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Une décision de justice défend le retour des Batwas à leurs terres ancestrales au Congo

Le jugement met en évidence les failles de la « conservation forteresse » et ouvre la voie à un modèle de conservation plus inclusif, respectueux des droits humains.

Au sein du Parc National de Kahuzi-Biega, une forêt tropicale humide de 600 000 hectares, les Batwa ont été chassés de leurs terres ancestrales. Dans une décision historique, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples reconnaît les Batwas comme les meilleurs gardiens de la biodiversité et appelle à leur retour sur leurs terres.

De l’expulsion à la répression des Batwa

Connu pour ses centaines d’espèces différentes de plantes, d’oiseaux et de mammifères menacés, dont les rares gorilles de Grauer, le Parc National de Kahuzi-Biega (PNKB) est une destination touristique et un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1980. Il a été créé  dans les années 1970, en dépit de la présence de communautés autochtones sur place.

Les autorités de cette aire protégée militarisée, d’une valeur de plusieurs millions de dollars, s’étaient engagées dans un programme d’expulsions forcées violentes visant les premiers habitants humains du parc : les Batwa de Kahuzi Biega, l’un des groupes les plus marginalisés de la province orientale de la République démocratique du Congo (RDC).

Ce modèle de « conservation-forteresse » a mené à un « génocide vert ». Cette expulsion brutale les a contraints à rejoindre des sites informels dans des zones jouxtant le parc. Sans accès à leurs moyens traditionnels de subsistance et sans les compensations promises par le gouvernement, ils ont enduré des décennies de misère, de discrimination et de taux de mortalité élevés.

Un jeune gorille des plaines de l’Est (gorilla beringei graueri) sur le dos de sa mère au Parc national de Kahuzi Biega, Sud-Kivu, RD Congo, Afrique. – Crédit : Guenter Guni – iStock

En 2018, plusieurs communautés Batwa ont tenté de se réapproprier leur territoire en revenant au sein du parc, seul moyen pour elles d’échapper à la pauvreté.

« Cette réinstallation a mené à des vagues de violence énorme : les autorités du parc, en collaboration avec l’armée de la République démocratique du Congo (FARDC), ont expulsé militairement les Batwa de leur forêt » commence Martin Léna, chargé de plaidoyer de l’association Survival International, pour La Relève et la Peste.

En 2022, une enquête menée par Minority Rights Group a révélé les atrocités de ces trois ans de violence organisée, ainsi que la complicité de certains acteurs internationaux. La même année, la République démocratique du Congo reconnaît les droits de certains peuples autochtones par une nouvelle loi qui vise à leur donner un accès plus facile à la justice et à leurs terres, mais qui ne s’applique cependant pas aux zones de conservation relevant du domaine public ou privé.

Le problème reste alors le même : les droits des Batwa sur leurs terres traditionnelles érigées en zones de conservation et la réparation des injustices historiques dont ils ont été victimes ne sont pas respectés.

Une hutte Batwa incendiée par les milices du Parc – Crédit : Minority Rights Group

Une complicité internationale

« L’UNESCO n’a jamais vraiment dénoncé ces violations. Au contraire, à travers ses différentes recommandations, qui sont accessibles publiquement, elle a légitimé et encouragé les opérations à l’origine des violences extrêmes contre les Batwa  » continue Martin.

Parmi les autres acteurs internationaux complices des abus commis, l’enquête de Minority Rights Group met en lumière la responsabilité du gouvernement américain, en raison de violations de l’embargo sur les armes imposé par l’ONU.

« L’organisation Wildlife Conservation Society (WCS), est également impliquée et donc complice des violences, puisqu’elle soutenait déjà le Parc depuis des années en apportant un appui matériel et financier. Elle est devenue récemment co-gestionnaire du Parc » livre le chargé de plaidoyer.

Côté européen, l’Allemagne est interpelée en tant que principal bailleur de fonds du parc de Kahuzi-Biega. Une enquête menée par RFI et des enregistrements obtenus par Survival International ont aussi révélé un scandale impliquant des fonds publics français. Selon ces enregistrements, l’Agence française de développement (AFD) aurait, en 2022, discrètement validé sa décision de financer le parc national de Kahuzi-Biega en République démocratique du Congo, bien avant la fin de son « étude de faisabilité », contredisant ainsi ses déclarations publiques.

Depuis avril 2022, Survival International France a alerté à plusieurs reprises l’AFD sur les violations qui se déroulent à Kahuzi-Biega, dans le but de stopper ce financement, mais n’a jamais reçu de réponse officielle.

Pour Fiore Longo, la directrice de Survival International France, « ce scandale montre clairement que la conservation n’a rien à voir avec la protection de la biodiversité, mais avec l’argent […] Il est temps de changer ce modèle de protection de la nature. Nous ne pouvons plus fermer les yeux »

Des membres de la communauté Batwa – Crédit : Mathias Rittgerott

Reconnaissance des droits autochtones

En août 2024, la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples estime que l’expulsion forcée des autochtones Batwa lors de la création du parc national de Kahuzi-Biega est une violation de leurs droits par le gouvernement de la République démocratique du Congo. Dans sa décision, elle indique que le gouvernement de la RDC a enfreint onze articles de la Charte africaine, notamment les droits à la vie, à la propriété, aux ressources naturelles, au développement, à la religion et à la culture.

« Elle est la suite d’une plainte qui avait été déposée auprès de la Commission par Minority Rights Group en 2015, en collaboration avec l’association locale Environnement, Ressources Naturelles et Développement. Elle vient seulement d’être rendue publique » précise Martin.

Le jugement met en évidence les failles de la « conservation forteresse » et ouvre la voie à un modèle de conservation plus inclusif, respectueux des droits humains. Après des décennies de souffrance, la communauté Batwa entrevoit enfin l’espoir de voir justice rendue et d’être réintégrée sur ses terres ancestrales. Seule ombre au tableau : il n’y a pas de garantie à l’heure actuelle que le gouvernement respecte cette décision de justice.

« Nos ancêtres vivaient sur leur terre ancestrale, actuellement le PNKB, en parfaite harmonie avec la nature qu’ils protégeaient durablement grâce à nos savoirs et pratiques traditionnelles. (…) Nous demandons à la Commission d’effectuer le suivi pour être rétablis dans nos droits. Nous sommes prêts à relever ce défi de protéger et d’utiliser durablement nos terres ancestrales » ont réagi les Batwas à l’annonce de la décision de justice

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Chloe Droulez

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