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Sécheresse en Espagne : la fin du « potager de l’Europe » ?

En Espagne, 3,8 millions d’hectares sont irrigués, représentant le quart des surfaces cultivées et assurant 65 % de la production totale du pays. La souveraineté alimentaire du territoire dépend donc majoritairement de ces irrigations.

Alors que l’état d’urgence pour cause de sécheresse historique a été déclaré en Catalogne le 1er février dernier, l’Espagne campe toujours la première place de producteur et exportateur de fruits et légumes en Europe. Avec des températures caniculaires relevées ces dernières années en hiver, une désertification des sols et des restrictions d’eau touchant les exploitations agricoles, de quelle façon la péninsule ibérique s’adapte au changement climatique pour espérer conserver sa souveraineté alimentaire ?

L’Espagne, acteur majeur de l’agroalimentaire mondial

Bien que se plaçant derrière la France par sa surface agricole utile – comprenant les terres arables, les surfaces toujours en herbe et les cultures permanentes – l’Espagne se retrouve régulièrement en tête des productions alimentaires mondiales depuis plus de vingt ans. 

Elle est notamment le 1er producteur d’huile d’olive au monde et produit en moyenne 27 millions de tonnes de fruits et légumes par an, dont 54 % de légumes, 38 % de fruits et 8 % de pommes de terre.

Au total, la balance commerciale agricole et agroalimentaire de l’Espagne atteignait 18 milliards d’euros (Md€) en 2021, comptabilisant 59,2 Md€ d’exportations dont une majorité de fruits, de viandes et de poissons, contre 41,2 Md€ importations.

En Europe, la péninsule ibérique est le leader incontesté de la production et de l’exportation de fruits et légumes. Elle occupe également la première place de cheptel porcin, de producteur de produits de la mer mais aussi du bio. Plus largement, l’Espagne produit près de 12% des denrées alimentaires en Europe, lui valant ainsi son surnom de « potager de l’Europe ».

L’Union européenne est par ailleurs le destinataire majoritaire de cette production, représentant près de 73 % de ses exportations, soit 36,7 Md€. Les ventes en France arrivent en première position pour un total de 7,3 Md€, suivie par l’Allemagne (5,7 Md €) et l’Italie (5,3 Md €).

L’Espagne et la France sont en effet des partenaires commerciaux de longue date : l’Hexagone est le 1er client de denrées alimentaires de la péninsule depuis 2012.

Rien qu’en 2021, la France a importé depuis l’Espagne près de 9,1 Md€ de produits agricoles et agroalimentaires. Ce sont, là encore, les fruits – dont 45% d’agrumes – qui sont le plus demandés, à hauteur d’1,9 Md€, avec les viandes et les abats (1 Md€), puis les légumes (461 M€).

© Unsplash

De nombreuses contraintes de production

Néanmoins, le territoire espagnol est soumis à de nombreuses contraintes géographiques, auxquelles viennent s’ajouter, depuis plusieurs années, celles du réchauffement climatique, venant questionner l’avenir des ressources alimentaires du continent européen.

Les producteurs doivent en effet cohabiter avec l’altitude – plus de 60 % des terres ont une altitude de plus de 600 m – ainsi que des pentes, un faible potentiel agronomique des sols et une faible pluviosité naturelle.

Alors, pour pallier ce manque d’eau, le pays a aménagé, depuis près de 50 ans, plus de 1220 mégabassines en vue de lutter contre la sécheresse et soutenir les agriculteurs. Mais alors que près de 75% du territoire espagnol est en voie de désertification selon l’ONU, la surexploitation des sols et des nappes phréatiques remet totalement en question ce système qui n’est aujourd’hui plus soutenable, d’autant qu’il profite à près de 90% à l’agriculture intensive.

En Espagne, 3,8 millions d’hectares sont irrigués, représentant le quart des surfaces cultivées et assurant 65 % de la production totale du pays. La souveraineté alimentaire du territoire dépend donc majoritairement de ces irrigations.

En plus d’assoiffer les sols via ce système de pompage, le pays tente également de rester compétitif à travers un autre moyen tout aussi controversé, le technosolutionnisme, pour contrebalancer, entre autres, la perte de 5 millions de ses hectares céréaliers. C’est notamment le seul pays européen à être pourvu d’une culture considérable de maïs génétiquement modifié, avec près de 115 000 ha, soit 35 % de la surface lui étant destinée.

À ce titre, le Parlement européen vient tout juste de se prononcer en faveur des nouveaux OGM, les « nouvelles techniques génomiques », qui permettraient, selon la Commission, de « rendre le système alimentaire plus durable et résilient en développant des variétés végétales améliorées résistantes au climat ». Des affirmations largement remises en doute par de nombreux scientifiques et ONG.

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Réhabiliter des systèmes agricoles soutenables

Mais d’autres initiatives, plus durables, émergent aussi depuis quelques années aux quatre coins du pays. Des canaux d’irrigation médiévaux ont par exemple été remis en état de marche, comme le racontent nos confrères du Monde. « « Grâce aux acequias, nous allons faire en sorte que l’eau s’infiltre dans le sous-sol, comme dans une éponge, et circule lentement dans les nappes phréatiques, au lieu de ruisseler, de dévaler les rivières et de se perdre dans le Tage puis la mer ». Ainsi, l’eau sera maintenue sur le territoire et « récoltée » en été, quand elle fait défaut », peut-on lire.

Certaines associations plaident quant à elles pour une agriculture regénératrice. Une technique encouragée par les Nations Unies dans leur rapport pour la restauration des sols. L’organisation à but non lucratif Commonland a par exemple mobilisé, dès 2015, des exploitations agricoles locales dans la région de l’Altiplano Estepario, au sud de l’Espagne, pour mener à bien un projet de lutte contre l’érosion des sols et la désertification.

Pour y parvenir, ils y ont planté des centaines de milliers d’arbres et de graines de cultures adaptées au changement climatique et respectueuses des sols. Une fois récoltées, ces dernières sont ensuite distribuées à des coopératives alimentaires circulaires à destination des consommateurs.

Mais aussi louables soient-elles, ces solutions ne concernent cependant qu’une infime partie du pays et ne sont efficaces et tenables que d’un point de vue local, en plus de ne pas faire le poids financièrement face à l’agro-industrie.

Le gouvernement espagnol, de son côté, annonçait en 2023 une série d’aides au secteur agricole à hauteur de 784 millions d’euros et l’investissement dans des sources d’eau dites « non conventionnelles » – provenant notamment du dessalement d’eau de mer – pour 1,4 milliard d’euros, afin de, toujours plus, augmenter la ressource en eau. Repenser le système de manière plus soutenable ne semble cependant toujours pas être à l’ordre du jour, malgré la gravité toujours plus intense des sécheresses.

Sources : « Espagne, Contexte agricole et relations internationales », Ministères de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire / « La politique agricole en Espagne », Direction générale du Trésor, 19/05/2023 / « Nouvelles d’Espagne et du Portugal », Agriculture et Pêche n°33, Direction générale du Trésor, 28/06/2023 / « En Espagne, des canaux d’irrigation médiévaux remis en état pour lutter contre la sécheresse », Le Monde, 30/11/2022 / « En Andalousie, l’agriculture régénérative s’épanouit sur des sols asséchés », Reporterre, 27/05/2023 / « Global Land Outlook, Second edition », United Nations

Juliette Boffy

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