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Les basques s’opposent à la coupe de 14 000 ha de forêt pour faire voler des avions

Pour Solagro, « l’étude fournie concernant l’approvisionnement en bois issu de forêt, qui est la filière la plus importante dans les premières années du projet, ne permet pas à ce stade de conclure en matière de disponibilité de court et moyen terme ».

Lundi 3 février, une leçon de démocratie a eu lieu lors d’une réunion publique sur le projet E-CHO, porté par la start-up lyonnaise Elyse Energy, qui vise à faire du biocarburant à partir de bois pour l’aéronautique. Les associations et riverains ont donné un carton rouge au projet, inquiets de son impact sur les forêts françaises.

Brûler du bois pour faire voler les avions

Ils ont été accueillis avec des cartons rouges et des chants d’oiseaux. Les membres d’Elyse Energy ont affronté les citoyens et associations venus assister à la réunion d’information et de concertation, organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP), ce lundi 3 février à Bayonne.

L’objet de leurs inquiétudes : le projet E-cho d’Elyse Energy, qui doit construire dans le bassin industriel de Lacq, dans le Béarn, trois usines dites « bas-carbone » pour un coût de 2 milliards d’euros. « Avec une production de 50 000 tonnes de e-méthanol, destinées au transport maritime et à l’industrie, 87 000 tonnes de carburants d’aviation et 27 000 tonnes de naphta, il permettra d’éviter l’utilisation de 143 000 tonnes équivalent pétrole, issues de ressources fossiles et importées » promet l’entreprise française.

Le projet BioTJet, dédié à l’aviation, a pour actionnaires le groupe agroalimentaire Avril (propriété du patron de la FNSEA), Axens (spécialisé dans la conversion de pétrole et biomasse en carburant « plus propres »), Bionext (dont fait partie TotalEnergies et le CEA) et IFP Investissements.

Projection de la future usine BioTJet – Crédit : Elyse Energy

Or, la création de cet e-kérosène nécessite de brûler du bois pour en faire du charbon, qui sera ensuite traité par réaction chimique avec de l’hydrogène par électrolyse. Le processus nécessitera deux fois plus d’énergie qu’il n’en produit et les usines auront besoin au minimum de 5,7 millions de mètres cube d’eau chaque année, qui seront puisés du Gave de Pau.

« On a calculé : il faudra couper 14 000 ha de forêts les 5 premières années pour alimenter les usines, cela nous semble démentiel » dénonce Victor Pachon, membre du CADE, lors de la réunion.

La PME Elyse Energy n’a pas vraiment nié ces projections. Elle promet seulement que sur les 300 000 tonnes sèches de bois nécessaires chaque année, un tiers sera issu des coupes d’arbres dans un rayon de 400 km, un tiers des déchets agricoles et un tiers des déchets industriels.

« Nous avons par exemple estimé que les arrachages de vignes représenteraient une source de 60 000 tonnes sèches de bois. La filière kiwi est également en difficulté et pourrait être une source supplémentaire de ressources » précise en réponse Mathieu Hoyer, directeur du développement commercial d’Elyse Energy

« On a arraché des milliers d’arbres jamais replantés lors du remembrement, ce qui a créé un traumatisme national et on arrache aujourd’hui toujours plus de haies qu’on n’en replante. Il faut 30 à 40 ans pour qu’une forêt repousse, et comment vous fournir une fois que tous les vignes et kiwis arrachés auront été brûlés ? s’inquiète Hugues de Failly, conseiller technique de l’association Arbres et Agriculture.

Le bois n’est pas un déchet, c’est lui qui rend la vie au sol. Pourquoi mettre des arbres dans le carburant des avions de grande ligne qui participent à l’aggravation du réchauffement climatique ? »

Surtout, le temps de développer des filières de recyclage et de valorisation des déchets, pour un prix moins attractif que celui des coupes rases, le projet entraînera bien « une mobilisation accrue de la biomasse forestière les 3 premières années » ainsi que le pointe le bureau d’études Solagro, mandaté par la CNDP sur le sujet. Pour Solagro, « l’étude fournie concernant l’approvisionnement en bois issu de forêt, qui est la filière la plus importante dans les premières années du projet, ne permet pas à ce stade de conclure en matière de disponibilité de court et moyen terme ».

Les conflits d’usage

Selon les dires d’Elyse Energy, la cellule préfectorale Biomasse Nouvelle-Aquitaine estimerait que 800 000 tonnes sèches sont disponibles sur la filière forestière. Une surestimation selon Solagro en raison de la difficulté d’accessibilité de certaines forêts. Dans les Pyrénées Atlantiques, les conditions d’exploitation sont jugées « difficiles, voire impossible » pour 14 % de la surface en raison de l’inaccessibilité aux parcelles, bien souvent en montagne.

De surcroît, ces projections prennent mal en compte le dépérissement alarmant des forêts françaises dans le cadre du dérèglement climatique. Selon l’ONF, les trois essences majoritaires du 64 que sont le chêne pédonculé, le hêtre et le châtaignier pourraient périr totalement d’ici la fin du siècle en raison du stress hydrique à venir.

« Je suis scandalisée par ce projet, exprime une riveraine du Bassin de Lacq lors de la réunion. En Guyane, une usine similaire mais plus petite a été construite et elle a déjà eu l’autorisation de défricher la forêt primaire ! Rien ne nous garantit que vous ferez mieux. »

Enfin, la multiplication de projets bois-énergie dans le département et le reste de la France va très vite poser des conflits d’usage. Pour les déchets agricoles, en raison de leur valorisation via la méthanisation ou le compost dans les fermes. Pour les forêts, puisqu’elles seront l’alimentation principale de ces projets dans leurs premières années de vie.

Parmi les projets bois-énergie : l’entreprise Miraï va avoir besoin de 135 000 tonnes de bois industrie par an pour produire du biochar à Garlin, près de Pau, d’ici 2026. Les collectivités se tournent également vers les réseaux de chaleur, à l’image de la ville d’Oloron qui en lance un cette année pour 4 000 tonnes de bois nécessaires à l’année, dont 3 400 tonnes issues d’abattage d’arbres. Enfin, de nombreux particuliers se tournent à nouveau vers le chauffage au bois suite à l’augmentation des prix du gaz et de l’électricité.

« Au total, on parle d’une quinzaine de projets qui veulent mobiliser du bois alors que l’État a reconnu qu’il n’y en a pas assez pour tout le monde » annonce Jacques Descargues, porte-parole du collectif Touche pas à ma forêt, lors de la réunion

Sur ces aspects, les membres d’Elyse Energy ont répondu ne pas avoir toutes les réponses, mais être surveillés étroitement par différents cabinets d’experts. Carbone4, mandaté par la CNDP, viendrait de confirmer la capacité du projet à atteindre le seuil de 70% de réduction des émissions de GES en cycle de vie, nécessaire à l’équilibre économique du projet.

Elyse Energy prévoit de faire sa demande d’autorisation d’exploitation à l’automne 2025, ce qui entraînera l’ouverture d’une enquête publique. Les collectifs citoyens ont déjà prévu de mener des recours en justice si besoin, et d’alerter les potentiels investisseurs sur les risques du projet.

Laurie Debove

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