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Une lanceuse d’alerte obligée de payer 125 000€ pour avoir révélé des pesticides dans des vins certifiés HVE

« La décision exécutoire de Libourne est maintenant assortie d’une somme exorbitante qui vaut caution de droit d’appel, c’est gravissime et inédit », a réagi ce mercredi 10 novembre Valérie Murat, qui avait convié la presse devant le siège du CIVB (conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux).

Mise à jour. Mercredi 10 novembre, la cour d’appel de Bordeaux n’a pas autorisé Valérie Murat, la porte-parole de l’association Alerte aux toxiques, le droit de faire appel de sa condamnation tant qu’elle n’aura pas réglé la totalité des 125000 euros d’amende infligée par le tribunal de Libourne le 25 février 2021. Elle avait été condamnée pour « dénigrement collectif à l’égard de la filière » du vin de Bordeaux, suite à sa révélation publique de résidus de pesticides dans des vins labellisés Haute Valeur Environnementale (HVE). Un exemple flagrant de « procédure-bâillon » qui remet en lumière la difficulté des lanceurs d’alerte à se faire entendre.

La cour d’appel de Bordeaux a finalement donné raison au CIVB (conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux), ainsi qu’aux autres organisations et propriétaires de la viticulture bordelaise. Pour simplement pouvoir faire appel de la décision de justice de février 2021, Valérie Murat devra s’acquitter de l’intégralité de l’amende, à hauteur de 125 000 euros.

Dévoilé par le média Rue89 Bordeaux, la décision de la Cour d’appel de Bordeaux est étonnante, alors que la lanceuse d’alerte verse 800 euros par mois depuis avril pour s’acquitter de sa peine et en gage de bonne foi.

« La décision exécutoire de Libourne est maintenant assortie d’une somme exorbitante qui vaut caution de droit d’appel, c’est gravissime et inédit », a réagi ce mercredi 10 novembre Valérie Murat

Si elle versait chaque mois l’intégralité de son seul salaire, il lui faudrait 10 ans pour payer la totalité des 125000 euros imposés par le tribunal de Libourne, « la plus lourde condamnation en Europe » dans une affaire de ce genre, jauge Valérie Murat.

Pour cette lanceuse d’alerte, la condamnation est une façon de l’obliger à vendre la maison familiale, où vit encore sa mère. Depuis la mort de son père, Valérie Murat se bat pour obtenir justice et vérité. James-Bernard Murat, viticulteur à Pujols (Gironde), est décédé en 2012 d’un cancer, reconnu comme étant causé par l’utilisation d’arsénite de soude dans ses vignes.

Lors de l’audience, les adversaires de la jeune femme avaient brandi l’acte notarial et la photo de sa maison familiale pour prouver qu’elle serait en capacité de payer la somme exigée.

Pour l’aider à payer les frais d’avocat, l’association Alerte aux toxiques a récolté 8000 euros de dons depuis le début de la procédure judiciaire et va lancer un nouvel appel au soutien financier. Ils ont deux ans pour trouver la totalité du montant exigé. Pour la lanceuse d’alerte et ses soutiens, c’est un flagrant cas de « procès-bâillon » :

« Pour le CIVB, qui a 19 millions d’euros de budget, le but n’est pas de gagner, mais de me faire taire, et je ne me tairai jamais. Cette affaire évite de parler des vrais problèmes, l’utilisation de pesticides parmi les plus dangereux pour fabriquer un produit de plaisir, et la pollution environnementale que cela génère. » conclut Valérie Murat

Article du 02.03.2021

Porte-parole de l’association girondine Alerte aux toxiques, fondée en 2016 pour « lever le secret » sur les « produits chimiques de synthèse et les risques » qu’ils font encourir, Valérie Murat vient de subir, jeudi 25 février, un premier revers judiciaire qui n’est pas sans rappeler le traitement que notre justice réserve aux lanceurs d’alertes.

Tout remonte à septembre dernier. Au beau milieu de la période des vendanges, Alerte aux toxiques publie sur son site internet les résultats d’analyses chimiques de 22 bouteilles de vins certifiés Haute valeur environnementale (HVE).

