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BASTA : ces géants de l’agro-industrie qui profitent des aides publiques de la PAC

« En France, c’est un moment charnière pour inverser cette tendance puisque la réforme de la PAC est en cours et que le gouvernement français consulte en ce moment même les acteurs de la profession agricole et de la société civile pour élaborer son Plan Stratégique National (PSN) qui va définir le modèle agricole et alimentaire des six prochaines années. » explique Mathieu Courgeau, éleveur laitier en Vendée, et Président du collectif

Après les GAFAM, voici les BASTA ! La Politique Agricole Commune (PAC) représente une enveloppe budgétaire de 9 milliards d’euros par an en France. Avec un tel montant, elle façonne quasi-entièrement le paysage agricole et alimentaire français. Supposée aider les agriculteurs, la PAC profite notamment à des géants de l’agro-alimentaire dont le modèle délétère encourage l’industrialisation à outrance de l’agriculture au détriment de l’intérêt général, la dégradation des conditions de vie et la précarisation des plus petits paysans, mais aussi des nuisances majeures pour l’environnement et le bien-être animal.

Bigard, Avril, Saveol, Tereos, Agrial, les BASTA possèdent de nombreuses marques bien connues des français.es : steak Charal, huile Lesieur, tomates Savéol, sucre Beghin Say, fromage Soignon… Alors que la réforme de la PAC est en cours de négociation et que le gouvernement français consulte en ce moment-même les acteurs du secteur agro-alimentaire et de la société civile, le collectif Pour une autre PAC lance la campagne de mobilisation citoyenne BASTA pour en dénoncer les profiteurs et encourager la transition vers un modèle agroécologique plus respectueux de l’environnement, des animaux et des paysans.

MAJ du 9 juin 2022 : CashInvestigation a dédié son dernier numéro sur l’accaparement des aides de la PAC par une poignée de fraudeurs. A revoir ici.

La PAC et son impact sur le paysage agricole et alimentaire français

La Politique Agricole Commune (PAC) est l’une des politiques européennes les plus importantes et consiste en l’ensemble des aides versées aux agriculteurs européens, soit un tiers du budget européen. Instaurée en 1962, elle a pour but d’augmenter la productivité du secteur agricole et de garantir la sécurité alimentaire des populations.

Le budget de la PAC est structuré en deux piliers dont le premier, qui représente 80 % des subventions en France, est majoritairement dédié à des paiements directs versés aux agriculteurs. Là où le bât blesse, c’est que ces aides sont distribuées en fonction de la taille des fermes : plus une exploitation agricole est grande, plus elle va recevoir de l’argent.

Conséquence directe : les producteurs privilégiés sont ceux qui s’intègrent dans un modèle agro-industriel, en écrasant les plus petits bénéficiaires. Ce modèle favorise la capacité à produire en quantité voire à exporter, quitte à encourager la surproduction et l’élevage intensif, en fragilisant de plus l’économie des pays du Sud.

« Ces inégalités se répercutent et s’accentuent en aval de la chaîne de production. Les coopératives ou entreprises agro-alimentaires touchent elles aussi directement ou indirectement une part significative des subventions de la PAC. Le modèle agro-alimentaire actuel est ainsi dominé par l’agro-industrie, où quelques grandes entreprises imposent leur modèle au reste de la filière. » explique le collectif Pour une Autre PAC

Aujourd’hui, le milieu agricole est dans une situation de crise : faibles revenus, pollution de l’environnement, exploitation animale… Et pendant les marges de manœuvres individuelles des paysans rétrécissent, les grands groupes agro-industriels, eux, étendent leur emprise. Les agriculteurs n’ont alors souvent pas d’autre choix que de se ranger derrière ces fameux BASTA.

