Quatre ans après son adoption, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, dite loi AGEC, n’atteint pas ses objectifs. Les associations qui luttent pour son application tirent un “bilan assez négatif” et accusent les industriels d'avoir fait pression pour détricoter la loi.
100 kilos de déchets en plus par personne en 10 ans
Les objectifs étaient clairs, changer nos modes de production et de consommation. En outre : atteindre les 100% de plastique recyclé en 2025, diminuer de 15 % la production de déchets d’ici 2030, et sortir du plastique à usage unique à l’horizon 2040.
Pourtant, selon Charlotte Soulary, responsable plaidoyer de Zero Waste France, “on assiste à une croissance du niveau de déchets en France”.
Alors que la loi fixe un objectif de réduction de 15% des déchets ménagers et assimilés par rapport à 2010, pour atteindre 502 kg/habitant en 2030, ces déchets ont en réalité augmenté, passant à 611 kg/habitant en 2021 selon l’ADEME.
Cinq associations ont suivi l’application de la loi : les Amis de la Terre, No Plastic In My Sea, France Nature Environnement, Surfrider Foundation Europe et Zero Waste France. Ces dernières pointent principalement la “remise en cause” incessante des industriels qui cherchent “à contourner et amoindrir la loi”, ainsi que “l’absence de contrôle” et des “sanctions très faibles et pas appliquées”.
Une loi “vidée de son sens”
La fin progressive du plastique à usage unique se heurte à une multitude de recours de la part des lobbys agro-industriels. Début 2022, la loi prévoyait l’interdiction du suremballage plastique des fruits et légumes frais de moins de 1,5 kilogramme. Quelques exceptions existaient mais celles-ci étaient limitées dans le temps, une façon d’accorder une période d’adaptation aux industriels
Quelques mois plus tard, un décret revenait sur la mesure. Au total, 29 produits connaissaient une exemption non limitée dans le temps pour des risques de détérioration. C’est notamment le cas des champignons, des carottes, des endives, ou encore des pommes de terre primeurs pour lesquels les risques sanitaires ne sont pas avérés.
La loi a été « vidée de son sens à cause des lobbys industriels » juge Axèle Gibert, coordinatrice du réseau prévention des déchets France Nature Environnement.
Les gobelets qui comprennent plus de 8% de plastique ont été interdits, ce qui aurait dû favoriser les écocups ou autres vaisselles réutilisables. Mais dans les faits, ces gobelets continuent d’être commercialisés par de nombreuses structures, idem pour les sacs en plastique (sacs légers d’une épaisseur de moins de 15 microns), prohibés par la loi mais achetables facilement sur internet.
Les industriels réussissent à détourner un bon nombre d’interdictions. Certains d’entre eux apposent “réutilisables” sur leurs produits en plastique pour qu’ils ne rentrent plus dans le champ de “usage unique”. Une technique s’apparentant à une pratique commerciale trompeuse selon l’État mais qui n’est pas contrée car “il n’y a pas de contrôle” s’indigne Axèle Gibert.
Chargée des inspections pour faire respecter l’application de la loi, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes a perdu 1 000 agents en 15 ans.
“La loi Agec accroît les sanctions, et donc devrait accroître les capacités de contrôle” alerte Charlotte Soulary.
Augmentation des bouteilles en plastique
Au total, 15 milliards de bouteilles en plastique sont mises sur le marché chaque année. Entre 2021 et 2022, leur nombre a augmenté de 4%.
“Cela remet en cause des jalons majeurs de la loi et notamment la réduction de 50% des bouteilles plastiques en 2030”, déplorent les associations.
Il faudrait aujourd’hui atteindre les -10% par an pour réaliser les objectifs de diminution. Les obligations d’utilisation de vaisselles réemployables pour la restauration sur place, ou d’installations de points d’eau dans les établissements recevant du publics (ERP) “ne sont pas respectées”. Selon les associations, seulement 25% des EPR respectent la loi. Ce niveau atteint même les 15% concernant la SNCF.
“Les ambitions de la loi AGEC sur la réduction des plastiques et emballages à usage unique pour les secteurs de la restauration et des boissons sont malheureusement remises en cause car peu appliquées » regrette Muriel Papin, Déléguée Générale de l’association No Plastic In My Sea.
“Produire moins et mieux”
Le constat est sans appel, selon les associations “la loi AGEC n’est pas parvenue à impulser un véritable changement de paradigme en faveur d’une société plus sobre”. Principalement axée sur l’amélioration de la gestion des déchets, la loi ne s’attaque que trop peu au souci de “produire moins et mieux” analyse Pierre Condamine, chargé de surproduction aux Amis de la Terre France.
Le volet de lutte contre l’obsolescence programmée prévoyait des aides financières pour les consommateurs se rendant chez un réparateur. La mesure devait permettre le remboursement de 20% des coûts de réparation. Un an après son lancement, le gouvernement a rétropédalé et abaissé le taux à 10%.
“Un véritable retour en arrière en matière de protection de l’environnement. Mais nous n’avons pas dit notre dernier mot : le Conseil d’État a été saisi et la justice suit son cours” explique Bénédicte Kjaer Kahlat, responsable des affaires juridiques de Zero Waste France.
Depuis 2022, seulement 160 000 réparations ont eu lieu. Sur la même période, le nombre de produits neufs avec écran achetés est de 1,5 milliards d’unités.
“Ces bonus sont beaucoup trop faibles. Ils sont de l’ordre de 20 à 30€. Une réparation coûte la moitié d’un appareil neuf” insiste Bénédicte Kjaer Kahlat.
“On fait face à une abondance croissante de produits neufs, produits en masse et à bas coût, là où la loi AGEC se cantonne à améliorer à la marge la manière dont nous gérons nos déchets,” constate Pierre Condamine, chargé de surproduction aux Amis de la Terre France.
Selon le Ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, “il faut faire de la pédagogie avant d’appliquer une loi”. Une idée qui est devenue le principal argument des décrets d’exemptions ou de diminution temporaire des normes de la loi AGEC.
Seulement, à chaque fois qu’un temps pédagogique est accordé pour laisser le temps aux industriels de s’adapter, ces derniers en profitent pour détricoter la loi. Un pas en avant, trois pas en arrière.