Le 7 mai, le procès intenté par la Vietnamienne Tran No Nga (82 ans) contre Monsanto et 13 autres firmes a été rouvert par la Cour d’appel de Paris. L’agent orange, herbicide utilisé comme arme chimique par l’armée américaine entre 1961 et 1971 pendant la guerre du Vietnam, a fait des millions de victimes et contaminé les terres agricoles durablement. Le verdict est attendu le 22 août prochain. Pourquoi ce procès est celui de l’agro-chimie ?
Le procès de l’agent orange
En 2021, lors du premier épisode judiciaire autour de l’agent orange, les firmes de l’agrochimie avaient échappé à tout jugement. Le Tribunal judiciaire d’Evry jugeant « irrecevable » la plainte au motif que les entreprises incriminées avaient agi sous ordre de l’État américain, excluant ainsi toute responsabilité de leur part.
Trois ans plus tard, tout a changé ! Les avocats de Tran No Nga ont réussi a démontré que les entreprises agro-chimiques ont répondu volontairement à un appel d’offres. Ce dernier n’imposait en rien un tel niveau de dioxine, substance toxique, dans la composition de l’agent orange. Le procès a donc été rouvert en appel.
« Nous avons démontré qu’il n’était pas question ici de juger l’État américain, mais de juger les faits commis par les sociétés américaines productrices de l’agent orange de manière indépendante et autonome. Elles n’ont rien d’une émanation de l’État, ce sont des sociétés purement commerciales qui, dans la recherche du profit, ont fournit un produit dangereux » a argumenté maître William Bourbon, avocat de Tran No Nga, au micro du journaliste Rémi-Kenzo Pagès.
C’est tout l’enjeu du procès qui se tient actuellement. L’immunité des entreprises va-t-elle être levée ?
« Ce dont il est question, ce sont les agissements des sociétés et pas la guerre au Vietnam. L’agent orange n’était pas une arme de guerre » a poursuivi Maître William Bourbon.
L’agro-chimie et les pesticides au cœur du procès
Aujourd’hui le glyphosate, le chlordécone ou le roundup, hier l’agent orange, l’une des créations les plus importantes de Monsanto. C’est toute l’idéologie des firmes agro-chimiques qui est attaquée lors de ce procès.
La toxicité de l’agent orange est connue des fabricants depuis 1957. Ce défoliant est issu de l’alliage de deux herbicides : acide trichlorophénoxyacétique, utilisé pour éliminer les plantes ligneuses et les plantes envahisseuses dans les monocultures céréalières, et l’acide dichlorophénoxyacétique, déversé sur les cultures de graminées.
L’alliage de ces deux herbicides est « capable d’éliminer à la fois les arbres, leurs feuilles, les arbustes, mais également les feuillages, plantes et cultures agricoles » selon un rapport de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) datant de 2017. Aucune espèce ne résiste à l’agent orange car celui-ci « provoque l’assèchement du végétal ».
« L’agent orange n’a été au service que d’une seule cause : la destruction de toute trace de vie végétale et animale » précise l’IRIS.
La condamnation du premier écocide de l’histoire ?
En 1961, l’armée américaine commence l’épandage de l’agent orange sur les terres vietnamiennes. L’objectif était de débusquer et d’affamer les résistants cachés dans la forêt. Les arbres s’assèchent, les feuilles tombent au sol, détruisant les terres agricoles. Le système d’extermination était bien rodé.
La dioxine a été volontairement surdosée par les entreprises agro-chimiques. Au total, 80 millions de litres ont été déversés. 400 000 hectares de terres ont été annihilés.
En 2010, l’OMS publie un rapport sur l’utilisation de la dioxine et les dangers pour la santé humaine. Les conclusions sont édifiantes ! L’exposition à court terme à des niveaux élevés de dioxines peut entraîner des lésions cutanées et une altération de la fonction hépatique. L’exposition à long terme provoque une atteinte du système immunitaire, du système nerveux, du système endocrinien et des fonctions reproductrices.
Résistante active lors de la guerre du Vietnam, Tran To Nga avait 24 ans lors des premiers épandages de l’agent orange par l’aviation américaine. Aujourd’hui, les effets de l’herbicide sont encore vivaces pour elle et sa descendance.
Sa première fille est morte à l’âge de 17 mois d’une malformation cardiaque. Ses deux autres filles et petits-enfants sont atteints de pathologies graves. Elle est elle-même atteinte de tuberculose, d’un cancer et de diabète.
Plus de 3 millions de victimes sont recensées. Victimes directes ou indirectes, descendantes ou présentes lors des épandages, engendrant cancers du poumon, chloracnés, ou encore diabète. Ce procès est le dernier espoir pour les victimes de faire entendre leur voix.
Si la Cour d’appel de Paris lève l’immunité des 14 entreprises agro-chimiques, celles-ci pourront être poursuivies pour crime d’écocide, reconnu dans le droit européen depuis novembre 2023.
Source : “UN AGENT NOMMÉ ORANGE, Mécanique d’une destruction sans fin”, Iris, Institut de relations internationales et stratégiques, Décembre 2017