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Un nom d’animal comme insulte représente notre domination sur les animaux

Parce qu’ils sont utilisés pour déprécier les humains, les noms d’animaux expriment le mépris réciproque de ceux qu’ils désignent. L’animalisation, c’est ce procédé qui consiste à désigner les humains par des noms d’animaux pour les signaler comme pas-vraiment-humain, donc comme soumis à la domination. 

Pour Vipulan Puvaneswaran, Shams Bougafer et Clara Damiron, co-auteurs du livre Autonomies animales, la question animale est fondamentale parce qu’elle est représentative de l’ensemble des systèmes de domination capitaliste et patriarcale. Un autre rapport aux non-humains est possible à construire au sein de luttes intersectionnelles contre les oppressions. Plus respectueux des réalités animales, en interaction avec les humains, il doit évoluer délicatement dans le temps.

Ouvrir des fronts de luttes inter-espèces

« Aujourd’hui, il y a une forme de vide entre l’antispécisme historique, issu de la philosophie morale et utilitariste, et cette valorisation de l’élevage paysan, présenté comme parfait. Il nous semblait qu’il y avait autre chose de plus fin à trouver » commence Vipulan Puvaneswaran pour La Relève et La Peste.

Les premiers, à l’image du philosophe utilitariste australien Peter Singer ou du français Jacques Derrida, ont développé le concept de sentience qui établit une corrélation entre la capacité à souffrir et celle à ressentir le plaisir ou le bonheur dont un grand nombre d’animaux serait pourvu, au même titre que les humains. Les seconds s’opposent à l’élevage industriel, sa chosification de l’animal, avec sa cohorte de violences et de maltraitance, revendiquant la posture d’une vie bonne pour l’animal d’élevage jusqu’à sa mort.

Vipulan engage la réflexion dans la concordance des luttes pour la condition animale avec toutes celles qui ont à voir avec les processus de domination des humains les uns sur les autres : égalité des sexes, antiracisme, handicap, LGBT, mais aussi de la domination du capital sur le travail qui réduit les humains à être les rouages d’un système productif.

Les animaux dépréciés dans le langage

Parce qu’ils sont utilisés pour déprécier les humains, les noms d’animaux expriment le mépris réciproque de ceux qu’ils désignent. L’animalisation, c’est ce procédé qui consiste à désigner les humains par des noms d’animaux pour les signaler comme pas-vraiment-humain, donc comme soumis à la domination. 

On l’a entendu dans les discours de certains militaires pour nommer leurs ennemis. On entend encore des cris de singe dans les stades. On qualifie les femme de panthères, de gazelles ou de chiennes pour en faire des objets sexuels et dégradés.

« Dans les rapports sociaux, notons que les classes privilégiées ne sont pas animalisées parce que considérées comme des humains à part entière. L’animalisation n’est possible que parce qu’il y a une infériorisation préalable de l’ensemble des animaux non-humains. » précise Vipulan Puvaneswaran pour La Relève et La Peste

Vipulan Puvaneswaran propose de prendre en compte ce qu’il désigne comme leur agentivité, un néologisme tiré du mot anglais agency. Il signifie la capacité de l’être humain à agir de façon intentionnelle sur lui-même, sur les autres et sur son environnement.

« Ce ne sont pas simplement des objets, mais des êtres capables de s’exprimer avec une manière d’être vivant qui leur est spécifique. » rappelle Vipulan Puvaneswaran pour La Relève et La Peste

L’animal dans l’alimentation

L’histoire montre que la présence des produits carnés dans nos assiettes qu’on nous présente comme issue de traditions ancestrales n’est pas si évidente. Ainsi, nos auteur.es se sont penchés sur l’histoire des plats un peu partout dans le monde.

