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Six jeunes Portugais portent plainte contre trente-trois États pour inaction climatique

L’inaction des gouvernements en matière de climat peut être considérée comme une atteinte directe aux droits fondamentaux des populations.

Directement impactés par les canicules et incendies qui ont frappé leur pays, les six plaignants ont décidé d’attaquer en justice 33 Etats membres devant la Cour européenne des droits de l’homme pour atteinte aux droits fondamentaux des populations. Cette action en justice est un cas supplémentaire dans la liste des contentieux climatiques de plus en plus nombreux à travers le monde.

L’inaction climatique des Etats, une attaque directe au droit à la vie

Ils sont âgés de huit à vingt-et-un ans, vivent à Leiria ou Lisbonne, au Portugal, étudient à l’université ou sont encore au collège. Ils se nomment Catarina, Cláudia, Martim, Mariana, André, Sofia. Ils ont toute la vie devant eux. Du moins en théorie. Car chacun de ces six enfants et jeunes adultes portugais a fait l’expérience des conséquences du réchauffement climatique.

En 2017, certains d’entre eux ont subi de plein fouet les graves incendies qui touchèrent le Portugal, causèrent la mort de 120 personnes et en laissèrent des milliers d’autres avec des séquelles physiques, comme André, qui a souffert de problèmes respiratoires. En août 2018, comme en France, le Portugal a connu les plus fortes chaleurs de son histoire : 44°C à Lisbonne et 47°C à Santarem, non loin du record européen absolu de 48°C, atteint par Athènes en 1977.

Tous constatent que les pouvoirs publics ne font rien pour empêcher la catastrophe d’advenir. C’est pourquoi ils ont décidé de les attaquer en justice. 

Jeudi 3 septembre, ces six jeunes Portugais ont annoncé qu’ils comptaient poursuivre trente-trois États, dont les pays membres de l’Union européenne, la Suisse, la Russie, l’Ukraine, la Turquie, le Royaume-Uni et la Norvège, devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), afin que celle-ci les déclare responsables des bouleversements climatiques et les force à prendre des mesures à la hauteur des enjeux actuels.

Créée en 1959 et basée à Strasbourg, la CEDH est une juridiction internationale protégeant « les droits civils et politiques énoncés par la Convention européenne des droits de l’homme », ratifiée par quarante-sept États, au sein desquels ses décisions ont force de loi. Depuis 1998, la CEDH peut être saisie par de simples particuliers ; cependant, avec la requête actuelle, c’est la première fois qu’elle devra statuer sur le climat.

Les six jeunes plaignants – Source

Les six plaignants fondent leur recours en justice sur la violation de trois droits fondamentaux que garantit la Convention européenne de 1950 :

  • le « droit à la vie » (article 2), car le changement climatique constitue une menace physique pour les êtres humains ;
  • le « droit au respect de la vie privée et familiale » (article 8), puisque les sécheresses, la pollution, les incendies ou encore la montée des eaux compromettent le cadre de vie et l’intégrité des familles ;
  • enfin, le droit de ne pas être discriminé « dans la jouissance de ses droits et de ses libertés » (article 14), étant donné que les bouleversements environnementaux toucheront davantage les jeunes générations, qui devront affronter plus longtemps les conséquences de l’activité humaine.

Dans ces trois perspectives, l’inaction des gouvernements en matière de climat peut être considérée comme une atteinte directe aux droits fondamentaux des populations.

Afin de prouver le bien-fondé de leur accusation, les plaignants se rapportent au Climate Action Tracker, une analyse scientifique produite par un institut indépendant chargé de suivre les mesures des gouvernements de l’Union européenne et de trente-six autres pays pour remplir le principal objectif de l’Accord de Paris (2015), à savoir le maintien du réchauffement global en-dessous de 2°C.

Le Climate Action Tracker estime que l’ambition européenne de réduire, d’ici 2030, ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport aux niveaux de 1990 est « insuffisante » pour honorer les engagements pris en 2015, qui nécessiteraient une réduction d’au moins 65 %.

Une telle analyse, fondée sur des données scientifiques, vient ainsi nourrir l’argumentaire des requérants auprès de la cour, qui pourrait être amenée à créer plus tard, dans le meilleur des cas, un ou plusieurs articles consacrés à la protection de l’environnement et au climat.

L’Affaire est déposée le 03 juin 2020, elle obtient un statut d’affaire dite urgente. Durant le mois de novembre de la même année, la Cour Européenne exige des États qu’ils répondent. Par la suite, en février 2021, le tribunal confirme sa décision d’accélérer l’affaire malgré les efforts coordonnés des États pour demander son annulation. Enfin, après, les séries de défenses des gouvernements, puis la réponse à ces dernières par les jeunes portugais, le tribunal a renvoyé l’Affaire à la Grande chambre des 17 juges le 28 juin 2022. 

C’est une avancée historique car jamais auparavant autant d’États n’avaient dû se défendre eux-mêmes devant un tribunal ou un organisme international. Il s’agira donc d’une audience d’une ampleur sans précédent sur une question de conséquences sans précédent.

