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Scandale du chlordécone : fin de l’enquête sans mise en examen, un déni de justice

Révoltées par la décision des juges d’instruction d’abandonner les poursuites, les associations antillaises ne comptent pas en rester là.

En Guadeloupe et en Martinique, le procès du chlordécone devait être celui de toute une époque. Il n’aura sans doute jamais lieu. Le 25 mars, les juges d’instruction du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris ont mis fin à leur enquête sur l’empoisonnement des Antilles au chlordécone sans prononcer de mise en examen, a révélé ce mardi 5 avril l’AFP, selon laquelle ce dossier tentaculaire devrait se clore par un non-lieu.

En 2006, des associations martiniquaises et guadeloupéennes avaient déposé une plainte contre X pour les crimes d’« empoisonnement », de « mise en danger de la vie d’autrui » et d’« administration de substance nuisible ». Elles espéraient que la justice punirait les responsables de ce désastre sanitaire et environnemental.

Après des années d’investigation, l’enquête était au point mort. En mars 2021, l’ancien procureur de Paris, Rémy Heitz avait déjà confié au quotidien régional France Antilles que « compte tenu des délais de prescription alors en vigueur, à savoir dix ans pour les crimes et trois ans pour les délits, la grande majorité des faits dénoncés était déjà prescrite » au moment du dépôt de plainte, laissant entendre que les coupables potentiels ne seraient jamais condamnés.

Un scandale d’État

Le chlordécone est un pesticide ultra-toxique employé massivement dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique, de 1972 à 1993. Interdit en France en 1990, il a continué à être épandu pendant trois ans aux Antilles, à cause d’une dérogation ministérielle dont l’objet officiel était de lutter contre le charançon du bananier.

Trente ans plus tard, la situation est dramatique. En Martinique, le chlordécone a contaminé la moitié des 24 000 hectares de surface agricole utile. Ayant infiltré les nappes, les sols, le bétail, les végétaux, le produit a été retrouvé à des doses alarmantes dans l’organisme de plus de 90 % des Guadeloupéens et des Martiniquais, qui présentent également un taux d’incidence du cancer de la prostate deux fois supérieur à celui de la métropole.

Pire encore, le chlordécone persisterait dans les sols jusqu’à sept cents ans après leur contamination, et il n’existerait actuellement aucun moyen de les dépolluer.

Les innombrables rapports parlementaires, études et enquêtes journalistiques effectués aux Antilles convergent tous vers une même conclusion : l’État connaissait la toxicité de cette substance dès les années 1970, mais a quand même autorisé sa mise sur le marché, probablement sous la pression des grands planteurs de bananes antillais.

Lire aussi : Martinique : des militants anti-chlordécone condamnés à de la prison ferme

De maigres avancées

La bataille judiciaire engagée en 2006 a largement contribué à faire connaître, en métropole, le désastre du chlordécone, d’une ampleur inédite et unique au monde. Face au scandale, les divers gouvernements ont d’abord tenté d’étouffer l’affaire ; mais comme l’explique la journaliste au Monde Faustine Vincent, la polémique a « obligé l’État à revoir sa stratégie », dont « le nouveau maître-mot [est] communication ».

C’est ainsi que la cartographie des zones polluées, restée confidentielle, a été rendue publique en 2018. Chaque fois plus ambitieux, plusieurs plans nationaux ont été engagés et depuis le 22 décembre 2021, le cancer de la prostate lié à une surexposition à ce pesticide est reconnu comme maladie professionnelle, ce qui ouvre la voie à l’indemnisation des agriculteurs.

Malgré ces très maigres avancées, l’inertie et l’attentisme dominent la politique française. Que faire, cependant, contre ce produit qu’on soupçonne de perturber le système hormonal, d’altérer la croissance du fœtus, du nourrisson et de l’enfant, d’intoxiquer le système digestif, notamment les reins et le foie, et avec lequel les Antillais devront pourtant s’habituer à vivre pendant quatre à sept siècles ?

Lire aussi : Chlordécone : des milliers de manifestants exigent un procès pour obtenir justice et vérité

L’épopée n’est pas terminée

Révoltées par la décision des juges d’instruction d’abandonner les poursuites, les associations antillaises ne comptent pas en rester là.

S’exprimant sur France Info, Harry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) et avocat historique des victimes du chlordécone, a indiqué que « l’empoisonnement massif » des sols ne constitue pas un crime comme les autres, mais une « infraction continue », dans la mesure où ses effets sur les êtres humains se prolongent bien au-delà de la dernière date d’épandage.

Or, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le délai de prescription court à partir du moment où l’infraction cesse de s’accomplir. Les crimes associés au chlordécone pourraient ainsi échapper à l’extinction inéluctable de l’action publique.

« Le procureur a deux mois pour prendre ses réquisitions et même si une ordonnance de non-lieu intervient dans quelques mois, nous allons interjeter appel, a déclaré en ce sens Harry Durimel. Si la Cour d’appel confirme l’ordonnance de non-lieu, nous irons devant la Cour de cassation, car le motif invoqué, ce n’est pas qu’il n’y a pas de coupable, c’est qu’il serait trop tard pour agir. »

L’épopée judiciaire du chlordécone n’est donc pas terminée. Si nombre de protagonistes de cette affaire ont un âge avancé ou sont morts – tels qu’Yves Hayot, ancien directeur de la société ayant commercialisé le pesticide –, la tenue d’un procès aurait une portée symbolique considérable. Mais l’Hexagone le souhaite-t-il vraiment ?

Crédit photo couv : Fanny Fontan / Hans Lucas via AFP

Augustin Langlade

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