« Le mafé, à l’origine est une plante, donc un plat exclusivement végétarien. Et c’est pareil pour d’autres plats d’Afrique de l’Ouest, en Côte d’Ivoire, au Bénin, etc. Il y a eu un processus de carnation au fil du temps qui nous a fait oublier ces héritages végétaux. De même, l’Argentine était un pays où il n’y avait quasiment pas d’élevage avant la colonisation. Le pays est devenu une plaque tournante de l’exportation de viande à partir de 1890. En Inde ou au Sri Lanka, les processus sont encore plus récents. Le végétarisme a longtemps  été un marqueur des classes sociales privilégiées » développe Vipulan Puvaneswaran pour La Relève et La Peste

En France, la construction de l’État-nation a créé un monopole fiscal du pouvoir sur les agriculteurs et les éleveurs qui étaient obligés de dégager du surplus pour pouvoir payer l’impôt. Ils se sont tournés vers davantage d’élevage et notamment l’élevage bovin, qui jusque-là était une activité qui était secondaire.

Le subventionnement massif de l’élevage industriel et le développement de la consommation de viande nous plongent aujourd’hui dans la situation de santé, de production maltraitante et coûteuse pour la planète, que nous connaissons. Selon la Cour des Comptes, l’élevage bovin demeure, de loin, l’activité agricole la plus subventionnée en France à raison de 4,3 milliards d’euros d’aides publiques par an.

« L’élevage industriel n’est pas une activité naturelle, mais la conséquence de faits politiques, historiques et sociaux » dénonce Vipulan Puvaneswaran pour La Relève et La Peste

Vipulan insiste sur l’organisation capitaliste de la domination à la fois humaine et animale. Les animaux non-humains sont réduits à une simple valeur économique, au fondement du capitalisme, ce qui rapproche leur sort de celui des travailleurs.

« On a souvent tendance à stigmatiser comme étant les premiers coupables, les éleveurs ou les travailleurs des abattoirs. Ce n’est pas notre perspective puisque nous considérons que ces personnes sont également dominées et exploitées par un système qui enrichit les industries chimiques et l’agro industrie. » précise Vipulan Puvaneswaran pour La Relève et La Peste

Faire front, ensemble, c’est le mantra de Vipulan, Shams Bougafer et Clara Damiron.

Un compagnonnage, pas une domination

A la place de l’exploitation, Vipulan, Shams et Clara plaident pour du compagnonnage entre humains et non-humains. C’est le renoncement à l’accaparement des destins animaux pour inventer une répartition des places respectueuses. Pour Vipulan, l’animal peut vivre dans la proximité des humains avec des relations d’attachement et de grande proximité, avec des « égards à la liberté ». 

« Ce concept d’égard à la liberté est un emprunt à Baptiste Morizot, grâce auquel on essaye de se dire que rien n’est défini d’avance. On ne sait pas exactement comment devrait être chacune des formes de relations. On a besoin d’une enquête permanente et perpétuelle, pour déterminer quelle est la liberté pour une vache, une chèvre, une poule, une fourmi, un humain. » s’amuse Vipulan auprès de La Relève et La Peste

Et ce n’est effectivement pas la même. Les auteur.es invitent les animaux à contribuer à l’organisation de notre société, à en être des des agents actifs. Partant du principe de l’échange, la relation justifie que les animaux puissent nous aider à transporter des choses, ou à travailler la terre, si nous pourvoyons à leur bien-être et leur sécurité.

Dans une logique d’agroécologie, la reproduction des animaux domestiqués actuellement sous le contrôle des humains et reposant sur l’insémination artificielle, pourrait être rendue à sa forme naturelle. Vipulan, Shams et Clara imaginent que cela pourrait faire décroître les cheptels assez rapidement, replaçant l’élevage dans sa forme familiale, une première étape dans la restauration du respect.

L’existence des animaux sauvages pose la question de la répartition des espaces communs et des espaces réservés aux uns et aux autres. Certains animaux ont besoin de vivre à distance des humains et nous devons le respecter. Par ailleurs, les animaux comme les loups ou les ours nous questionnent sur notre accaparement de tous les territoires mais aussi sur la manière dont nous les occupons sans tenir compte des processus naturels.

Vipulan raconte cette histoire de paysans africains dans des zones peuplées d’éléphants qui ont la fâcheuse habitude de piétiner les cultures. Pour lutter, ils ont installé des ruches autour de leurs parcelles car les éléphants craignent ces charmants insectes qui vont les piquer au cœur même de leur trompe.

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Isabelle Vauconsant

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