Créé en 2012, ce label dont bénéficient plus de 8 200 exploitations (parmi lesquelles 82 % de vignerons) garantit au consommateur que les produits sont issus d’exploitations qui « respectent l’écosystème naturel et réduisent au minimum la pression sur l’environnement », indique le ministère de l’Agriculture.

En théorie, les producteurs doivent obtenir un certain nombre de points sur quatre grandes thématiques (biodiversité, stratégie phytosanitaire, fertilisation, gestion de l’eau) pour décrocher la certification.

Mais en pratique, celle-ci n’interdit pas l’usage de produits chimiques ni l’élevage industriel, loin de là. Très facile à décrocher, elle constitue « un écran de fumée », comme l’explique une enquête du magazine Basta ! (décembre 2020).

Millésimées de 2015 à 2019 et provenant en majorité de domaines bordelais, les 22 cuvées passées au crible par Alerte aux toxiques contenaient toutes entre 4 et 15 résidus de pesticides de synthèse, ainsi qu’un cocktail de perturbateurs endocriniens.

Onze d’entre elles renfermaient au moins une molécule CMR (cancérigène, mutagène, reprotoxique) et neuf des traces de folpel, un fongicide couramment employé sur les vignes malgré sa nocivité.

Les laboratoires Dubernet, à l’origine des analyses, notaient toutefois que les concentrations étaient « très largement inférieures » aux limites maximales de résidus autorisés par la loi.

Source : Ministère de l’Agriculture

Une procédure bâillon

Touchés au vif par l’ampleur médiatique de ces révélations, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) et 25 autres plaignants s’étant liés à la cause (syndicats, fédérations ou particuliers) ont immédiatement assigné Valérie Murat devant le tribunal de Libourne pour « dénigrement collectif à l’égard de la filière des vins de Bordeaux ».

Ils exigeaient le retrait du communiqué d’Alerte aux toxiques et plus de 150 000 euros de dommages et intérêts, en compensation des sommes investies dans la publicité afin de contrer ledit dénigrement.   

Pour le procès, dont l’audience s’est tenue le 17 décembre, les 26 plaignants se sont offert les services de douze avocats, qui n’ont cessé de souligner le tort infligé aux producteurs des cuvées analysées et dénoncé des résultats selon eux trompeurs.

De son côté, maître Éric Morain, avocat de la défense, a tenté d’infléchir la procédure en faisant passer le préjudice du dénigrement à la diffamation. Encadrée par la loi de 1881 sur la liberté de la presse, la catégorie de diffamation aurait permis d’évoquer lors de l’audience la pertinence des analyses et de débattre du sujet.

En vain. Le tribunal n’a pas retenu cet argument et le 25 février, la sentence est tombée : l’association Alerte aux toxiques et sa porte-parole Valérie Murat sont condamnées à verser 100 000 euros de dommages et intérêts au CIVB et 25 000 euros aux autres plaignants, qui se sont réjouis de cette décision. Les résultats des analyses ont dû aussi être retirés de toutes les plates-formes numériques et le jugement publié sur le site internet de l’association.

« Le tribunal a ordonné l’exécution sociale de Valérie Murat dans une décision éminemment contestable et orientée, a réagi Éric Morain. Le seul droit dont on n’a pas encore privé la cliente est celui de faire appel. Elle le fera sans délai et ira jusqu’au bout. Jamais une procédure bâillon n’aura si bien porté son nom. »

En France, la viticulture représente environ 3,7 % des surfaces agricoles (800 000 hectares), mais consomme à elle seule 20 % des pesticides. Selon le Commissariat général au développement durable, en 2018, le département de la Gironde a « totalis[é] la plus grande quantité de produits phytopharmaceutiques achetés », en augmentation de 9 % par rapport à 2015-2017.

S’ils assurent une bonne récolte malgré les intempéries et les diverses maladies qui touchent la vigne, les produits de synthèse n’en constituent pas moins un enjeu majeur dans ce secteur où l’omerta règne sur le sujet, notamment quand il s’agit des maladies liées à l’épandage près des habitations et des écoles.   

Crédit photo couv : Thibaud MORITZ / AFP

Augustin Langlade

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