Ce 21 octobre, près de 10 000 personnes ont convergé sur le tracé de la polémique A69 afin de rappeler leur opposition à ce projet “anachronique, injuste et écocidaire”. Appelée “Ramdam sur le Macadam”, l’opération a vu naître un faux péage, l’attaque d’entreprises de BTP impliquées dans le chantier et une nouvelle ZAD... Face au déni démocratique du projet, les opposants sont déterminés à tout faire pour stopper le chantier.
Une longue phase de tension
Aux alentours de Toulouse, la mobilisation n’a pas faibli depuis la journée de manifestation du 22 avril dernier. Ce samedi, l’appel a été lancé pour une nouvelle journée de protestation contre l’autoroute A69, rassemblant cette fois encore des personnes venues des quatre coins de la France.
« On sort d’une longue phase de tension après des grèves de la faim qui ont duré plus de 40 jours et se sont terminées par des grèves de la soif de 3 militants du GNSA.
Durant ces 43 jours, on a tout fait pour établir un dialogue avec les porteurs du projet, c’est-à-dire Carole Delga, Emmanuel Macron, Clément Beaune. On en est ressortis très déçus, très amers, étant donné que ça s’est finalement terminé par une suspension de 3 jours des abattages, selon le ministère, mais qui en réalité se poursuivaient.
On a eu le sentiment pendant ces trois jours qu’il y avait une volonté de mettre de l’huile sur le feu”.
“ Il y a 85 000 signatures sur une pétition, 2000 scientifiques qui dénoncent cette autoroute et 150 agriculteurs opposés. Il y a aussi le commissariat général de l’investissement qui dénonce une autoroute parallèle à une route publique qui n’est pas du tout saturée et qui serait déficitaire.
Il y a une volonté de criminaliser la lutte parce qu’ils sentent très bien qu’on a gagné la bataille de l’opinion publique”.
Voilà pour le contexte, expliqué par des militantes et militants de La Voie Est Libre et Extinction Rébellion Toulouse. La revendication est claire : la suspension du chantier le temps de mettre en place un projet avec une expertise socio-économique indépendante et une consultation citoyenne.
Tous les jours des arbres abattus
Ce samedi 21 octobre, près de 10 000 manifestantes et manifestants se retrouvent à Saïx, entre Castres et Toulouse. Il s’agit à la fois de personnes venues de l’autre bout de l’Hexagone et de celles directement impactées par le projet.
« Je voudrais juste témoigner de la grande tristesse des personnes qui vivent le long de cet autoroute », confie Cécile Barea, engagée au sein de La Voie Est Libre.
«Tous les jours, elles voient les arbres abattus, les terres agricoles saccagées, les haies détruites, alors qu’elles sont des corridors de biodiversité. Moi je prends cette route pour aller travailler.
L’autre jour, ils étaient en train de creuser un trou et à pas moins de 3 mètres de profondeur il y avait de l’eau. On est en fond de vallée, l’eau est toute proche, donc il y a des risques de pollution de la nappe phréatique ».
Au-delà de l’enjeu local
Pourtant, il semble évident que cette lutte va désormais bien au-delà de la seule opposition à un projet autoroutier.
« Il s’agit de défendre le territoire, les personnes qui habitent dans ce lieu, des milieux de vie. Mais les luttes locales, c’est ce qu’on voit aujourd’hui, touchent tout de suite à des enjeux qui les dépassent », analyse Geneviève Azam, économiste et membre de l’Atécopol, l’Atelier d’écologie politique pour La Relève et La Peste
« Je crois qu’il y a une conscience très forte que c’est un projet irréversible et qui structure pour longtemps toute une région. Donc c’est une infrastructure qui installe un monde, ce monde-là dont nous devrions absolument nous défaire.
Et ensuite, ce que je constate ici de manière exemplaire, c’est un phénomène d’horizontalité de la lutte, qui permet à des associations, des mouvements de se retrouver sur un combat commun. Elles peuvent parfois avoir des divergences, mais il y a la reconnaissance d’une complémentarité des actions, des tactiques. Et cela donne quelque chose de puissant ».