« Alors que la PAC est une politique publique censée servir l’intérêt général, elle profite d’abord aux plus gros pendant que les paysans s’appauvrissent… Ces cinq géants de l’agroalimentaire ne sont pas les seuls acteurs à en bénéficier, mais sont les symboles et les archétypes d’un modèle agroindustriel qui tire profit de la PAC alors qu’ils ont des pratiques néfastes. » explique Aurélie Catallo, coordinatrice de la plateforme Pour une autre PAC

Bigard, Avril, Savéol, Tereos, Agrial et compagnie

Dans un rapport de 33 pages, le collectif Pour une Autre PAC détaille ainsi comment ces cinq géants de l’agro-industrie bénéficient des mannes financières de la PAC. Dans la filière de la viande de bovins et de porcs, le groupe Bigard profite de sa situation de quasi-monopole pour tirer les prix d’achat aux agriculteurs vers le plus bas, en comptant sur l’argent public pour venir compléter le manque à gagner.

Les agriculteurs doivent alors vendre leur viande à perte : entre 3,40 € et 3,50 € le kilo, alors que l’indicateur de prix de revient est à 4,64 € le kilo. Résultat : les revenus des producteurs ont baissé alors que les aides de la PAC ont augmenté durant ces dix dernières années du fait de l’agrandissement des cheptels.

Ce phénomène contribue gravement à l’industrialisation de l’élevage et à la détérioration des conditions de vie des animaux et de leurs éleveurs. Le groupe Bigard, lui, a réalisé un chiffre d’affaires de 4,1 milliards d’euros en 2017.

Ce n’est pas la seule façon dont le groupe Bigard tire avantage de la PAC. Jean-Paul Bigard lui-même est ainsi trésorier de l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev) qui a perçu un total de 2 milliards d’euros de la PAC entre 2018 et 2020.

Le but de cette aide : soutenir l’exportation de la viande européenne sur le marché algérien, alors que l’urgence climatique et l’éthique animale devraient conduire les sociétés à relocaliser tout leur système de production, ainsi qu’à adopter un régime alimentaire beaucoup moins carné.

Des éleveurs bovins établissent un barrage avec des pneus et des palettes devant les abattoirs Charal, le 09 Novembre 2010, à Cholet, en protestation de la politique de prix. AFP PHOTO FRANK PERRY (Photo by FRANK PERRY / AFP)

Le groupe Avril est le géant des céréales et oléo-protéagineux. Organisé en filière de l’amont à l’aval, il produit aussi bien des huiles et protéines végétales que des agro-carburants. Il bénéficie indirectement des aides les plus importante de la PAC : les paiements découplés.

« Parmi les environ 2 millions d’hectares de culture en colza et tournesol en France, 48 % est transformée par Avril, ce qui correspond à environ 130,4 millions d’euros d’aides annuelles pour les productions collectées et transformées par le groupe. Propriétaire de la marque d’huile Lesieur, le groupe produit donc une huile leader du marché à grand renfort d’aides publiques. » détaille le rapport

Saveol, elle, est la championne de la tomate industrielle sous-serre aux impacts environnementaux et climatiques conséquents : une tomate cultivée sous serre émettrait 12 fois plus de CO2qu’une tomate sous abri non chauffé.

Le collectif dénonce le soutien de la PAC à ce type de culture hors-sol, « une agriculture polluante déconnectée des saisons qui préfère la quantité à la qualité », à travers une aide directe de 6,7 millions d’euros à Saveol, et de 19,2 millions d’euros à son confrère Cerafel avec lequel le groupe Saveol a mis en place un label commun.

Récemment sous les feux des projecteurs dans le cadre la prolongation de l’utilisation des néonicotinoïdes dont il s’est félicité, Tereos, le géant de la betterave sucrière (1er français et 2ème mondial) et propriétaire de Beghin Say, est l’un des plus grands bénéficiaires de la PAC, malgré son impact néfaste sur les écosystèmes.

En 2018, en cumulant les différentes aides, le groupe Tereos a ainsi touché 45 millions d’euros d’aide de la PAC ! Pourtant, la PAC pourrait être utilisée pour mettre en place des aides pérennes aux agriculteurs sur la sortie des pesticides, plaide le collectif.

Au lieu de cela, le groupe Tereos promeut une « agriculture de précision » qui consiste en une fuite en avant mécanique et technologique (drones, GPS, tour de contrôle) qui prive ses agriculteurs adhérents d’autonomie sur le contrôle de leurs moyens de production.

