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Un collectif se bat pour donner un statut juridique aux Salines, havre de biodiversité martiniquaise, pour les sauver

En 2022, le gouvernement a inscrit treize communes à la liste des sites “menacés par l’érosion côtière”. Malgré ce constat alarmiste, les prélèvements de sable continuent, et la déforestation des mangroves protectrices accentue la friabilité des sols. La préfecture multiplie les délivrances de permis de construire en bord de mer, parfois même sur des sites protégés par l’armée.  

Berceau géologique et archéologique des caraïbes, les Salines, parc naturel lagunaire de Martinique, est assailli par les décisions de l’État, des collectivités locales, de l’ONF et du Conservatoire du Littoral qui autorisent toutes sortes d’activités humaines ou d’artificialisation des terres. Symbole d’une Martinique dont les habitants sont seuls face à l’érosion et à la disparition programmée de leur littoral et de leur biodiversité.

“Nous sommes les prochains réfugiés climatiques” clame Aude Goussard, membre du collectif Sové Lavi Salines, qui s’emploie à lutter pour préserver le parc naturel menacé, comme le reste du littoral Martiniquais, par l’érosion côtière et la submersion marine.

Les actions coup de poings et la désobéissance civile remplacent “l’absence de réponse de l’État sur l’avenir de la Martinique malgré les alertes des scientifiques. Entre 2050 et 2100, le désastre est annoncé”.

Pour sauver le parc naturel, le collectif Sové Lavi Salines, accompagné de l’expertise de Notre Affaire à Tous et du chercheur en droit de l’environnement Victor David, a lancé la Déclaration des Droits des Salines afin de soutenir sa reconnaissance comme entité naturelle juridique (ENJ).

“En droit français soit on est sujet de droit, soit on est objet de droit. Les objets de droit sont soumis aux sujets. La nature fait partie de ces objets. Objets d’appropriation, d’usage et d’abus de toute sorte.

Aujourd’hui, le droit de l’environnement s’efface devant les autres droits fondamentaux, notamment le droit de propriété. L’idée est donc de donner à la nature le statut de sujet de droit pour remettre une égalité entre les éléments de la nature et le droit des humains à posséder ou à produire” argumente Victor David.

 “Faire passer les Salines du statut d’objet à celui de sujet de droit, titulaire de droits propres, c’est leur permettre d’agir directement en justice par l’intermédiaire des représentants ” explique Marine Yzquierdo, avocate et membre du conseil d’administration de Notre Affaire à Tous. 

“L’adaptation à la crise écologique passe par une transformation de notre droit”. 

Une tactique qui a déjà marché en Nouvelle-Calédonie, plus précisément dans la Province des Iles-Loyautés, qui a rédigé son propre code de l’environnement (CEPIL) accordant le statut d’entité naturelle juridique aux requins et aux tortues.

 “Le statut d’entité naturelle juridique n’est pas la seule solution, mais c’est un moyen complémentaire qui gagnerait à être appliqué pour mieux protéger et défendre la nature” insiste Marine Yzquierdo.

Une “dynamique de destruction” des Salines

“La politique des institutions locales est celle de l’instant face à la durabilité” dénonce Garcin Malsa, biologiste et ancien maire de Saint-Anne, ville qui se situe à proximité des Salines, au sud de l’Île.

Le trait de côte, ligne de séparation entre terre et mer, recule à grande vitesse. En 2022, le gouvernement a inscrit treize communes à la liste des sites “menacés par l’érosion côtière”.

Les martiniquais fuient le bord de mer pour s’installer dans les terres. 

Malgré ce constat alarmiste, les prélèvements de sable continuent, et la déforestation des mangroves protectrices accentue la friabilité des sols. La préfecture multiplie les délivrances de permis de construire en bord de mer, parfois même sur des sites protégés par l’armée.

“Des constructions qui n’ont aucun sens puisqu’elles seront touchées par l’érosion et la montée des eaux” alerte Garcin Malsa.

L’ONF (l’Office National des Forêts), et le Conservatoire du Littoral, qui sont en charge d’une partie du site, “sont dans une dynamique de destruction” assène Aude Goussard.

“L’ONF accepte des zones de camping là où lui-même a posé des panneaux interdisant de camper, il accepte les coupes d’arbres car les campeurs veulent avoir vu sur mer.”

Garcin Malsa prévient : “Les campeurs piétinent la zone, il faut réguler le tourisme”. Le site est visité par 2,5 millions de touristes par an.

Depuis les années 70, la spéculation foncière sur le site a entraîné des projets de complexes hôteliers faramineux, dans la droite ligne de la loi Pons (1986) qui permettait une défiscalisation des acquisitions de biens immobiliers dans les DOM-TOM et qui encourageait l’artificialisation du littoral.

C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, un projet de complexe hôtelier avec un aéroport privé, menace les Salines. Une “riviera touristique”.

“Renaturation du littoral”

L’urbanisation accélère l’érosion. Les digues construites pour protéger les édifices humains de l’élévation du niveau de la mer sont un exemple de “mal-adaptation” explique Garcin Malsa.

“L’enrochement de nos littoraux a également entraîné l’assèchement et l’appauvrissement de nos sols et un affaissement du littoral” poursuit-il.

A contrario, selon le biologiste, il faudrait “réintroduire des espèces endémiques, les palétuviers notamment, dont le système racinaire renforce le sol. En tombant, leurs feuilles créent un humus qui va alimenter l’ensemble des micro-organismes qui se trouvent dans le sol. Cela va permettre au littoral de se renforcer en revenant à son état natif.”

Le système racinaire des palétuviers permet de “préserver l’intérieur des terres des vagues scélérates et des tsunamis” selon Aude Goussard. 

Mangrove en Martinique – Crédit : Tasso Verde, Wikimedia

Derrière la carte postale, l’implantation des cocotiers, qui est une espèce invasive, a “détruit nos littoraux, leurs racines rendent friables les sols et accélèrent l’érosion. Nous nous sommes rendus compte que c’était une erreur monumentale”  explique l’activiste.

Classées zone humide d’importance mondiale, réservoirs pour les tortues qui viennent y pondre leurs oeufs, “les Salines sont l’épicentre de la Caraïbe Orientale en matière d’écosystème” insiste Garcin Malsa, ainsi que le berceau “archéologique et géologique” de l’île.

“Sur le littoral, on fouille à moins de trois mètres et on retrouve des cimetières d’esclaves et également des vestiges précolombiens” précise Aude Goussard.

La Direction des Affaires Culturelles (DAC) est souvent obligée d’appeler à cesser tous travaux de l’ONF, notamment les coupes d’arbres protégés pour créer une route à moins de 5 mètres de la plage.

Face à ces constructions, Sové Lavi Saline réensauvage la zone, plante des arbres sur les sites exploités ou en cours d’urbanisation. Comme dans une multitude de luttes écologistes  “tout ce que nous avons pour nous battre c’est la désobéissance civile, des actions chocs qui visent à alerter sur les méfaits que nous constatons sur le site” conclut Aude Goussard.

Florian Grenon

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