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Le colonialisme vert : quand les brigades anti-braconnages tuent les autochtones

Les enjeux de pouvoir entre ethnies, entre groupes linguistiques et tout simplement entre dominants et dominés, viennent donc s’infiltrer dans la lutte anti-braconnage mais aussi dans le business du tourisme vert, car ces parcs naturels reçoivent des milliers de visiteurs par an avides de voir des animaux sauvages, mais sûrement pas des Pygmées chasseurs cueilleurs en jeans et casquette. La protection de l’environnement est donc utilisée pour asseoir une domination culturelle et sociale dont les enjeux dépassent largement la question de la gestion des ressources.

Dans ces forêts, pas de feu pour attirer les regards du monde. En Amazonie et maintenant en Australie, les terribles incendies mettent pour un temps la cause des peuples autochtones en lumière. Jusqu’à la prochaine catastrophe. En Afrique, dans les immenses forêts équatoriales, d’autres peuples se font éradiquer à petit feu. Mais cette fois ce n’est pas le schéma confortable des méchants exploitants contre les gentils autochtones. Ce sont les gardes forestiers travaillant pour la défense de la nature qui commettent des exactions allant jusqu’au meurtre contre les autochtones. Ici, comme au Canada et dans bien des pays, la protection de la nature prend parfois des airs de colonialisme vert. 

Depuis trente ans, une guerre silencieuse se déroule dans les forêts du Cameroun, de Congo Brazzaville et de Centrafrique. Ces régions abritent des forêts exceptionnelles qui sont à la fois des refuges pour des écosystèmes rares, des ressources économiques, d’emploi et de tourisme et qui recouvrent près du tiers de leurs surfaces.

Entre ces trois pays, ce sont des dizaines de parcs nationaux qui ont été créés sur les territoires des autochtones Pygmées, qui se nomment eux-mêmes Baka. Des parcs avec différentes appellations – parcs nationaux, réserves naturelles, sanctuaires – qui ont été tracées sans que les premiers habitants des forêts, qui font partie de cet écosystème, en soient informés. Les Pygmées se retrouvent donc au cœur d’une lutte entre exploitants forestiers et rangers protecteurs de la forêt. 

Crédit photo : Michael Runkel / Robert Harding Heritage / robertharding via AFP – Membre du peuple autochtone Baka.

Les gardes forestiers sont Bantous, groupe ethnolinguistique dominant dans ces pays, peuples d’agriculteurs et d’éleveurs. Les relations avec les Pygmées ont toujours été difficiles, ces derniers étant considérés comme des arriérés, des sous castes, voués à être dominés, étant donné que leur organisation sociale ne repose pas sur le patriarcat.

Les enjeux de pouvoir entre ethnies, entre groupes linguistiques et tout simplement entre dominants et dominés, viennent donc s’infiltrer dans la lutte anti-braconnage mais aussi dans le business du tourisme vert, car ces parcs naturels reçoivent des milliers de visiteurs par an avides de voir des animaux sauvages, mais sûrement pas des Pygmées chasseurs cueilleurs en jeans et casquette. La protection de l’environnement est donc utilisée pour asseoir une domination culturelle et sociale dont les enjeux dépassent largement la question de la gestion des ressources. 

Depuis une dizaine d’années, entre les trafics d’animaux, les coupes illégales et les chasses illégales, la lutte pour la protection de la biodiversité s’est trouvée au milieu d’une véritable guerre qui n’a rien à envier aux cartels de drogue ou de minerais. Ce sont d’anciens militaires, dont des américains formés sur les opérations antiterroristes, qui forment désormais les écogardes. Si les braconniers eux-mêmes se militarisent devant la demande croissante asiatique de denrées comme les cornes de rhinocéros ou des défenses d’éléphant, il n’en n’est rien des Pygmées, qui vivent dans la forêt depuis des milliers d’années, en sont dépendant non seulement pour leur subsistance mais aussi pour leur santé, car la forêt est aussi leur pharmacopée et des études ont montré que ceux qui parviennent à avoir accès à la forêt ont beaucoup moins de maladies que leurs voisins Bantous ou que des Pygmées complètement sédentarisés. 

