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Nouveaux recours en justice contre les chasseurs : le combat des associations pour l’égalité devant le confinement

En ce second confinement, ces derniers peuvent ainsi jouir presque exclusivement des espaces naturels, fermés pourtant aux enfants, sportifs, promeneurs et autres cueilleurs de champignons. Au nom de quoi ? De la « chasse de régulation », indiquent préfectures et ministère, qu’ils opposent à la « chasse de loisir », actuellement interdite.

Deux poids, deux mesures. Alors que des millions de Français n’ont pas même la possibilité de se promener à plus d’un kilomètre de leur domicile, une partie des chasseurs ont reçu l’autorisation de maintenir leurs activités au nom de la « régulation » des espèces sauvages. Bien décidées à ne pas laisser passer un énième cadeau aux chasseurs, les associations de protection de l’environnement ont décidé d’attaquer les arrêtés préfectoraux abusifs en justice… avec succès ! Dans une première décision rendue aujourd’hui, le tribunal administratif de Lozère vient de statuer qu’il n’est plus possible d’y chasser le mouflon.

La régulation par les chasseurs, un mythe tenace

Dans une circulaire du 31 octobre, le ministère de la Transition écologique appelait les préfets à convoquer sans plus attendre leur Commission départementale de la chasse et de la faune sauvage (CDCFS), dans l’optique de « fixer des objectifs de prélèvement » de gibier et d’établir « les enjeux de régulation » des nuisibles, c’est-à-dire des animaux « susceptibles d’occasionner des dégâts » sur les forêts, les infrastructures et les exploitations agricoles.

En une semaine, dans la plupart des départements, le document du ministère a été traduit par les préfets en dérogations, passe-droits extraordinaires et quotas en fonction des spécificités locales. S’il veut nourrir ses appelants, le chasseur peut depuis lors cocher la case numéro trois (« Consultations, examens et soins ne pouvant être assurés à distance et achat de médicaments »).

S’il souhaite chasser aux alentours de sa résidence, c’est la case numéro six (déplacements brefs). Et s’il part dans une forêt, en groupe, pour « réguler » le gibier, il dispose de la case numéro huit (« Participation à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité administrative »), qui lui permet des déplacements quasi illimités. 

Lire aussi : « Quand les chasseurs se transforment en milices vigilantes du confinement »

Les espèces dont le « prélèvement » est autorisé répondent parfois aux exigences du ministère (qui avait pris soin d’interdire la chasse à courre et l’agrainage par exemple), parfois aux appétits du monde cynégétique, mais toujours à cette conception voulant que les chasseurs soient un maillon indispensable dans l’équilibre entre la nature sauvage et la société.

En témoignent les divers arrêtés préfectoraux, qui permettent de tirer des sangliers et des cervidés dans toute la France, des chamois dans le Haut-Rhin, des mouflons en Lozère, des renards et des blaireaux dans le Territoire de Belfort, des pigeons ramiers dans le Lot-et-Garonne (aucunement nuisibles en cette période de l’année) ou encore des cormorans dans plusieurs départements de la Loire, bien que cette espèce soit protégée.

Peu importe le département, ces arrêtés sont systématiquement présentés comme des mesures d’intérêt général.

Cette politique permissive envers les chasseurs conduit parfois à des situations ubuesques comme dans le Sud de l’Aveyron où des maraîchers doivent affronter les ravages des campagnols sur leurs cultures. Pourtant, il est permis d’y chasser le renard, considéré comme « nuisible », alors que le goupil est l’un des prédateurs naturels des … campagnols.

On estime qu’un seul renard peut chasser environ 5000 campagnols par an, une régulation strictement naturelle dont les agriculteurs auraient bien besoin. Cette situation absurde se répète également dans l’Aisne, la Marne et les Ardennes.

Exemple parmi d’autres, l’arrêté de la préfecture du Pas-de-Calais, le département de l’influent président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, valide l’abattage déconfiné des sangliers, chevreuils, daims, cerfs, pigeons ramiers, renards roux, corbeaux freux, corneilles noires, pies bavardes, rats musqués, ragondins…

Hormis les faisans et perdrix, les oiseaux migrateurs et le gibier d’eau, on le voit, toutes les espèces habituelles peuvent y être chassées, sans aucun contrôle, en outre, des prises qu’effectuent les chasseurs.

En ce second confinement, ces derniers peuvent ainsi jouir presque exclusivement des espaces naturels, fermés pourtant aux enfants, sportifs, promeneurs et autres cueilleurs de champignons. Au nom de quoi ? De la « chasse de régulation », indiquent préfectures et ministère, qu’ils opposent à la « chasse de loisir », actuellement interdite.

