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« 20% des agriculteurs les plus riches reçoivent 80% des aides de la PAC, le gouvernement doit agir »

« La France pourrait redistribuer complètement autrement la PAC. Les Etats membres ont la possibilité de plafonner les aides la PAC. Rien n’empêche la France de plafonner les aides de la PAC à 100 000 euros par agriculteur, ce qui libérerait un volume financier énorme. Ce plafonnement n’écrêterait que les grosses structures, c’est bien la preuve que les gens qui sont à la manœuvre sont ceux qui ont intérêt à ne pas ce que ça change »

Pris à la gorge par des difficultés économiques, les agriculteurs mènent des actions dans près de 85 départements cette semaine. En France comme dans toute l’Union Européenne, des inégalités de salaires énormes existent entre les agriculteurs tandis que l’agroalimentaire engrange les superprofits. Dans les barrages, ils réclament avant tout une chose : une meilleure rémunération et protection.

Une colère contre l’international

Tout a commencé discrètement à l’automne avec le syndicat des Jeunes agriculteurs. Le mouvement « On marche sur la tête » a retourné les panneaux d’entrée de nombreuses communes rurales pour protester contre une hausse des taxes sur les pesticides et la consommation d’eau, ainsi que le retard de paiement de certaines aides européennes de la PAC (Politique agricole commune). Leurs revendications ont été entendues, les subventions versées et l’augmentation abandonnée.

Mais le mal-être était bien plus profond, en atteste tragiquement le nombre de suicides dans la profession (au moins 1 par jour). Tout comme leurs homologues allemands, roumains et polonais, les agriculteurs français ont donc décidé de descendre dans la rue pour crier leur détresse. En cause : une précarisation alarmante de la profession, qui se voit imposer de plus en plus de normes sans accompagnement financier à la hauteur, ni protection.

« Ce qu’on vit aujourd’hui, c’est le résultat de décennies d’ultra-libéralisation de l’agriculture et l’alimentation en France qui met en concurrence les paysans les uns contre les autres. C’est vrai en France, en Europe et partout dans le monde. Aujourd’hui, 200 fermes disparaissent chaque semaine en France. Derrière, ce sont des femmes et des hommes qui perdent le travail de toute une vie. Le tout accompagné d’inégalités de revenus colossales »

La Confédération paysanne dénonce notamment les accords de libre-échange qui mettent en concurrence « de façon plus crue et directe » les agriculteurs français et ceux à l’international, malgré des systèmes de productions et des normes complètements différents.

Tout les petits fermiers sont perdants. En France, les agriculteurs sont lésés par la distorsion de concurrence provoquée par la mondialisation. Tandis que dans les pays du Sud, les petits paysans, dont dépendent les populations locales pour se nourrir, se font écraser par l’agroindustrie chimique exportatrice.

« On a démonté un MacDo en 2000 pour le dénoncer, rappelle Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne pour La Relève et La Peste. On le voit avec le CETA (un projet d’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada, ndlr) qui n’est toujours pas ratifié mais pourtant appliqué. Des contingents de nombreux produits agricoles sont arrivés en France avec des incidences dramatiques. Comme l’entrée massive du colza qui a chamboulé son cours dans le pays au détriment de nos agriculteurs mais au profit des agroindustriels qui le transforment tel que le groupe Avril, dont le propriétaire Arnaud Rousseau est aussi le patron de la FNSEA » décrypte l’agricultrice

Le RN est particulièrement hypocrite en la matière. Le parti d’extrême-droite tente de récupérer la colère des agriculteurs alors que sa majorité parlementaire au Parlement Européen a voté en faveur de l’accord de libre-échange entre l’UE et la Nouvelle-Zélande, ratifié en décembre. Mercosur, Mexique, Chili, Australie ou encore Kenya, de nombreux autres projets de libre-échange sont actuellement à l’étude par la Commission européenne.

Des inégalités de revenus colossales

Plutôt que de cibler les accords de libre-échange en ces temps de crise sociale agricole, la FNSEA s’en prend avant tout aux politiques européennes récemment adoptées en faveur de l’environnement. Mais ces dernières ne sont pas encore entrées en vigueur.

« Ils accusent la loi sur la restauration de la nature, le Green Deal, la stratégie « Farm to Fork », celle pour la biodiversité, la directive des émissions industrielles, alors que rien n’a commencé ! aucune mesure n’a été lancée ! Ce sont des projections mais aujourd’hui RIEN n’est en vigueur, donc cela n’existe pas encore en vérité » réagit l’eurodéputé EELV et agriculteur Benoît Biteau, auprès de La Relève et La Peste

Pour autant, la réponse adaptée à la situation ne serait pas de supprimer les normes comme le réclame la FNSEA. Cette stratégie pourrait même être contre-productive ainsi que nous l’explique Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne.

« Moins de normes veut dire plus de libéralisation des marchés. Certaines sont carrément inadaptées et doivent être modifiées. Mais les normes sont d’abord un moyen de protection face au marché et à la concurrence pour les paysans et les consommateurs, la terre, l’eau, les sols et la biodiversité, tout dont on a besoin pour continuer à produire de la nourriture à moyen terme. Pareil sur les conditions socio-économiques, les normes sont absolument nécessaires et doivent être réciproques, s’adapter à tout le monde pareil. Faire croire aux gens qu’avec moins de normes on aura plus de revenus, c’est faux »

La captation des revenus agricoles se fait d’abord au profit de l’agroalimentaire. En 2023, pendant que le prix des courses a augmenté de 12%, et que 18% des ménages agricoles vivaient sous le seuil de pauvreté, les marges de l’industrie agroalimentaire ont, elles, explosé de 48% selon l’Insee.

