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135 agriculteurs ont augmenté leurs revenus en supprimant les pesticides dans les Deux-Sèvres

« Quand on cumule la réduction de pesticides, d'azote et de gazole, cela devient spectaculaire. Jusqu'à 100 euros peuvent être économisés par hectare »

Créée il y a 30 ans par le directeur de recherche au CNRS Vincent Bretagnolle, la « Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre » abrite une expérimentation inédite qui permet de concilier réduction des pesticides et augmentation des revenus agricoles. Décryptage.

Depuis de longues semaines, la colère des agriculteurs déferle dans la rue et à la Une des JT. Sur les plateaux télé, les raccourcis sont nombreux. Agriculteurs et militants écologistes sont régulièrement renvoyés dos à dos, comme appartenant à deux mondes à jamais irréconciliables. Pourtant, dans les Deux-Sèvres (Nouvelle-Aquitaine), la « Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre » invite de longue date à porter un regard plus nuancé sur le lien entre agriculture et préservation de la biodiversité.

Créée il y a tout juste 30 ans par Vincent Bretagnolle, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et membre du Centre d’études biologiques de Chizé (CEBC), cette Zone Atelier est un laboratoire à ciel ouvert situé dans le sud du département, près de Chizé. D’une surface de 450 km2, le site d’études est constitué de zones bocagères, de zones d’agriculture intensive, de prairies plus ou moins humides, ainsi que de 450 exploitations agricoles.

Sur place, l’équipe de recherche du CEBC, qui compte aussi des chercheurs de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), a initialement documenté la disparition d’oiseaux comme les busards cendrés, qui nichaient en milieu céréalier.

« En observant ces oiseaux et leur disparition, on s’est rendu compte que leurs nids étaient moissonnés, entame Vincent Bretagnolle pour La Relève et La Peste. A partir de là, on a commencé à faire le lien entre la sauvegarde de ces espèces et les pratiques des agriculteurs, et on a donc commencé à entrer en contact avec eux. »

Des rendements agricoles toujours égaux

Diminuer de 25% l’usage des pesticides

De fil en aiguille, l’équipe de recherche décide de travailler sur les effets de l’agriculture sur la biodiversité autant que sur les effets de la biodiversité sur la production agricole. A partir de 2012, les chercheurs mettent ainsi en place une expérimentation inédite, qui entend proposer aux agriculteurs volontaires de la Zone de réduire de minimum 25% leur usage de pesticides.

« A cette période, le plan Ecophyto venait d’être lancé [initié en 2008, ce dernier a d’abord eu pour objectif de réduire de 50% l’usage des pesticides d’ici à 2018, NDLR], détaille Vincent Bretagnolle. En lien avec les agriculteurs, on s’est demandé ce qu’il se passerait si on réduisait les pesticides de moitié. »

Dès le départ, l’équipe de recherche décide de mettre en place un protocole expérimental adaptable à chaque agriculteur participant à l’expérimentation. L’objectif : que ces derniers aient la plus grande marge de manœuvre possible, afin d’être véritablement partie prenante du protocole.

« Ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui décident de la taille de la parcelle où ils veulent réduire l’utilisation de pesticides, le type de cultures concernées, la durée de l’expérimentation… développe le directeur de recherche au CNRS. C’est assez loin de ce qu’on image habituellement d’un protocole très standardisé, mais notre postulat de départ, c’était que si les agriculteurs étaient volontaires, ça pourrait les amener plus facilement à un changement de pratiques. Le seul critère à respecter, c’était de réduire les pesticides de minimum 25%. De notre côté, on s’est engagé à faire un suivi. »

Un champ sans pesticides

Réduire les pesticides, augmenter les revenus

Lancée il y a plus de dix ans, l’expérimentation a, jusqu’à ce jour, concerné plus de 135 agriculteurs sur les 450 exploitations agricoles présentes sur la Zone Atelier. Et sur les 600 parcelles concernées de la Zone Atelier, le résultat est sans appel.

« Les expérimentations ont montré que réduire de 25 à 50% les engrais et pesticides ne baisse pas, en moyenne, significativement les rendements, développe Vincent Bretagnolle pour La Relève et La Peste. Au contraire, ça augmente le revenu des agriculteurs par réduction des charges. Quand on cumule la réduction de pesticides, d’azote et de gazole, cela devient spectaculaire. Jusqu’à 100 euros peuvent être économisés par hectare », poursuit le spécialiste.

Pourtant, malgré ces résultats probants, peu d’agriculteurs ont fait évoluer leurs pratiques, constate le directeur de recherche. Si l’utilisation de pesticides n’augmente pas sur la Zone Atelier, elle ne diminue pas non plus. Une stagnation qui s’explique autant par les attentes des consommateurs que celles des filières de production agricole, selon Vincent Bretagnolle.

« Si l’on prend l’exemple des fruits par exemple, les consommateurs veulent des pommes belles, standards, alors qu’en agroécologie, l’apparence des pommes est plus variable, elles ne se ressemblent pas toutes… La réduction des pesticides constitue un mode de production qui rentre en conflit avec les processus industriels, qui segmentent et standardisent », regrette-il.

Sans pesticides, les pollinisateurs reviennent – Crédit : Fabien Vialloux

Un dispositif à contre-courant des décisions étatiques

Loin des standards industriels, le modèle agricole défendu à travers la réduction de l’usage de pesticides ne correspond pas non plus aux politiques que mène le gouvernement actuel, au grand dam de Vincent Bretagnolle, qui fustige notamment la suspension, en février dernier, du plan Ecophyto. Ce dernier visait à diminuer de moitié l’utilisation des pesticides d’ici 2030 par rapport à la période 2015-2017.

« C’est une très mauvaise nouvelle pour les agriculteurs et pour leur santé, lâche le directeur de recherche pour La Relève et La Peste. Ce sont les agriculteurs les premières victimes des pesticides en matière de santé humaine ! C’est aussi une mauvaise nouvelle pour la biodiversité, bien sûr, étant donné que les pesticides constituent la première cause de déclin de la biodiversité… On perd vraiment du temps inutilement, d’autant que pour les agriculteurs, l’urgence numéro un, c’est leur revenu et nous, ce qu’on démontre, c’est justement qu’on peut améliorer les revenus en préservant mieux la biodiversité. »

Vers un changement complet de paradigme

Convaincu que le gouvernement finira par « revenir » sur la suspension du plan Ecophyto, le directeur de recherche continue, lui, à poursuivre ses expérimentations au sein de la Zone Atelier des Deux-Sèvres.

Les chercheurs du CNRS et de l’Inrae y ont d’ailleurs étendu leurs recherches aux thématiques de l’alimentation et de la santé, en impliquant dans un nouveau programme axé autour du circuit court, du recyclage ou encore du gaspillage, les 28 communes et 34 000 habitants de la Zone Atelier.

« Les consommateurs, ce sont les habitants. Si on veut réussir la transition agroécologique, il faut réhabituer les consommateurs à manger des produits de saison, pas standardisés, et recréer du lien entre les agriculteurs et les habitants. Sans eux, cela ne pourra pas marcher », souligne Vincent Bretagnolle.

Et de conclure : « Le discours que l’on porte a parfois du mal à être entendu parce qu’il implique de changer complètement de paradigme, mais face à l’effondrement de la biodiversité, il est plus qu’indispensable de prendre ce virage à 180°. »

Cecile Massin

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