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Toulouse : nouvelle victoire judiciaire pour les opposants à Val Tolosa, projet de centre commercial géant

Les constructeurs avaient pensé à tout : hypermarché, galerie marchande de 150 boutiques environ, quelques milliers de places de parking, une quinzaine de restaurants, une crèche, une médiathèque, une route, un centre de santé… De quoi y passer la journée, entre deux traitements contre le diabète. Le tout pour 350 millions d’euros d’investissement.

Nouveau revers pour Val Tolosa. Mardi 29 décembre, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rendu deux arrêts défavorables à ce qui se présente peut-être comme le plus grand projet inutile et imposé de l’agglomération de Toulouse : un centre commercial de 65 000 m2, au cœur d’une bataille judiciaire qui dure depuis plus de sept ans. 

Quinze ans de lutte contre un méga centre-commercial

Anciennement baptisé « Portes de Gascogne », le projet de centre commercial et de loisirs de Val Tolosa semble tout droit sorti d’une autre époque. L’histoire commence il y a quinze ans, en 2005. Une zone agricole du plateau de la Ménude, à Plaisance-du-Touch, plein ouest de Toulouse, est alors transformée par la commune en zone d’aménagement concerté (ZAC). 

Comme toujours, cette mesure discrète ouvre la voie à l’artificialisation de plusieurs dizaines d’hectares. Comme à chaque fois, il s’agit d’emplois, de croissance démographique, de trafic routier, et même d’environnement. 

Énième centre commercial à l’américaine, conçu pour enfermer le client dans un circuit perpétuel de consommation, Val Tolosa devait occuper 40 hectares de terres naturelles, sur lesquelles auraient été coulés 115 000 m2 d’espaces bétonnés, un lac miniature, plusieurs promenades, des jardins, ainsi qu’une centrale solaire. 

Les constructeurs avaient pensé à tout : hypermarché, galerie marchande de 150 boutiques environ, quelques milliers de places de parking, une quinzaine de restaurants, une crèche, une médiathèque, une route, un centre de santé… De quoi y passer la journée, entre deux traitements contre le diabète. Le tout pour 350 millions d’euros d’investissement. 

Dès janvier 2006, un collectif de citoyens se constitue. Composé de 500 adhérents, « Non à Val Tolosa » refuse le gigantisme, le sacrifice de terres arables, la consommation à outrance. 

Sans relâche, il s’est battu pendant quinze ans contre les puissances publiques et financières, remportant une série de petites victoires devenant peu à peu grand succès. Aujourd’hui, sa lutte atteint un moment crucial, puisque les premières pierres n’ont jamais été posées et que les promoteurs se sont dits prêts à céder

Après une enquête publique favorable, un premier permis de construire est délivré en 2009 aux deux filiales locales d’Unibail-RW, le plus grand groupe immobilier du monde, coté au CAC40 et spécialisé dans la construction et la gestion de centres commerciaux. C’est alors que le collectif inaugure une interminable succession de recours en justice. 

« Nous avons mené bataille sur deux fronts, l’urbanisme et l’environnement », déclare maître Alice Terrasse, qui défend les associations membres de « Non à Val Tolosa » devant plusieurs juridictions. 

L’avocate toulousaine suit le dossier depuis 2005, année où elle a prêté serment. Comme aux échecs, elle a su transformer une faille en brèche, et une brèche en gouffre, jusqu’à mettre la mairie, la préfecture et le bailleur en défaut. 

Un long feuilleton judiciaire

En 2016, au terme d’un long démêlé, Alice Terrasse obtient l’annulation définitive du permis de construire par le Conseil d’État, qui valide deux arguments : l’insuffisance substantielle de l’étude d’impact préalable à une telle construction (l’inventaire des espèces était incomplet) ; et, ironie du sort, l’absence de desserte suffisante du site, incapable d’accueillir les centaines de milliers de clients prévus chaque année sans un nouveau tronçon routier. Or, à la date de délivrance du permis, la construction de la fameuse RD 924 n’était pas certaine. 