D’après l’Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM), l’agriculture ne reçoit que 10 % de la valeur ajoutée agroalimentaire. Les lois Egalim adoptées récemment pour protéger les rémunérations des agriculteurs n’ont servi à rien en l’absence d’une intervention directe de la puissance publique pour forcer l’industrie agroalimentaire à appliquer la loi.

Et les agriculteurs le dénoncent clairement par leurs actions devant les banques, les enseignes de grande distribution, ou des mastodontes de l’agro-industrie tel que Lactalis, « la coopérative laitière qui paie le moins bien alors que c’est le numéro 1 mondial de transformation de lait » précise un agriculteur.

En 2021, une enquête du média indépendant Basta mettait en avant les différences énormes de revenus entre les dirigeants des coopératives agricoles et les agriculteurs. Les premiers touchaient en moyenne 16 380€ par mois, alors que le salaire moyen des agriculteurs était de 1730€ par mois, et même seulement 620€ par mois pour les 20% d’agriculteurs les plus pauvres.

Cruauté de l’histoire, ces disparités se retrouvent entre les agriculteurs eux-mêmes à cause de la Politique Agricole Commune et de son incitation à l’agrandissement perpétuel des fermes.

« Le principal sujet, c’est l’économie. 80% des aides publiques sont mobilisés par 20% des agriculteurs ce qui crée la principale et grande disparité de revenus entre ceux qui ont des grandes surfaces et ceux qui ont des fermes familiales. L’autre grand écueil, c’est que comme il n’y a pas de conditionnalités aux aides, les gros utilisateurs de pesticides sont aussi les plus grands bénéficiaires de cette PAC » dénonce l’eurodéputé EELV et agriculteur Benoît Biteau, auprès de La Relève et La Peste

En France, la Politique Agricole Commune (PAC) représente une enveloppe budgétaire de 9 milliards d’euros par an. Avec un tel montant, elle façonne quasi-entièrement le paysage agricole et alimentaire français. Supposée aider les agriculteurs, la PAC profite notamment à des géants de l’agro-alimentaire dont le modèle délétère encourage l’industrialisation à outrance de l’agriculture au détriment de l’intérêt général, la dégradation des conditions de vie et la précarisation des plus petits paysans, mais aussi des nuisances majeures pour l’environnement et le bien-être animal.

Dans le territoire français, 20% des plus gros agriculteurs possèdent 52% des terres agricoles et touchent ainsi 35% des aides européennes.

Des solutions pour sortir de la crise

La dernière PAC a été tellement vidée des aides en faveur de l’environnemental que les écologistes s’y étaient opposés, à l’inverse du RN qui l’avait adoptée à l’unanimité. En vigueur de 2023 à 2027, les Etats membres peuvent toujours influer sur la PAC durant cette périoe.

« La France pourrait redistribuer complètement autrement la PAC. Les Etats membres ont la possibilité de plafonner les aides de la PAC. Rien n’empêche la France de plafonner les aides de la PAC à 100 000 euros par agriculteur, ce qui libérerait un volume financier énorme. Ce plafonnement n’écrêterait que les grosses structures, c’est bien la preuve que les gens qui sont à la manœuvre sont ceux qui ont intérêt à ne pas ce que ça change » accuse l’eurodéputé EELV et agriculteur Benoît Biteau, auprès de La Relève et La Peste

Le plafonnement des aides de la PAC a ainsi été mis en vigueur par l’Espagne. La filière bio traverse une crise majeure en France car elle n’est pas soutenue par les décisions gouvernementales. La Commission Européenne a même épinglé la France à ce sujet car c’est l’un des seuls pays européens, voire le seul, qui soutient moins le bio que l’agroindustrie.

Les agriculteurs font partie des populations en première ligne face au dérèglement climatique qui entraîne un effondrement de la productivité agricole en Europe. Transformer l’agriculture n’a jamais été aussi urgent mais les scientifiques ne sont pas écoutés.

« Les mégabassines sont une illustration supplémentaire de maladaptations et fuites en avant qui ne règlent pas du tout le problème. On pourra faire autant de mégabassines qu’on veut, on ne règlera pas le souci de la sécheresse. On doit réfléchir à une autre façon d’aménager le territoire pour ralentir l’eau, la retenir et abreuver tout le paysage. »

Cette maladaptation a un coût : sur les 4 départements de Poitou-Charentes, 400 millions d’euros d’argent public sont investis pour seulement 6% des agriculteurs de la région. Pour Benoît Biteau, ces 400 millions pourraient accompagner la transition agroécologique de tous les agriculteurs.

Un constat partagé par la Confédération paysanne qui a récemment été surprise par le nombre d’agriculteurs favorables à une transition de leurs pratiques, si et seulement si l’argent qui subventionne l’agroindustrie soit ré-aiguillé afin de leur assurer des revenus décents.

Laurie Debove

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