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« Une cohabitation apaisée avec les grands carnivores est possible, informez-vous ! »

Les endroits où la cohabitation se passe le mieux, que ce soit avec les ours ou les loups, sont ceux où on a réintroduit des humains. Rien que la présence supplémentaire d’un seul berger ou d’un aide-berger est dissuasive.

Loups, ours, ou encore lynx, de trop nombreux carnivores sont abattus illégalement mais aussi légalement chaque année en France, par méconnaissance et peur. Face à cette escalade de la violence, un collectif de scientifiques, citoyens et acteurs de l’environnement a lancé un appel pour une cohabitation durable et apaisée avec la faune sauvage en France. La Relève et La Peste a échangé avec le chercheur à l’origine de l’appel, expert de ces sujets depuis plus de vingt ans.

Farid Benhammou est géographe, chercheur associé au Laboratoire Ruralités, enseignant en classes préparatoires à Poitiers et également co-fondateur du collectif GATO (Géographie, Animaux non humains et TerritOires).

La Relève et La Peste : Vous êtes chercheur depuis 25 ans sur les relations entre humains et grands carnivores dans la ruralité française, pourquoi lancer un appel « Grands carnivores, biodiversité et agriculture : Réveillez-vous ! » ?

Farid Benhammou : C’est une forme de ras-le-bol. Cela fait plusieurs années que j’écris sur ces questions-là, et je vois toujours les mêmes choses et les mêmes arguments fallacieux. Sur le terrain, il y a des gens de bonne volonté qui veulent faire des choses et ne sont pas assez encouragés, ce sont toujours les voix les plus radicales et simplistes hostiles aux prédateurs qui ont l’oreille des dirigeants.

Même si officiellement la protection de ces espèces demeure la loi, et que des mesures d’aide existent, on est toujours dans un État qui raisonne trop facilement par la violence pensant que l’élimination va être la solution. Ce qui au passage légitime aussi une violence illégale que l’on a vu.

Là, l’élément déclencheur a été la louve suspendue à une Mairie. C’est une ambiance générale d’impunité en particulier à l’égard de certains activistes agricoles qui en bénéficient malgré leurs actes violents.

Par exemple, certains d’entre eux se sont grimés en terroristes pour demander d’abattre des ours en Arriège, et tuer des loups dans les Hautes-Alpes au Parc National des Ecrins en 2019, espace protégé ayant le plus haut niveau de protection en France. Ces actes graves n’ont quasiment pas suscité de poursuites, alors qu’ils appellent à la destruction d’une espèce protégée, remettent en cause un espace naturel protégé avec le Parc National, sans parler de leur violence symbolique…

Notamment depuis 2015 : se pavaner cagoulés en prônant l’usage des armes à feu, même pour détruire des animaux, c’est extrêmement choquant ! Et les propos tenus à l’encontre des protecteurs des animaux ne sont pas bien plus glorieux ! Il y a déjà des actes de violence contre des représentants des pouvoirs publics…

LR&LP : Les réactions d’hostilité face aux grands carnivores sont-elles de plus en plus violentes ?

En 2003, j’étais au colloque d’un des premiers rendus du programme LIFE pour favoriser la cohabitation avec le loup. C’était un événement riche par ses invités : des représentants des espaces protégés, des éleveurs, des membres du Ministère de l’Ecologie, des chercheurs, des experts. C’était intéressant car des éleveurs présentaient objectivement leurs contraintes face à la présence des grands carnivores et quelles mesures étaient mises en place.

Mais au début de la dernière journée, l’un des syndicalistes agricoles a sorti une corde en disant : « J’amène ici la corde pour pendre la DIREN (ancienne direction régionale de l’Environnement) ». C’était tout à fait choquant. Qui voulait-il pendre ? les dirigeants ? l’institution ? Tous les ingrédients de la violence étaient déjà là.

Je compare souvent le dossier des grands carnivores à quelqu’un atteint de paludisme : des graves crises de fièvre reviennent périodiquement tandis que le reste du temps le malade ne montre pas de symptômes. C’est la même chose dans le cadre de la cohabitation avec les grands carnivores : il y a des attaques mais il y aussi plein de cas où cela se passe bien, mais ce n’est pas forcément ça qui va faire la une des journaux !