Crédit : Sebastian Pociecha

Cependant, « cette distinction n’existe pas en droit », nous explique Muriel Arnal, présidente de l’association One Voice, qui lutte pour le respect des animaux. « En France, rappelons-le, la chasse est uniquement considérée comme un loisir. Les régulations ne servent qu’à permettre aux chasseurs de le pratiquer. »

Selon Muriel Arnal, ces arrêtés prouvent que les chasseurs jouissent d’un privilège infondé, que des pouvoirs publics complaisants se chargent d’entretenir.

« Est-il plus important de réguler des animaux dont on ne connaît pas les véritables dégâts ou de permettre aux enfants enfermés dans des appartements d’avoir accès à la nature ? Cet ordre des priorités n’a aucun sens ! »

Comme d’autres associations, One Voice a décidé d’attaquer les récents arrêtés préfectoraux en justice, dans le but d’obtenir leur suspension rapide. En tout, l’association a déposé auprès des tribunaux administratifs vingt-quatre recours en annulation et référés-suspensions, dont les audiences auront lieu au compte-gouttes à partir de la dernière semaine de novembre. Quels sont les arguments invoqués ? Muriel Arnal en dénombre deux.

« Premièrement, nous attaquons au motif que la chasse de régulation n’existe pas : pour qu’un abattage d’extrême urgence soit décrété, il faut prouver les dommages causés par les animaux, or les chasseurs ne le peuvent pas. Deuxièmement, l’annulation de ces arrêtés empêcherait que de nouvelles dérogations soient accordées lors d’un prochain confinement. »

Mais les audiences tardent à s’ouvrir et pendant ce temps, les chasseurs ont le droit de parcourir des centaines de kilomètres pour aller chasser.

« Cette situation est symptomatique de la France, où les acteurs cynégétiques ont des passe-droits en permanence. »

Lire aussi : « En campagne, témoignages et actions se multiplient contre la tyrannie des chasseurs »

Une cabane de chasseur dans les bois – crédit : Pascal Debrunner

Le mouflon épargné en Lozère grâce aux associations

En associant leurs forces, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) ont également déposé vingt-huit recours « attaquant les arrêtés qui leur ont paru les plus incongrus ».

Grâce à des citoyens mobilisés pour l’occasion, l’ASPAS a rapidement publié une carte virtuelle qui recense la petite centaine d’arrêtés en vigueur en France ainsi que leur contenu. Très coûteuses, les procédures engagées en justice possèdent une importante pratique et symbolique.

Comme nous le confie Madline Rubin, directrice de l’ASPAS, « que ces arrêtés soient illégaux, au moins en partie, est une chose, que les chasseurs reçoivent un énième cadeau de la part du gouvernement, alors que les autres citoyens reçoivent des amendes, en est une autre. Les chasseurs ont du poids, la prétendue régulation est le fruit du lobby qu’ils mettent en œuvre pour exercer leur loisir, et cette iniquité ne peut plus durer. »

Alors que nous discutons avec elle, Madline Rubin apprend que l’ASPAS a déjà remporté une première victoire : en Lozère, le tribunal administratif vient de statuer que la présence du mouflon dans l’arrêté préfectoral était abusive. La chasse de cette espèce est suspendue.

« Le juge estime que cet animal n’entraîne aucun dégât, sa chasse est en ce moment injustifiable. C’est une réussite ! On espère que cette décision fera jurisprudence au plus vite. »

Pour les associations de défense des animaux, il paraît intolérable que les chasseurs, électorat choyé, dictent aux préfets le contenu de leurs arrêtés. Pour Madline Rubin aussi, il s’agit d’éviter que cette situation se répète lors de prochaines contraintes sanitaires ; mais une telle jurisprudence permettrait tout autant de freiner l’engouement des chasseurs pour les préfectures…

« Toutes les victoires que nous allons obtenir aujourd’hui seront des garanties, des arguments nouveaux pour les conflits à venir. » 

L’association mentionne par ailleurs le « flou qui entoure les enclos de chasse », ces 1 200 à 1 300 domaines privés où les chasseurs déboursent de coquettes sommes pour abattre en toute intimité du gibier choisi. Une fois n’est pas coutume avec la chasse, la décision de maintenir ouverts ou de fermer les enclos a été laissée à la discrétion du préfet. Les arrêtés divergent en la matière.

Trois recours suscitent en particulier l’attention de la LPO et de l’ASPAS : l’audience fixée à Limoges le 25 novembre, celle de Nantes le 26 et celle de Lille le 27. Les décisions de ces trois tribunaux devraient conditionner les procédures suivantes.

Augustin Langlade

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