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Des scientifiques en rébellion relaxés pour « état de nécessité », une légitimation de leurs actions

« Les scientifiques ont des réticences à exprimer leurs inquiétudes dans un cadre formel, dans les articles, les rapports ou les médias, mais le disent de façon beaucoup plus claire dans leur intimité. La situation est tellement grave que certaines incertitudes ne pourraient en aucun cas justifier de ne rien faire. La désobéissance civile devient presque un impératif professionnel »

Poursuivis en justice pour s’être introduits dans le Muséum National d’Histoire Naturelle lors d’une action alertant sur l’extinction des espèces, des scientifiques ont été relaxés par la justice. Le juge a reconnu l’état de nécessité, estimant qu’il n’y avait aucun doute sur la gravité de la situation. Si le parquet a toutefois fait appel, cette décision pourrait constituer une jurisprudence bénéfique pour les mobilisations écologistes.

« Dire la vérité n’est pas un crime »

La banderole brandie par les scientifiques ce jour-là aurait-elle été prophétique ? Dans la soirée du samedi 9 avril 2022, une trentaine de scientifiques et militant·es se sont introduits au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), à Paris, pour alerter sur la perte de la biodiversité et la crise climatique au travers d’une conférence-occupation intitulée « La nuit de l’Extinction » retransmise en live sur Internet. Une opération co-organisée par les Scientifiques en Rébellion et Extinction Rebellion (XR). Sur la banderole accrochée en fond, le message suivant : « Dire la vérité n’est pas un crime ».

« Le but de l’action était de profiter du muséum pour lancer l’alerte sur la biodiversité, dans la galerie de paléontologie où il y a les mammouths et d’autres squelettes d’espèces disparues, avec une douzaine de petites conférences de 10 minutes chacune. C’était la première action de désobéissance civile organisée en France par le collectif Scientifiques en rébellion. Elle a eu lieu une semaine avant une grosse occupation des Grands Boulevards à Paris par XR, en préambule d’actions plus engageantes comme en Allemagne » raconte Pierre Mathieu, Scientifique en Rébellion et Professeur de mathématiques à l’université, pour La Relève et La Peste

Si le MNHN a tout de suite prévenu la police, l’institut scientifique a laissé l’action se dérouler. « Certains membres du groupe se sont attachés avec des chaînes et cadenas aux socles de certains spécimens dont le Mammouth de Durfort. Le choix a alors été fait de ne pas faire évacuer les personnes au vu du risque pour les collections et de la montée en tension que cela aurait pu générer » a expliqué le MNHN à La Relève et La Peste

Suite à cette action, le MNHN a tout de même porté plainte et réclamé un dédommagement de 950 euros pour frais de sécurité, mais ne s’est pas porté partie civile au procès. A la sortie de l’action, 18 personnes ont reçu des amendes administratives d’un montant de 300 euros par personne. C’est la contestation de ces amendes qui a conduit à deux procès, dont le premier en janvier 2024 a conduit à une relaxe pour « infraction non caractérisée ».

Dans un deuxième temps, le 26 septembre 2024, quatre autres militant·es ont été jugés au Tribunal de Police de Paris. Ils ont tous été relaxés au nom de l’état de nécessité, décrit de la manière suivante à l’article 122-7 du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

En France, plusieurs jugements ont déjà reconnu l’état de nécessité (tels que pour le décrochage des portraits d’Emmanuel Macron à Lyon ou l’action d’Extinction Rebellion dénonçant l’agroindustrie à La Rochelle).

« Reconnaître l’état de nécessité est une façon majeure de légitimer ce type d’actions de désobéissance civile en prenant en compte les enjeux des crises écologiques, la gravité de la situation et le fait que les impacts sont majeurs et déjà présents. Dans le droit français, c’est un peu la façon la plus forte que la justice a de reconnaître la légitimité de ces actions » sourit Pierre Mathieu, Scientifique en Rébellion et Professeur de mathématiques à l’université, pour La Relève et La Peste

Cependant, le parquet a fait appel à chaque fois, comme c’est le cas encore pour cette décision du tribunal de police concernant les scientifiques en Rébellion.