Chez certains élus et syndicats agricoles, c’est malheureusement parfois par opportunisme politique que certains vont tenir des propos fallacieux et accusateurs envers les grands carnivores. Par ailleurs, malgré des positionnements forts, la réalité du terrain peut complètement faire changer les gens d’opinion : j’ai vu des personnes très hostiles aux grands carnivores devenir pragmatiques et vice-versa.

Lire aussi : Nouvelle étude : les prédateurs naturels sont bien plus efficaces que les chasseurs dans l’équilibre des forêts

LR&LP : Justement, que préconisez-vous face à la détresse de certains éleveurs ?

On peut être du côté des éleveurs sans être pour la destruction de loups. On peut leur reconnaître un certain droit à l’auto-défense dans des cas très particuliers, mais les tirs systématiques ne sont pas une solution. Ce problème a besoin d’une réponse systémique.

Les préconisations des chercheurs, c’est d’investir massivement dans l’anticipation, y compris dans les Régions françaises où le loup pointe son nez. Face aux informations caricaturales, qui sont propagées aussi bien par des militants « anti » que pro-loups, tous les éleveurs devraient apprendre les bases : qu’est-ce que c’est qu’un loup, comment il vit, fonctionne sa biologie, ce qui peut l’amener à attaquer un troupeau.

Il faut savoir que les animaux domestiques représentent seulement 20 à 30% de l’alimentation des loups car l’hiver les troupeaux sont rentrés en stabulation, et les loups continuent à chasser des herbivores sauvages sinon ils ne pourraient survivre toute l’année.

En France, on a beaucoup de savoir-faire sur les chiens de protection et les clôtures mais on a encore beaucoup de choses à faire sur les parcs à mouton où le gardiennage peut être compliqué… Il faut bien réfléchir à la qualité et hauteur des clôtures, à la présence de chiens de protection et à la façon de travailler avec eux pour les bergers.

Les endroits où la cohabitation se passe le mieux, que ce soit avec les ours ou les loups, sont ceux où on a réintroduit des humains. Rien que la présence supplémentaire d’un seul berger ou d’un aide-berger est dissuasive. Cela permet d’isoler les brebis malades, blessées, ce qu’une personne seule a moins le temps de faire, de mieux veiller sur les troupeaux, et diminuent la prédation des carnivores.

En moyenne, 12 000 ovins par an sont attribués à la prédation du loup. En réponse, depuis 2013, on a augmenté de manière exponentielle l’élimination de loups, mais cela n’a pas du tout diminué leur prédation de manière proportionnelle ! Parfois, l’éclatement des meutes a même augmenté le nombre d’attaques localement !

Lire aussi : La chasse au loup est désormais interdite en Espagne

Les dernières études sur les simulations de croissance des populations de loups sont inquiétantes : depuis deux ans, la population progresse moins vite et la croissance diminue à cause des politiques de tir légaux et illégaux.

Désormais des chercheurs craignent que le nombre de loups se mette à diminuer de nouveau dans le pays.

Une centaine de loups sont abattus tous les ans depuis 2019. En 2021, malgré une mobilisation scientifique et citoyenne, le gouvernement a de nouveau autorisé l’abattage de 118 loups, soit 19 % de la population de loups estimée ! Or, à l’issue de l’hiver 2020-2021, la population de loups en France est estimée à 624 individus. Par comparaison, il y a 1500-2000 loups en Espagne et 1000-1500 en Italie.

Et cela ne compte pas les tirs illégaux ! Là, la louve on l’a vue ! Mais combien de massacres similaires sont camouflés ?

Lire aussi : Le gouvernement augmente l’autorisation de tirs sur les loups, menaçant la survie de l’espèce

LR&LP : Effectivement, le groupe PP Alpes, structure autonome et indépendante des pouvoirs publics, a suivi 26 meutes de loups sur 7 départements. 30 % des meutes ont subi des actes hostiles d’origine humaine particulièrement meurtriers avec dislocation du clan. En se basant sur ses découvertes, l’association Ferus a estimé que le braconnage entraînerait un taux de mortalité annuel compris entre 15 et 20 % ce qui paraît énorme. Les loups ne sont pas les seuls carnivores à subir un délit de faciès, les ours et les lynx sont également pourchassés. Qu’en est-il de la situation pour eux ?

