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Le projet BioTJet va raser des forêts des Pyrénées-Atlantiques pour faire voler des « avions verts »

“Si l'on additionne les 400 000 tonnes de bois qui seraient nécessaires à l'approvisionnement de BioTJet aux 200 000 tonnes de bois qui sont déjà prélevées chaque année dans le département, cela représente 4,2% du volume total du bois des forêts du département, alors même que les forêts ne croissent que de 2,8% par an”

Piloté par Elyse Energy et soutenu par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), le projet BioTJet entend créer une usine de biocarburant dans les Pyrénées-Atlantiques afin d'approvisionner le secteur aéronautique à partir de bois. Un objectif à priori vertueux qui ne va pas sans menacer la forêt du département, alerte l'association Canopée, spécialisée dans la défense des forêts.

Décarboner le transport aérien : depuis plusieurs années, politiques et pontes du secteur aéronautique semblent n’avoir plus que ces mots à la bouche pour envisager la transformation de ce secteur responsable, à lui seul, de 3 à 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Quelques jours avant l’édition 2023 du Salon du Bourget, le gouvernement a d’ailleurs annoncé qu’une enveloppe de 200 millions d’euros allait être allouée au développement des biocarburants, avec le soutien affiché, entre autres, au projet BioTJet.

Accueilli en grande pompe, ce projet pourrait à première vue sembler prometteur. Piloté par Elyse Energy, spécialiste des carburants bas-carbone, BioTJet vise à implanter une usine de production de biocarburants à base de bois à Pardies, sur le bassin de Lacq, site industriel qui s’est développé grâce à l’exploitation du gisement de gaz de Lacq et l’industrie chimique, ce qui ferait du site des Pyrénées-Atlantiques le premier site de production durable pour l’aviation en France.

Prévue à l’horizon 2028, avec un début de construction annoncé pour 2025, l’usine devrait permettre, en sus des 700 emplois directs et indirects créés, de “fournir aux acteurs du transport aérien un volume de biokérosène durable équivalent à 30% de la consommation annuelle d’un aéroport comme Bordeaux Mérignac”, annoncent les porteurs de projet.

Une avancée notable, poursuivent-ils, soulignant que “l’utilisation du biokérosène avancé BioTJet réduira les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 70% en cycle de vie par rapport au kérosène conventionnel”.

Bassin industriel de Lacq – Coeur de Béarn

Jusqu’à 400 000 tonnes de bois par an

Un projet en faveur d’une aviation dite “verte” qui, sans surprise, peine pourtant à remporter l’adhésion des associations de préservation de l’environnement, parmi lesquelles Canopée – Forêts vivantes.

Spécialisée dans le plaidoyer pour la défense des forêts, l’association s’inquiète dans un récent rapport de la quantité de bois nécessaire à l’approvisionnement de l’usine, dont l’objectif annoncé est de produire 110 000 tonnes de biocarburant par an à compter de 2027.

D’après nos calculs, il faudrait récolter jusqu’à 400 000 tonnes de bois par an pour approvisionner l’usine, entame Bruno Doucet, chargé de campagnes pour Canopée. Alliance forêts bois [première coopérative forestière de France, d’ailleurs maintes fois épinglée par Canopée pour ses pratiques délétères, NDLR], qui a été pressentie pour effectuer ces récoltes, parle de 300 000 à 600 000 tonnes de bois par an, mais dans tous les cas, cela reste beaucoup trop.

Et pour cause : “Si l’on additionne les 400 000 tonnes de bois qui seraient nécessaires à l’approvisionnement de BioTJet aux 200 000 tonnes de bois qui sont déjà prélevées chaque année dans le département, cela représente 4,2% du volume total du bois des forêts du département, alors même que les forêts ne croissent que de 2,8% par an, poursuit Bruno Doucet.

Si ce projet venait à voir le jour, et que la récolte devenait supérieure à l’accroissement des forêts, les forêts des Pyrénées-Atlantiques pourraient donc être amenées à disparaître peu à peu pour alimenter l’usine de biocarburant BioTJet.

Interrogés sur ces aspects, les porteurs du projet BioTJet que sont Elyse Energy, Avril, Axens, Bionext et IFP Investissements ont refusé de répondre à nos questions et nous ont renvoyés vers les communiqués de presse publiés au cours des mois précédents.

La priorité, réduire le trafic

Un constat accablant, qui ne va pas sans également inquiéter Romain Morizot. Membre du collectif Pensons l’aéronautique pour demain (PAD), ce dernier milite de longue date pour “sortir du greenwashing auquel on est confronté en permanence dans l’aéronautique”.

Ingénieur aéronautique, ce dernier est catégorique : “le principe des biocarburants n’est pas absurde en soi et si l’on souhaite s’émanciper des carburants fossiles, il faut bien que l’on réfléchisse à des solutions. Mais s’il faut couper toutes les forêts de France pour réussir à faire voler le trafic d’Orly par exemple, que ce soit avec le projet BioTjet ou pour un autre d’ailleurs, c’est qu’il y a un sérieux problème.

Un problème d’autant plus grand, selon l’ingénieur, que le secteur aéronautique semble loin d’être prêt à réduire sa cadence, au contraire, Airbus ayant par exemple récemment annoncé vouloir doubler sa flotte d’ici à 2042.

Miser autant sur la décarbonation d’un secteur qui continue à vouloir se développer, ça pose question”, poursuit l’ingénieur. Et de renchérir : “Tant qu’il n’y aura pas une vraie décarbonation de l’aviation, on s’aligne sur ce que disent les scientifiques, à savoir que la priorité absolue aujourd’hui, c’est d’abord de réduire le trafic.

“Les ressources de la forêt ne sont pas extensibles”

Alors qu’une première consultation publique a été organisée mi-octobre par les porteurs du projet BioTJet, l’association Canopée annonce pour sa part rester attentive aux échanges des prochaines semaines.

Ils nous ont dit qu’ils laissaient la porte ouverte aux discussions, qu’ils entendaient les inquiétudes suscitées par le projet, détaille Bruno Doucet, même même si on sait que le projet est déjà bien engagé”, confesse le chargé de campagnes.

Ce dernier fait référence aux 7,9 millions d’euros de subventions publiques que le projet a obtenu de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dans le cadre de l’appel à projets “Développement d’une filière de production française de carburants aéronautiques durables” France 2030.

Pas de quoi faire baisser les bras pour autant aux militants de l’association qui, pour l’heure, veulent continuer à assurer leur rôle de “lanceur d’alerte”.

“Ce qu’on veut rappeler, c’est que quel que soit le type de projets, même quand c’est pour faire du biocarburant, il faut d’abord partir de ce que la forêt est en mesure de donner, rappelle Bruno Doucet. Ensuite seulement se pose la question de la répartition des ressources. Mais les ressources de la forêt ne sont pas extensibles et malheureusement, on a tendance à l’oublier.”

Un projet qui met en exergue l’incompatibilité de se tourner vers des alternatives moins émettrices de gaz à effet de serre si nous ne questionnons pas d’abord les usages de l’énergie et nos besoins.

Cecile Massin

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