Membre du Low-Tech Lab depuis 2016, Quentin Mateus a monté les Enquêtes du Low-Tech Lab, qu’il a coordonnées jusqu’en 2022. Ces enquêtes de terrain, en partant à la rencontre des premiers acteurs professionnels de la low-tech en France, documentent et partagent leur expérience. Le jeune homme co-anime à présent avec sa collègue Julie Mittelmann et différents partenaires un projet collaboratif réunissant l’ADEME et les acteurs du territoire de Concarneau, en Bretagne, lieu d’implantation du Low-Tech Lab. Ces années de recherches et de rencontres lui ont permis de construire une fine compréhension de cet univers en pleine éclosion qu’est la low-tech. C’est en voulant revenir sur l’évolution de sa place en France que s’est dessiné, au fil de la conversation, un constat : la low-tech porte en elle une dimension politique.
LR&LP : Qui est concerné par la low-tech ?
Quentin Mateus : « Historiquement, la genèse du mot low-tech en France, c’est d’un côté Corentin de Chatelperron, de l’autre Philippe Bihouix. Même s’ils avaient deux approches complètement différentes, c’était tous les deux des ingénieurs français.
Ils ont eu en commun de parler d’abord de la low-tech comme d’objets, de solutions techniques, et d’avoir eu à cœur de les populariser avec un discours qui était plutôt technocentré. Et je pense que ce discours-là a participé au fait que ce sont surtout des ingénieurs qui ont parlé à des ingénieurs, si je caricature.
Donc la sociologie initiale de ce terme, c’est le monde des connaisseurs de la technique. Les ingénieurs, les makers, les inventeurs, un certain nombre de scientifiques, d’acteurs du développement… Les premiers discours laissaient penser : ça a l’air pertinent, mais il faut que les ingénieurs s’en occupent.
LR&LP : Cette sociologie a-t-elle évolué ?
Ces dernières années, il y a eu une volonté de sortir la low-tech de ce microcosme de départ. Parce que l’idée était bien de donner l’envie et les moyens à tout un chacun de vivre en harmonie avec son milieu. Une certaine évolution des discours s’est aussi accompagnée d’une évolution des gens qui se sentaient concernés.
Après les profils commerciaux puis Sciences Po, aujourd’hui, de plus en plus, ce sont des collectivités qui nous contactent. Des élus, des PME, des acteurs de la recherche qui veulent accompagner certaines filières à changer d’outils de travail, passer à des solutions plus low-tech moins dépendantes du marché, de l’énergie…
La ville de Boulogne Billancourt, la région Bretagne, la région Bourgogne Franche Comté, la ville de Faches-Thumesnil en métropole lilloise, la ville de Bordeaux, l’agglomération de Concarneau, le PETR des Cévennes…
De nombreux acteurs territoriaux se sont emparés du sujet. Donc ce sont des projets plus systémiques et aussi, je pense, un peu plus politiques.
LR&LP : La low-tech aurait donc une dimension politique ?
C’était là depuis le début, si l’on observe. Si en 2013, Corentin emploie le terme en France en parlant de son projet Gold of Bengale, et si en 2014 sort l’ouvrage de Bihouix, la même année il y a aussi un livre qui s’appelle “Technocritiques”, de François Jarrige qui est publié. À la fin de ce livre, il y a toute une partie sur un rapport alternatif à la technique et au progrès qui serait celui de la low-tech et qui serait plus souhaitable.
On est déjà dans un discours beaucoup plus politisé, et une posture plus critique, plus analytique, qui prend aussi en compte les enjeux sociaux et politiques qui se cachent derrière les questions techniques.
Au départ, un certain nombre de collectifs pensaient peut-être un peu naïvement que ce n’était qu’une sorte de méthode ou de catalogue d’objets pour réduire notre impact écologique.
Et en fait, ils se sont vite rendus compte que se poser la question des besoins, le faire de façon collective, donc démocratique, c’est en fait remettre en question l’espèce de techno-solutionnisme ambiant, mais aussi la posture de l’expert et le rapport à l’économie.
Puisque refaire par soi-même revient à ne pas dépendre d’un marché ou de la société de consommation. Et puis se réapproprier ses besoins, c’est se poser la question de ce qu’on désire vraiment, non pas de ce qu’on nous donne à désirer.
LR&LP : Est-ce que cela risque d’exclure certaines personnes ?
Il y a vraiment dès le départ une portée politique, même si elle n’était pas forcément revendiquée. Mais l’idée n’est pas de faire de la low-tech un concept clivant, c’est l’inverse. Justement parce qu’elle ne s’appelle pas « technocritique », elle offre la possibilité à plus de gens d’y arriver, et par là à se poser un certain nombre de questions qui sont, de fait, politiques.
Je pense par exemple à des chercheurs en éco-conception, un domaine relativement peu politisé, qui se sont intéressés à la low-tech. En creusant, ils se sont retrouvés à lire des auteurs techno-critiques, à redécouvrir la pensée autour du mouvement de la convivialité d’Ivan Illich, qui aujourd’hui est plutôt situé économiquement et politiquement.
Des recherches dans d’autres domaines, comme celui de la sidérurgie solaire, l’ingénierie des milieux soutenables ou la boulangerie solaire, ont été influencées par la low-tech.
LR&LP : Quelles structures s’intéressent à la low-tech aujourd’hui ?
D’un côté, plein de collectifs autour de la décroissance s’intéressent à la low-tech. Et de l’autre plein de collectivités, qui en sont très loin, mais qui voient les enjeux, en première ligne, sur le terrain. Elles s’intéressent à la low tech comme à un autre « paradigme », un autre récit auquel se rattacher..
Je pense à « Nantes en commun », qui est un projet de réappropriation de la ville de Nantes par ses habitants, de démocratie radicale. Ils portent une liste aux élections et s’intéressent beaucoup à la low-tech parce qu’ils y trouvent un ensemble d’outils, de ressources, de démarches.
En face de ça on a l’ADEME, qui est un acteur très pluriel : qui va d’une part, avec la low-tech, creuser d’autres approches que l’approche solutionniste, notamment l’approche dite « systémique ». Et d’autre part, notamment lorsque l’agence publie une étude assez ambitieuse et rigoureuse sur les démarches low-tech en France, elle fait le choix de rapprocher le terme de l’innovation frugale et de l’économie circulaire.
Cela montre que la low-tech n’est pas monolithique, plein de visions cohabitent.
LR&LP : L’impact de la low-tech va-t-il au-delà de l’échelle individuelle ?
Aujourd’hui le paradigme de la low-tech nourrit cette idée de retrouver du sens dans une sorte de limite humaine, de mesure, de suffisance. Une limite qui n’est pas du tout synonyme de frustration, mais plutôt de réouverture du champ des possibles, et paradoxalement de liberté.
C’est aussi la liberté de disposer de son temps pour autre chose, maîtriser son travail, ne pas dépendre du marché de l’énergie, ne pas trembler face aux variations du prix de telle ou telle denrées essentielles ou de la pénurie d’eau. Cet ensemble va avec l’idée de démocratie. On voit bien que se réapproprier tout ça n’est possible qu’à l’échelle collective, ce qui implique de réapprendre à décider ensemble.
Une note publiée à la Fabrique Écologique disait que la low-tech c’est se poser 3 questions. Quoi produire ? Comment produire ? Pourquoi produire ?
Ces questions là sous-entendent : Comment est-ce qu’on s’organise pour collectivement se poser ces questions, et y trouver des réponses ? »
Pour aller plus loin : retrouver le livre « Perspectives low-tech » écrit par Quentin Mateus et Gauthier Roussilhe