Enfin, le groupe Agrial, le géant laitier propriétaire d’une cinquantaine de marques dont Soignon et Elle&Vire, est étonnamment considéré comme un « agriculteur actif » ce qui lui octroie de petites aides financières négligeables. Ce groupe laitier est iconique des failles du système agro-industriel à travers ses stratégies d’exportation.

En effet, la fin des quotas laitiers de l’UE en 2015 a entraîné une véritable dérégulation du marché qui a conduit des productions excédentaires dont les surplus viennent inonder les marchés des pays du Sud à grand renfort de subventions publiques.

Cette situation met en péril la souveraineté alimentaire et l’autonomie des populations de ces pays qui ne peuvent pas s’aligner sur les prix cassés européens. Les agriculteurs du Vieux Continent ne sont pas mieux lotis : entre 2009 et 2016, « 15 à 20 % des éleveurs caprins livrant leur lait à des entreprises ont dû mettre la clé sous la porte. »

Lancement d’une mobilisation citoyenne

Face à toutes ces dérives, le collectif Pour une Autre PAC lance la campagne BASTA pour dénoncer ces injustices et porter la voix des citoyens qui souhaitent un changement de modèle. Regroupant 44 organisations paysannes, environnementales, de solidarité internationale et de citoyens-consommateurs, le collectif Pour une Autre PAC est convaincu qu’il est impératif de changer le modèle agricole et alimentaire à travers la refonte de la PAC.

« En France, c’est un moment charnière pour inverser cette tendance puisque la réforme de la PAC est en cours et que le gouvernement français consulte en ce moment même les acteurs de la profession agricole et de la société civile pour élaborer son Plan Stratégique National (PSN) qui va définir le modèle agricole et alimentaire des six prochaines années. » explique Mathieu Courgeau, éleveur laitier en Vendée, et Président du collectif

Déjà sollicité trois fois par la plateforme Pour une Autre PAC, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie n’a pour l’instant pas donné de réponse. Il doit cependant les recevoir ce vendredi dans le cadre d’un Conseil d’orientation regroupant le ministre et les parties prenantes qui vont donner leurs recommandations. Ce Conseil se réunit 1 à 3 fois par an. La prolongation de l’utilisation des néonicotinoïdes a été ressenti par le collectif comme un signal inquiétant de la continuité politique du « business as usual ».

« La plateforme va être officiellement consultée dans le cadre du PSN. Pour pouvoir porter notre voix et avoir un poids dans cette consultation face aux géants de l’agro-industrie, nous invitons tous les citoyens à interpeller Julien Denormandie pour dire « BASTA aux profiteurs de la PAC » en exigeant que les 9 milliards ne servent pas les intérêts des plus gros mais ceux des paysans, des citoyens et du bien-être animal. » interpelle Clotilde Bato, Présidente de l’association SOL et trésorière du collectif Pour une Autre PAC

Le collectif a donc mis en place un site web permettant aux internautes d’interpeller le Ministre de l’Agriculture sur les réseaux sociaux et par courrier. D’autres formes d’actions sont prévues tout le long des six prochains mois et cibleront toutes les politiques français.

Lundi 12 janvier, Emmanuel Macron était en Normandie pour visiter une ferme spécialisée dans l’agro-écologie. « Les réunions c’est sympa, mais on veut des actes ! » a réagi le président du collectif. De leur côté, les entreprises ciblées par la campagne ont reçu le rapport, mais n’ont pour l’instant pas fait part de leurs réactions au collectif Pour une Autre PAC.

« Il est urgent et capital que les citoyens se saisissent du sujet à la hauteur des défis agricoles et alimentaires, ce sera sans doute trop tard pour relever le niveau lors de la prochaine réforme de 2027. Notre système agroalimentaire nous conduit dans le mur, nous devons maintenant travailler à une autre répartition des aides publiques pour essayer d’améliorer les choses et sortir de cette impasse. » conclut Mathieu

crédit photo couv : Lilian Martorell / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Laurie Debove

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