Un combat commun
LVEL (La Voie Est Libre), XR (Extinction Rébellion), la Confédération Paysanne, le GNSA (Groupe national de surveillance des arbres), Les Soulèvements de la Terre, Attac, Solidaires…..
Les bannières témoignent de cette impressionnante pluralité. Pourquoi tant de personnes et de mouvements différents se retrouvent-ils au sein de cette lutte ?
« L’explication est très simple », remarque Jibon, grimpeur du GNSA. « On ne peut plus ignorer ce qu’il se passe, ne pas constater qu’il fait 35°C en octobre et que ce n’est pas normal, que les arbres bourgeonnent en septembre, que des platanes n’ont plus de feuilles à cause de la sécheresse. Donc la mobilisation est simplement logique.
On est passés par plein d’étapes avant. Il y a eu des négociations, les scientifiques ont essayé de faire ce qu’ils pouvaient, certains politiques aussi…
L’autoroute A69, il y a 1 an ou 2, ne concernait pas autant de monde. Maintenant on se rend compte qu’on en parle aussi à l’international. Cela va peut-être devenir un emblème de tous ces projets écocides et complètement anachroniques ».
Une certaine motivation était néanmoins nécessaire pour participer à cet événement. Comme en avril, les transports en commun menant à Saïx ont été bloqués. Un groupe de manifestants raconte s’être fait contrôlé 7 fois en venant de Castres, mettant 2 heures et demi pour accomplir un trajet de moins de 15 minutes en temps normal.
Ces barrages n’ont pas stoppé les milliers de personnes qui ont convergé vers le lieu, certaines venues à vélo depuis Toulouse ou arrivées au milieu de la nuit.
« Ce n’est pas un front ou un bloc d’associations qui convergent, qui se seraient mises d’accord en niant toute une partie d’elles », précise pour sa part Geneviève Azam.
« Ce qui unit, c’est une inquiétude très forte par rapport aux menaces qui sont devant nous, une connaissance partagée des alertes et le fait de les prendre en compte très concrètement, et l’idée aussi que maintenant il s’agit de passer à l’action ».
Une rationalité absente
Pour Thomas Brail, fondateur du GNSA tout juste sorti de sa grève de la faim et de la soif, « ce sujet de l’A69 englobe énormément de problématiques. La problématique des terres agricoles qui sont nourricières pour nos enfants, on a perdu l’autonomie alimentaire en France, on artificialise l’équivalent d’un département tous les 7 ans… On ne fait pas une autoroute pour 8000 véhicules/jour »
L’aspect irrationnel de ce projet apparaît désormais comme évident.
« On sait très bien, et il n’y aucun cas qui prouve le contraire, que les autoroutes enclavent les territoires intermédiaires entre le point d’arrivée et le point de départ », poursuit Geneviève Azam.
« Dans les discussions actuelles sur l’autoroute, on n’est plus dans le rationnel. C’est un projet politique, qui tient à une vision héritée d’il y a 30 ans, sans doute, selon laquelle l’autoroute c’était la modernité.
Et il faut penser aussi que toutes les installations qui vont suivre l’autoroute, c’est-à-dire les grandes surfaces qui vont s’installer, éventuellement de grands entrepôts, tout ça c’est le monde d’avant. C’est le monde qui nous a conduits dans la situation dans laquelle nous sommes ».
Désobéissance civile
C’est dans cette volonté de lutter à la fois contre cette autoroute et contre le monde auquel il appartient que la manifestation s’ébranle, au départ du campement installé sur un terrain prêté par un agriculteur.
Celle-ci est divisée en 6 cortèges portant chacun un but différent, et que chaque personne mobilisée peut rejoindre librement. Le cortège principal comprend de nombreuses familles.