Crédit photo : Michael Runkel / Robert Harding Heritage / robertharding via AFP – Membres du peuple autochtone Baka.

Les populations Pygmées vivent de chasse et de cueillette. Traditionnellement ils étaient nomades, et ont subi le schéma classique que l’on retrouve au Canada, aux États-Unis, en Amazonie en Chine ou encore en Australie : colonisation, conversion, exploitation, acculturation, accaparement des terres. Aujourd’hui semi nomades, ils vivent dans des villages le long de pistes forestières et bénéficient d’un droit de chasse toujours à renégocier selon à qui on a affaire. Dans ces pays où les dirigeants travaillent à l’uniformisation culturelle et linguistique pour valoriser l’unité nationale, les Pygmées n’ont aucune légitimité. Beaucoup se retrouvent à travailler de force dans des exploitations agricoles.

Loin de l’image d’Épinal du bon sauvage, les peuples autochtones chasseurs-cueilleurs ne sont pas des végétariens vivant « de façon simple » selon la formule consacrée dans des sociétés sans hiérarchie. Ces gardiens de savoirs immémoriaux sur la nature en font si bien partie qu’il savent en être l’un des prédateurs, permettant de réguler les populations d’herbivores, et facilitant la sélection naturelle des animaux les plus résistants.

Leurs systèmes d’organisation sociale et de croyances sont d’une complexité telle que les chercheurs occidentaux s’échinent encore à les comprendre. S’ils mettent leurs costumes traditionnels lors des manifestations, de leurs apparitions médiatiques, pour les guides de voyage ou les articles dans la presse, dans la vie de tous les jours, ils portent de t-shirts bons marchés et des jeans.

Ils cherchent à trouver leur place dans le monde contemporain sans perdre leur spécificité, un lien particulier au vivant et à sa compréhension. Pour cela ils doivent faire reconnaître leurs droits à la terre, faire reconnaître la terrible histoire des ethnocides dont ils ont été victimes, s’autonomiser économiquement, et transmettre à leurs enfants les fondements de leur culture et de leur identité. Ils doivent aussi se sortir du fléau qui frappe tous les autochtones, de l’Amérique à l’Australie en passant par l’Afrique : l’alcoolisme. Car devant des familles massacrées, des enfants enlevés, une langue interdite, des sites sacrés détruits, des interdictions de mouvement, des humiliations, l’autodestruction est presque un moyen de reprendre le contrôle.

Crédit photo : Michael Runkel / Robert Harding Heritage / robertharding via AFP – Membres du peuple autochtone Baka en Afrique central.

En 2017, l’ONG Survival International qui défend le droit des peuples autochtones dans le monde a déposé une plainte contre WWF Cameroun et l’ONG américaine WCS (Wildlife Conservation Society) pour avoir sciemment fermé les yeux sur les exactions commises à l’encontre des Pygmées par des gardes forestiers qu’ils finançaient. Survival International avait réussi à se procurer un rapport de WWF indiquant que les écogardes se comportaient comme une milice et n’étaient pas sanctionnés.

« Il ne s’agit pas seulement du Cameroun ni seulement du WWF: depuis très longtemps, l’industrie de protection de la nature spolie les terres des peuples autochtones. C’est du colonialisme vert et nous faisons tout notre possible pour le combattre. Stephen Horry directeur de Survival International » .

De quoi secouer notre schéma bien tracé entre les bons et les salauds. Si pour beaucoup elle est une cause, pour d’autres un slogan, la protection de l’environnement est aussi un business, un enjeu de pouvoir, un sujet électoral. Sujet de plus en plus populaire dans les médias, elle attire des clics, des investissements et des consommateurs. Ne nous étonnons pas qu’il existe donc des guerres perpétrées en son nom. L’écologie n’appartient plus qu’aux écologistes. 

Sarah Roubato

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