 100 utilisé en paintball, pour marquer les manifestants et les retrouver avec une lumière UV ensuite.
« Une personne a été légèrement blessée par un tir de LBD et une autre par une grenade désencerclante… Rien de trop grave, on avait peur que cela soit pire vu la recrudescence des violences policières ces dernières années. On a quand même réussi à maintenir esprit festif et familial pour l’événement. » raconte Léna
Autre symbolique de la montée en puissance de la répression des écologistes, la police nationale avait même caché du matériel de surveillance militaire dernier cri en face de la maison du père du porte-parole de Bassines Non Merci, Christian Le Guet, là où le collectif organise régulièrement des réunions pour soi-disant « préparer la sécurisation de la manifestation ». Christian Le Guet a porté plainte pour cette atteinte grave à la liberté de réunion.
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Ni cet arsenal impressionnant, ni les fortes restrictions préfectorales, n’ont eu raison de la détermination des 7000 participants au rassemblement du weekend. Seul méfait que les organisateurs déplorent : un petit groupe de personnes a détruit la pompe dans un cabanon d’un céréalier bio. Cet « acte regrettable » n’était pas du tout prévu, précisent les organisateurs qui ont présenté leurs excuses à l’agriculteur, lui-même pro-bassine.
« Depuis le début, on répète que ce n’est pas un combat entre bons et mauvais agriculteurs, c’est vraiment l’agroindustrie qu’on attaque. La dernière personne touchée en novembre n’est jamais dans ses champs et possède 1200 ha et près de 20 sociétés ! » explique Léna
En France, l’eau manque déjà
Ce positionnement est partagé par la Confédération Paysanne, l’un des collectifs à l’origine de l’événement, qui a publié un dossier complet sur l’irrigation agricole en amont de l’événement afin de mieux en préciser les problématiques.
« Notre participation à la mobilisation de ce weekend s’inscrit dans la continuité notre action. Cela fait longtemps que ces départements sont à la bagarre sur ces méga-bassines. Nous avons organisé un colloque national il y 15 ans à Niort et il était déjà question de ces maxi retenues. Vu la tournure que cela prend localement, c’est une évidence pour nous d’être présents et de faire des appels nationaux sur l’enjeu de l’irrigation. Les méga-bassines vont essaimer partout si elles passent ici. » explique Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération Paysanne, pour La Relève et La Peste
Loin de ne concerner que la Vienne, la Charente, la Charente-Maritime, les Deux-sèvres ou la Vendée, près de 1 000 projets de méga-bassines se déploient aujourd’hui sur tout le territoire français.
Pour cause, ces projets peuvent être financés jusqu’à 70% par l’Etat, à condition que les agriculteurs réduisent l’utilisation d’intrants chimiques et replantent des haies. Dans les faits, la majeure partie des exploitants qui optent pour les méga-bassines sont des « agri-managers » plutôt que des paysans, ainsi que le dénoncent les collectifs mobilisés sur le sujet.
« L’un de nos principaux détracteurs est Thierry Bouret, l’archétype de l’agrimanager. Il a fait une magnifique vidéo en 2012 où il montre ses 1200ha, la façon dont ses 17 sociétés sont articulées autour d’une holding financière permettant l’optimisation fiscale et sociale. Et bien sûr, il bénéficie déjà de cinq bassines et fait partie du projet qu’on a visé ce weekend. Dans un entretien consacré à Sud-Ouest, il a récemment joué la carte de la raison en instrumentalisant la guerre en Ukraine comme justification pour produire plus pour être en capacité de « nourrir le monde ». Or, cela fait 70 ans qu’on nous ressasse ce discours. Maintenant ils prônent la souveraineté alimentaire mais c’est toujours la même chose derrière : il leur faudrait les OGM, les farines animales, les subventions publiques et du stockage massif d’eau pour lutter contre la famine. Mais cela fait des années qu’il y a des peuples en souffrance à travers le monde et que l’agriculture industrielle n’y répond pas. L’enjeu n’est pas de produire plus mais de permettre l’accessibilité de la nourriture à toute la population, même en France on a de plus en plus de gens en situation de précarité alimentaire alors que les supermarchés sont plein et jettent de la nourriture tous les jours ! » rappelle Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération Paysanne, pour La Relève et La Peste
De fait, la production agricole mondiale peut nourrir 12 milliards d’êtres humains. Et la guerre n’est pas la seule menace qui pèse sur la sécurité alimentaire des populations, le changement climatique est tout aussi délétère, y compris en Europe ainsi que le démontre le dernier rapport du GIEC.
Depuis 2017, la sécheresse en France prend une tournure particulièrement inquiétante à cause d’un déficit de pluviométrie extrêmement important en hiver qui empêche la recharge saisonnière des nappes souterraines. Résultat, de nombreuses communes sont approvisionnées en camion-citerne chaque été pour pallier aux besoins en eau de leurs habitants.
Cette année n’échappe pas à la règle : les Pyrénées-Orientales, la Provence et le Poitou-Charentes sont particulièrement menacées, alerte Emma Haziza, hydrologue, au micro de FranceInfo. Les méga-bassines, en puisant dans les nappes phréatiques l’hiver, renforcent ce danger.
« Si le climat était stable, ces retenues pourraient apporter une forme de sécurité. Mais il suffit d’avoir deux ou trois années sèches, en particulier en hiver, et il ne sera plus possible de pomper pour remplir ces retenues. Dans le Poitou – Marais poitevin, les irrigants utilisent déjà plus d’eau que ce qui est produit en local dans l’année : la quantité d’eau disponible pour l’écoulement est de 150 mm par mètre carré, quand les doses d’irrigation sont de l’ordre de 150 à 200 mm d’eau par mètre carré. Ces agricultrices et agriculteurs sont ainsi déjà dépendants d’une solidarité amont/aval pour tous les autres usages : eau potable, industrie… Si on accentue à l’avenir ce déséquilibre en irrigant encore plus alors que la ressource va diminuer, il y aura forcément des tensions. » explique Florence Habets, directrice de recherche au CNRS en hydrométéorologie et enseignante à l’École normale supérieure
Une inquiétude également exprimée par la Commission européenne qui a validé l’ensemble des requêtes déposées par le collectif « Bassines non merci » mardi 23 mars. Pour la Confédération Paysanne, le modèle agricole dominant doit changer.
« On préconise de se donner les moyens d’un modèle agricole qui adapte ces pratiques à l’évolution de la ressource en respect des principes de l’agroécologie qui permettent une meilleure vie du sol, d’absorption de l’eau, une meilleure capacité des plantes à résister à des stress hydriques fréquents. Il faut aussi réduire certaines cultures gourmandes en eau notamment le maïs destiné aux animaux, donc mettre en place des élevages plus autonomes et économes, respectueux des capacités du territoire. Il faut produire pour nourrir et réserver l’irrigation à des productions à forte valeur ajoutée et alimentaire (protéines végétales, fruits et légumes). » détaille Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération Paysanne, pour La Relève et La Peste
Le combat contre les méga-bassines va donc continuer. Les membres des différents collectifs vont rencontrer la nouvelle préfète des Deux Sèvres pour lui faire part de leurs propositions. Et ils voient loin : ils espèrent rouvrir le dossier de la gestion de l’eau après les élections présidentielles, « en cohérence avec les enjeux territoriaux et la préservation de nos communs ». Pour eux, la gestion de l’eau doit devenir un sujet politique incontournable.