L’affaire n’a pas été enterrée pour autant. Comme nous l’explique Thierry de Noblens, président de France Nature Environnement (FNE) Midi-Pyrénées : 

« les élus, la préfecture et les aménageurs, en plus d’être complices, se sont montrés incroyablement têtus et ont exploité jusqu’au bout toutes les possibilités qui s’offraient à eux pour donner vie au projet. Dès qu’une décision était rendue, il y en avait toujours un pour prendre une nouvelle mesure. » 

En 2013 et 2014, le préfet de région signe une double dérogation à l’interdiction d’atteinte aux quelque 64 espèces de faune et de flore protégées présentes sur l’emplacement du centre commercial ou sur le site de la route. 

À ce moment-là, Alice Terrasse trouve un coup dont l’habileté force l’admiration. En portant l’affaire devant le tribunal administratif, la cour d’appel et à nouveau le Conseil d’État, l’avocate parvient à faire annuler la dérogation préfectorale, au motif que la route ne revêt pas d’intérêt public majeur, qui aurait justifié de détruire des espèces protégées. Sans route, donc, pas de permis de construire ; sans permis de construire, nul besoin de route… 

Entre-temps, la préfecture a octroyé aux promoteurs une deuxième dérogation, attaquée elle aussi par le collectif. Nous sommes en 2017. Pour Thierry de Noblens, c’est l’un des moments forts de la lutte. 

« La cour administrative d’appel de Bordeaux venait de nous donner raison et le préfet de publier un nouvel arrêté. Les engins de chantier d’Unibail étant positionnés sur le site, il devenait vital de le bloquer par une action collective. Nous sommes donc restés pendant huit ou dix jours sur place, le temps que notre référé aboutisse. Le plus étrange, c’est que les gendarmes ont refusé par deux fois de nous évacuer, alors qu’ils en avaient l’ordre. Comment l’interpréter ? »

Une nouvelle jurisprudence pour redéfinir la notion d’intérêt général

Finalement, le 29 décembre 2020, la seconde double dérogation du préfet est annulée par la cour d’appel administrative de Bordeaux. Le collectif s’en réjouit, car les juges ont suivi leur raisonnement, en constatant l’absence de raison impérative d’intérêt public majeur du centre commercial et de la route. 

« Aujourd’hui, estime Alice Terrasse, on peut considérer que le projet de Val Tolosa sera abandonné, mais il est n’est pas absurde qu’il soit encore porté en justice par Unibail, qui ne lâchera rien. » 

L’avocate se félicite que ce contentieux interminable ait permis au Conseil d’État d’élaborer une nouvelle jurisprudence. 

« L’affaire nous éclaire enfin sur la manière dont on doit délivrer des dérogations à la destruction d’espèces protégées, qui sont en fin de compte l’un des derniers remparts du droit de l’environnement en France. » 

Maître Terrasse note que la définition de l’intérêt public majeur, à notre époque, est en train d’évoluer dans le sens d’une meilleure prise en compte de la nature. 

« Il aura fallu une dizaine de procédures pour s’en apercevoir. Je crois que les gens ne veulent plus de ces immenses projets, ils souhaitent des commerces et des loisirs de proximité. » 

Le pire, dans ce combat de longue, très longue haleine, c’est que personne ne peut savoir ce que la mairie et le propriétaire feront à l’avenir du terrain. Il n’est pas dit qu’un autre grand projet inutile tente de voir le jour. 

« C’est le problème avec l’environnement, commente le président de FNE Midi-Pyrénées. À chaque projet destructeur, vous avez toute une technostructure qui se met à l’appui, à laquelle ne font barrière que la justice ou la mobilisation populaire. En France, on manque d’arbitres, car l’État fait toujours partie de ceux qui vont démolir les espaces et les espèces. Avec des exceptions, mais rarissimes. » 

Dans ce projet, Thierry de Noblens dénonce en particulier la connivence entre Unibail et les plus hauts lieux de pouvoir. Sous la présidence de François Hollande, l’Élysée a mandaté sur place un médiateur, en charge de dénouer la situation. 

« Ce brave type s’appelle Guillaume Poitrinal, conseiller du président, mais aussi ancien directeur d’Unibail de 2005 à 2013. Que dire, quand le gouvernement lui-même pilote depuis Paris un centre commercial contesté à Toulouse ? Qu’on ne s’étonne plus que les préfets se dressent contre la population. » 

Augustin Langlade

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