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« On ne veut pas du carburant pour avions, on veut des forêts »

« Le Secrétariat général à la Planification écologique parle déjà d’un déficit de biomasse en 2030 avec les projets en cours. Les nouveaux projets vont donc aggraver le problème. Ensuite, ce bois, on le brûle directement : il émet encore plus de CO2 alors que la forêt en capte de moins en moins. » 

Plus de 1000 personnes ont manifesté samedi 14 juin à Pau « pour des forêts vivantes ». Elles s’opposaient à des projets industriels de production d'énergie à partir de bois et à une vision extractiviste des forêts.

Du carburant pour avions avec le bois

La mobilisation a des airs de joyeuses retrouvailles. Après « l’Assemblée pour les forêts Vivantes » et une manifestation organisée en Creuse en 2024, des habitants de Pau, des Pyrénées toutes proches, mais aussi du Morvan ou du Limousin se sont à nouveau donné rendez-vous à l’appel du Collectif Forêts Vivantes Pyrénées (FVP), de Canopée Forêts Vivantes, du Réseau Forêt Limousine ou encore de SOS Forêt France.  

Du fait de l’industrialisation de la gestion forestière et de la multiplication des projets écocidaires, ces rassemblements sont devenus réguliers. Les collectifs locaux s’organisent, tissent des alliances et des liens de camaraderie qui donnent aux luttes locales une dimension nationale. 

La manifestation est joyeuse, le cortège coloré. Plus d’un millier de personnes se sont mobilisés. Des retraités déambulent aux côtés de jeunes militants, des parents accompagnés de leurs enfants portent des banderoles, certains sont déguisés en animaux de la forêt, d’autres couverts de feuillages.  

Mais derrière cette bonne humeur apparente, « la colère des militants gronde » prévient Jacques Descargues, ancien secrétaire général de l’Office National des Forêts (ONF) et porte-parole du Collectif Forêts Vivantes Pyrénées (FVP). 

En cause : deux projets « inutiles et dangereux ». E-CHO, promu par l’entreprise Elyse Energy, vise notamment à produire du « e-biokérosène » via l’usine BioTJet à Lacq. BIOCHAR, entend faire du charbon végétal pour fertiliser les sols agricoles et fabriquer des carburants de véhicules, à Garlin. Le tout nécessiterait plus de 600 000 tonnes de bois par an. 

Le bois : une énergie renouvelable ?  

Les biocarburants, notamment ceux produits à partir de biomasse forestière, ont le vent en poupe.  

« Aujourd’hui, 35 % des énergies renouvelables sont du bois-énergie, rappelle Bruno Doucet, chargé de campagne forêts françaises de l’association Canopée. Emmanuel Macron veut notamment beaucoup développer les biocarburants pour l’aviation. »  

Le secteur aérien affiche en effet ses ambitions de décarbonation : « du greenwashing » selon Didier Riché, ancien directeur de l’aéroport de Biarritz-Pays Basque, allié inattendu de cette lutte. 

En 2018, l’Union européenne avait émis une directive classant le bois dans les énergies « renouvelables ». Plus de 800 scientifiques avaient alors publié une lettre dans la revue Nature, alertant sur « une augmentation considérable des émissions de carbone dans l’air » liées à cette combustion de bois.  

« En réalité, le bois n’est pas vraiment une énergie renouvelable du fait de son temps de croissance, estime Bruno Doucet pour La Relève et La Peste. Cela pose le problème de sa disponibilité. Le Secrétariat général à la Planification écologique parle déjà d’un déficit de biomasse en 2030 avec les projets en cours. Les nouveaux projets vont donc aggraver le problème. Ensuite, ce bois, on le brûle directement : il émet encore plus de CO2 alors que la forêt en capte de moins en moins. » 

En effet, au cours de leur croissance, les arbres captent du carbone, qu’ils stockent durant leur existence, parfois sur plusieurs siècles. Mais du fait du réchauffement climatique et de la gestion industrielle des forêts, la capacité des forêts à capter et stocker du carbone a été divisée par deux en 10 ans. 

« Le kérosène de BioTJet émettra en moyenne chaque année plus de CO2 que de continuer à brûler du kérosène fossile » estime ainsi Bernard Galtié, membre du groupe local du Shift Project – l’association présidée par Jean-Marc Jancovici-. 

Hiérarchiser les usages  

Ces projets, basés sur une vision court-termiste de l’exploitation forestière, sont aussi critiqués pour leur absurdité économique : « cela ressemble à un canular » s’agace Peppino Terpolilli, porte-parole du Collectif Forêts Vivantes Pyrénées, pour La Relève et La Peste.  

 « En forêt, il y a un principe de hiérarchie des usages, rappelle Bruno Doucet. On va utiliser d’abord le bois d’œuvre pour faire de la construction parce que c’est ce qui produit le plus de valeur économique et ce qui stocke le plus de carbone. Les déchets de ce bois peuvent ensuite être utilisés pour faire du bois d’industrie, notamment des panneaux de bois ou du papier. Ensuite, on peut en faire du bois-énergie avec ce qu’il reste.  

Mais aujourd’hui, 68 % du bois récolté en France part en bois-énergie : on a complètement inversé le principe » 

Selon les opposants au projet, cette vision purement extractiviste des forêts fait donc peser une menace sur les travailleurs des entreprises locales de transformation du bois : « Le Syndicat de la Filière Bois est très inquiet de la destruction d’emplois en Nouvelle-Aquitaine du fait de ces projets, » affirme Jacques Descargues à La Relève et La Peste.  

Le manque de discernement face à l’usage de la ressource en bois sidère de nombreux manifestants : « On ne rase pas les forêts pour faire voler des avions » déclare simplement Thomas Brail, figure de la lutte pour la défense des arbres via son opposition à la construction de l’A69.  

« Je considère que le projet ECHO est une très bonne manière de faire du e-fuel, estime Xavier Arnauld, habitant de Pau, pour La Relève et La Pesste. Mais cela ne sert à rien : cela a un gros impact environnemental pour produire 1 % des besoins énergétiques d’une aviation dont on n’a pas besoin ». 

 « 75 % du transport aérien d’aujourd’hui, c’est du loisir et du tourisme, confirme Didier Riché, qui a fait toute sa carrière dans le secteur aéronautique. On peut très bien se passer de l’avion, j’ai décidé de ne plus jamais le prendre. » 

Les membres des collectifs, association et de nombreux citoyens présents appellent ainsi les pouvoirs publics à orienter l’argent public vers des pratiques de gestion forestière durables plutôt sur des projets de greenwashing. Néanmoins, ils constatent une absence d’écoute de la part de l’Etat et des porteurs de projets.  

« On quitte donc la concertation pour la confrontation, prévient Jacques Descargues. Tout sera mis en œuvre pour bloquer ces projets. » 

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Eloi Boye

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