En effet, seule une infime fraction des affaires – 0.03 % – qui, selon la Cour, soulèvent les questions les plus graves sont envoyées à la Grande Chambre. L’association est en attente, elle espère que l’audience sera tenue prochainement. Pour suivre l’évolution du procès.

Les procédures juridiques contre les États pour inaction climatique se multiplient

Une telle requête, inédite auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, n’est toutefois pas la seule en son genre : elle s’inscrit dans une multiplication des procédures judiciaires en faveur de la cause climatique, menées par des citoyens ou des organisations de la société civile contre les États.

En juin 2015, déjà, le tribunal de district de la Haye (Pays-Bas), saisi par près de 900 citoyens conduits par la Fondation Urgenda, avait condamné l’État néerlandais à réduire ses émissions de GES « d’au moins 25 % d’ici à la fin de 2020 par rapport aux niveaux de référence de 1990 », une décision confirmée ensuite par un arrêt de la Cour suprême des Pays-Bas.

C’est la toute première affaire dans laquelle, en Europe, des citoyens sont parvenus à faire reconnaître, par une instance judiciaire, la responsabilité de leur gouvernement dans la gestion des bouleversements climatiques actuels. En ce sens, elle a constitué un précédent susceptible de justifier des actions similaires à travers le monde entier. 

En mars 2019, quatre associations – la Fondation Nicolas-Hulot, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France –, rassemblées sous la bannière « l’Affaire du Siècle », ont déposé un recours devant le tribunal administratif de Paris afin de faire sanctionner l’État pour « carence fautive » vis-à-vis du changement climatique, après avoir récolté en moins d’un an plus de deux millions de signatures à leur pétition de soutien (un record).

« L’Affaire du Siècle » souhaite que l’État soit contraint de respecter les promesses de l’Accord de Paris et que la notion de « préjudice écologique » soit intégrée au droit français. Un an plus tard, le 23 juin dernier, le ministère de la Transition écologique a remis au tribunal son argumentaire de défense, qui sollicite du juge un rejet intégral de la requête, au motif que « le lien de causalité direct et certain entre l’inaction alléguée de l’État et le changement climatique ne [serait] pas établi ».

Arguant qu’il est incapable d’influer directement sur les pratiques industrielles et agricoles, ainsi que sur les comportements individuels, à l’origine de la majorité des pollutions, l’État affirme que tous les objectifs qu’il s’est fixés d’ici 2030 sont en bonne voie de réalisation.           

La photo de victoire d’Urgenda suite à son action en justice

Or, selon « l’Affaire du Siècle », qui a elle-même déposé au tribunal, le 4 septembre, un « mémoire en réplique » pour démonter la défense du gouvernement, l’État ne peut se cacher derrière le prétexte de la multiplicité des acteurs. Au contraire, tout porte à croire que les lois et les mesures climatiques récemment adoptées « sont insuffisamment appliquées » et qu’elles n’honorent pas toute une série d’engagements.

En témoignent l’effondrement du fret ferroviaire (de 9 % en 2018, contre 30 % en 1984), le retard cuisant pris dans les politiques de rénovation énergétique (dont le rythme est vingt fois inférieur à ce qui serait nécessaire), la très faible intensité de la conversion vers l’agriculture biologique, etc. Autant de manquements que le ministère de la Transition écologique serait « bien en peine de pouvoir contester ».

De la même manière, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute ne se situe qu’à 17,2 %, soit 6 % de moins que l’objectif établi pour 2020. En somme, aucun des engagements de l’Accord de Paris n’a encore été pleinement mis en œuvre par la France. 

Le mémoire en réplique de « l’Affaire du Siècle » ajoute par ailleurs au dossier un échantillon des 26 000 témoignages issus de la cartographie interactive des impacts du changement climatique mise en place par les quatre associations sur internet. Lancée en décembre 2019, cette carte cherche à démontrer que les citoyens subissent d’ores et déjà les conséquences du dérèglement du climat, qui ne représente plus seulement une menace pour l’avenir.

Ornithologues, glaciologues, citadins ou campagnards, spécialistes ou simples citoyens, tous ces « témoins du climat » constatent la montée progressive du niveau des mers, l’allongement des périodes de sécheresse, la disparition des glaciers ainsi que des oiseaux, la pollution et l’appauvrissement des ressources en eau, la recrudescence des espèces nuisibles…

Une centaine de ces témoignages, choisis parmi les plus révélateurs, sont venus nourrir le contentieux qui oppose « l’Affaire du Siècle » à l’État français. La décision à été rendu le 3 février 2021 par le tribunal administratif de Paris : il reconnaît la responsabilité de l’État français dans la crise climatique, juge illégal le non-respect de ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre et le juge responsable de préjudice écologique. On espère que la Cour Européenne condamne elle-aussi les États ! Affaire à suivre…

Augustin Langlade

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