Ce qui m’inquiète, c’est que cette violence est en train de se déplacer vers l’ours qui fait beaucoup moins de dégâts que le loup ! Oui, il attaque parfois les troupeaux mais jusqu’en 2017, cela représentait seulement 200 à 300 moutons tués par an : c’était complètement gérable.

Seulement, à partir de 2017, les dégâts causés par l’ours ont artificiellement beaucoup augmenté car, pour obtenir la paix sociale, les autorités ont décidé d’être peu regardantes sur l’attribution de la responsabilité des ours dans les attaques.

Dès qu’il y avait des pertes d’ovins dans un secteur où un ours avait été identifié, le dégât lui était automatiquement imputé même sans aucune trace trouvée sur le terrain !

Résultat, plutôt que d’obtenir la paix sociale, les anti-ours se sont encore plus écriés devant « l’ampleur » de ces dégâts factices, d’où la mise en place de dispositifs de tirs d’effarouchement qui sont dénoncés par de nombreuses associations écologistes.

Comme je l’évoque dans l’appel, en un an trois ours ont été tués dans les Pyrénées. Alors que du côté des Espagnols qui partagent la population d’ours, des enquêtes fouillées ont rapidement identifié les responsables, côté français, il n’y a eu aucun avancement notable.

De la même façon, dans l’Est de la France, chaque année, des actes de destructions illégales sont commis envers le seul grand félin d’Europe, le lynx boréal. Malgré le statut « en danger » de l’espèce en France métropolitaine, les enquêtes stagnent et n’aboutissent presque jamais…

Lire aussi : Les éleveurs qui s’entendent avec les ours subissent des menaces

LR&LP : Le dernier plan Loup 2024-2029 du gouvernement ne va effectivement pas dans le sens de conservation de l’espèce. Les éleveurs et les chausseurs pourraient être équipés de lunettes à visée nocturne, ce que demandait les organisations agricoles. Que pensez-vous de ce choix de limiter l’espèce ?

Cela fait un moment que certains éleveurs à bout réclament des armes similaires à celles utiliser par la brigade anti-loups, interdites à la chasse par ailleurs. Il s’agit de fusils longue portée à visée nocturne, si rien n’est fait, là, on est à la veille de l’ouverture à la chasse aux loups !

Les préjugés ont la peau dure pour tous les carnivores quand on n’a pas assez de connaissances. Par exemple, à Hawaii, dans les années 90, ils ont mis en place des captures massives de requins face aux attaques. Malgré cela, les attaques ont continué.

Ils ont alors décidé d’investir massivement dans la recherche pour mieux connaître leur déplacement, leur migration et améliorer les techniques de sécurisation des plages. Résultat : les attaques ont diminué drastiquement.

A la Réunion, c’est l’inverse qui s’est passé. Le gros programme scientifique CHARC (Connaissance de l’écologie et de l’Habitat des Requins Côtiers de la Réunion) a permis de mieux connaître les déplacements des requins. On a ainsi appris que certains d’entre eux parcouraient des milliers de kilomètres ! Seulement, ce programme a été interrompu en 2015, et tout son financement a été utilisé pour la chasse. Un vrai désastre : les attaques continuent et il y a des morts ou des attaques encore régulièrement !

Lire aussi : La présence du requin est vitale dans l’équilibre de la vie marine et pour notre oxygène

En tant que géographe, je m’intéresse aux interactions entre les humains et les animaux. Sur le plan comportemental, leur très grande discrétion et leur capacité à se fondre dans un territoire sauvage ou plus ou moins humanisé m’a toujours fasciné.

La grande conclusion de mon travail de thèse a été de dire qu’on oppose toujours la protection de ces animaux au bien-être des êtres humains, en disant que la coexistence est impossible, mais moi je suis arrivé à la conclusion radicalement opposée. Plus il y a d’humains impliqués dans les exploitations agricoles, plus la cohabitation est supportable et durable. Non seulement nous pouvons, mais nous devons apprendre à cohabiter de façon durable et apaisée avec les grands carnivores et la faune sauvage en France.

Face à la violence illégale et légale des loups, ours et lynx, le professeur Farid Benhammou et ses collègues ont créé une pétition à signer pour interpeller les parlementaires.

Laurie Debove

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