« Élu.es, laissez béton », « Pas de pays sans paysans », « État de droit dans le mur », “Le capitalisme à la retraite” peut-on lire sur les banderoles, ou encore « Si on a besoin d’écureuils c’est que vous êtes tous des glands », en référence au GNSA.
La longue file colorée s’étire au rythme de la musique et des percussions à travers la campagne. En passant à proximité des maisons, les riverains remplissent les gourdes des manifestantes et manifestants.
Cependant, « il y a avait aussi la volonté d’accomplir des actions de désobéissance civile contre le chantier », rappelle Léna Lazare, membre des Soulèvements de la Terre. D’où l’action de l’un des cortèges au sein d’une centrale à béton.
« On voulait marquer de manière symbolique, notre opposition aux bétonneurs de la région », détaille Léna Lazare. « Ce qui était prévu était de mettre des banderoles sur les silos et de repeindre les locaux. Des personnes ont mis le feu à deux bétonneuses, ce n’était pas pensé par l’organisation mais on comprend tout à fait que des personnes en arrivent là ».
Un projet illégal
Un autre cortège investit de son côté un ancien corps de ferme exproprié, situé à proximité du campement, malgré les 200 tonnes de lisier répandues illégalement pour dissuader une potentielle occupation.
« Si on veut construire un projet de territoire, il faut le construire avec les habitants », martèle Cécile Barea.
« On est en 2023 aujourd’hui, on ne peut pas se faire imposer des projets comme ça, maintenant la population ne l’accepte plus. On ne s’arrêtera pas, parce qu’on est dans notre droit. Il y a des lois environnementales, et ces lois ne sont pas respectées. »
« Ce que je trouve inquiétant, c’est comment aujourd’hui on assiste à une déconstruction assez méticuleuse du peu de réglementation environnementale que nous avions, et surtout du déni des alertes », remarque Geneviève Azam à ce sujet.
La soirée commence, et la Cremzad s'installe durablement, avec beaucoup de soutien 💪
MERCI d'avoir été là et d'avoir rendu cette journée possible.
On continue, on soutient la Cremzad, on continue d'empêcher les travaux. NO MACADAM ! pic.twitter.com/bkRbDnAK64— Les Soulèvements de la terre (@lessoulevements) October 21, 2023
La crédibilité des politiques
La manière dont le projet continue d’être défendu par le corps politique pose en effet question.
« Il y a d’autres grands projets inutiles et imposés, comme le projet des Gravières ou les deux usines de fabrication de goudron, qui sont en perspective. Donc je pense que dans leur raisonnement c’est aussi : on ne lâche pas sur celui-là parce qu’il n’est pas question qu’on lâche sur les autres », poursuit l’économiste.
« Le problème de nos politiques, c’est que quand ils sont décidé quelque chose ils croient qu’ils peuvent pas reculer, parce qu’ils ont l’impression qu’ils vont perdre de la crédibilité aux yeux des citoyens », confie quant à lui Thomas Brail auprès de La Relève et La Peste.
« Mais à partir du moment où les temps changent, où il y a de nouvelles données qui arrivent tous les jours, c’est l’inverse. Ils gagneraient en crédibilité à dire : ce projet a 30 ans, il est vieux, on s’est trompés, recommençons en changeant de logiciel ».
« Cette autoroute, économiquement c’est une absurdité », rappelle Geneviève Azam. « C’est intéressant. Parce que je crois que les élus locaux doivent penser que dans 3 ans on n’en parlera plus. Or je suis convaincue que dans 3 ans, si elle se fait, on en parlera comme d’un immense échec ».
En attendant, les différents cortèges se sont retrouvées au pied du grand chapiteau rouge et jaune, pour des jeux, des spectacles, des apéros et des concerts, comme pour illustrer cette injonction taguée sur un bâtiment occupé : « D’abord, la joie ».
La mobilisation continue avec l’occupation du corps de ferme de la Crémade, qui s’organise peu à peu. L’appel est lancé pour renforcer la présence sur les lieux, et en cas d’expulsion de manifester à Toulouse le samedi suivant.