« Si ce jugement en première instance en France est indéniablement une victoire pour la défense de la biodiversité, le comportement du parquet s’inscrit dans une politique de répression anti-mouvements environnementaux qui est, selon le rapporteur spécial des Nations Unies Michel Forst, une menace majeure pour les droits humains et la démocratie » dénonce le collectif Scientifiques en Rébellion

Les scientifiques en rébellion

In fine, quoi de plus légitime que d’occuper un lieu de médiation scientifique pour alerter sur l’extinction de la biodiversité ? La plainte du MNHN a d’ailleurs créé une vague d’indignation et d’incompréhension au sein de la communauté scientifique. Une pétition soutenant les rebelles a reçu plus de 30 000 signatures. Isabelle Goldringer, chercheuse à l’Institut national de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (Inrae), a même démissionné du conseil scientifique du MNHN deux jours avant l’audience car elle trouvait la procédure judiciaire inadmissible.

« Le MNHN est une grande institution scientifique et cela me choque qu’une telle institution porte plainte contre des scientifiques. C’est un vrai problème. Cela semble indiquer qu’une institution universitaire, dont l’une des missions officielles est de parler de la crise de la biodiversité, n’a pas le même point de vue sur le rôle de la communauté scientifique dans la crise écologique » a réagi le scientifique Pierre Mathieu auprès de La Relève et La Peste

Confronté à la polémique, le MNHN s’est défendu auprès de La Relève et La Peste : « Le Muséum a la charge d’un patrimoine naturaliste unique, fragile et de très haute valeur scientifique. Ses collections constituent l’un des fondements de ses activités de recherche et de diffusion, par lesquelles il contribue à porter des messages forts sur la connaissance et la préservation du vivant. (…) Le Muséum ne peut accepter des intrusions non autorisées sur ses sites ni la mise en danger des collections naturalistes dont il a la charge. »

Reste donc à savoir si le MNHN aurait laissé l’action se dérouler si certains militants ne s’étaient pas accrochés aux squelettes ? De plus en plus, les scientifiques quittent leur posture de neutralité pour alerter sur l’effondrement du Vivant et le franchissement des limites planétaires. En cause : l’inaction politique qui méprise leurs mises en garde, ainsi que le détaille le livre « Sortir des labos pour défendre le vivant », écrit écrit collectivement par Scientifiques en Rébellion, regroupant 1 000 scientifiques de toutes disciplines.

« Mon domaine, c’est les mathématiques, mais ma formation scientifique me rend sensible aux discours d’instances comme le GIEC et l’IPBES. Je côtoie des gens qui travaillent sur l’océan ou d’autres matières écologiques, mes collègues sont très inquiètes et inquiets. Les scientifiques ont des réticences à exprimer leurs inquiétudes dans un cadre formel, dans les articles, les rapports ou les médias, mais le disent de façon beaucoup plus claire dans leur intimité. La situation est tellement grave que certaines incertitudes ne pourraient en aucun cas justifier de ne rien faire. La désobéissance civile devient presque un impératif professionnel » explique Pierre Mathieu, qui enseigne aussi dans une école d’ingénieurs à Marseille, pour La Relève et La Peste

Parfois, la négociation permet d’obtenir gain de cause. Le collectif « Scientifiques en Rébellion » maintient ainsi le dialogue avec le comité d’éthique du CNRS. Suite à une alerte des scientifiques, le comité d’éthique du CNRS a émis un avis très négatif sur la campagne de la compagnie du Ponant qui organise des croisières pour aller voir fondre la banquise en prenant pour prétexte d’inviter des scientifiques à bord.

Si la procédure en appel va encore prendre plusieurs mois, la justice française pourrait à nouveau stipuler que « plutôt que de condamner les scientifiques, il vaut mieux les écouter ». Un combat judiciaire qui n’arrêtera pas les scientifiques sur le terrain : « Tant que les politiques ne changeront pas de cap – et il y a urgence à les y obliger – les blouses blanches se mobiliseront » concluent-ils.

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Laurie Debove

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