Des associations demandent un moratoire sur les usages non essentiels de la biomasse forestière. Alors que les projets d'aviation dite verte se développent à travers le territoire, impactant sensiblement les forêts françaises, associations et militants se mobilisent pour tenter de préserver les forêts. Des puits de carbone essentiels face au dérèglement climatique et pourtant aujourd'hui en danger.
Dans les rues de Pau (Pyrénées-Atlantiques), ils étaient plusieurs centaines ce samedi 15 juin à manifester au son des tambours contre le projet E-cho. Porté par Elyse Energy, PME industrielle française spécialisée dans la production de carburants durables, et RTE, responsable du réseau public de transport d’électricité, le projet prévoit d’ici 2028 l’installation d’usines de production d’énergies bas-carbone à destination de la chimie, mais aussi du transport maritime et aérien, sur le bassin de Lacq.
Ce projet, d’un coût total de 2 milliards d’euros dont 7,9 millions d’euros financés par l’État, permettrait, d’après ses instigateurs, de contribuer à développer des alternatives aux énergies fossiles. BioTJet, par exemple, l’un des volets du projet, prévoit ainsi de produire 75 000 tonnes d’e-biokérosène.
L’objectif : produire, grâce à ce carburant d’aviation durable, 20% des biocarburants d’aviation dont la France aura besoin en 2030. Une ambition dont se réjouit Elyse Energy qui, face à l’objectif de neutralité carbone affiché d’ici 2050 à l’échelle de l’Union européenne (UE), défend la « nécessité de produire des molécules certifiées renouvelables ou bas-carbone ».
Un usage inconsidéré de la masse forestière
Un projet dit « vert », donc, qui ne va pourtant pas sans inquiéter les associations de préservation de l’environnement. Réunies au sein du collectif Touche pas à ma forêt – Pour le climat (TPMF-PLC), ces dernières s’opposent de longue date à ce qu’elles considèrent comme une aberration écologique, à commencer par l’usage qu’elles estiment inconsidéré de la masse forestière.
« Pour alimenter l’usine, il faudra 500 000 m3 de bois par an, entame Jacques Descargues, membre du collectif pour La Relève et La Peste. C’est insensé. »
Autre point d’inquiétude majeur, la quantité d’eau nécessaire au projet.
« Ils vont prélever 8 millions de m3 d’eau par an dans le gave de Pau, poursuit Jacques Descagues, soit l’équivalent de la consommation annuelle en eau de 156 000 habitants. Et puis, en plein été, quand le gave est très bas, va se poser le problème de la disponibilité de l’eau ».
Un chiffre contredit par Elyse Energy qui, en calculant la part annuelle d’eau restituée au milieu, estime à environ 4 millions de m3 la quantité d’eau prélevée par an. « Nous travaillons comme convenu à l’issue de la concertation préalable à réduire ce chiffre de prélèvement net », assure la PME, qui explique avoir en outre engagé un travail sur la réutilisation des eaux industrielles du bassin.
Pas de quoi rassurer les militants écologistes, qui s’inquiètent également de voir la biodiversité des milieux aquatiques détruite avec l’avènement du projet.
« Les eaux rejetées par l’usine pourraient atteindre jusqu’à 30°, ce qui est beaucoup trop élevé, détaille Philippe Garcia, président de l’association de Défense des milieux aquatiques (DMA) pour La Relève et La Peste. Les poissons migrateurs du gave de Pau comme les saumons ont besoin d’eau froide. Avec ce projet, il est absolument sûr qu’ils vont être impactés. »
La multiplication de projets « qui s’en prennent aux forêts françaises »
Surtout, le collectif TPMF-PLC s’alarme de la multiplication des projets « irresponsables qui, face au dérèglement climatique, s’en prennent aux forêts françaises ». Dans le viseur du collectif, le projet Biochar par exemple.
Porté par la société toulousaine Miraïa à Garlin, toujours dans les Pyrénées-Atlantiques, ce projet consisterait à produire du biochar, « c’est-à-dire du charbon à partir de bois noble torréfié pour fertiliser les sols, détaille Jeanne Ophuls. Le problème, c’est que ce projet nécessiterait 135 000 tonnes de bois récoltés par an en plus des 300 000 tonnes de bois sec récoltés chaque année par E-Cho. »
Dans le département voisin des Hautes-Pyrénées, dans la commune de Lannemezan, c’est l’usine géante de production de carburant d’aviation durable qui inquiète les militants de l’environnement. Porté par le producteur indépendant d’électricité renouvelable montpelliérain Qair, en partenariat avec Airbus, le projet vise à produire 70 000 tonnes d’électro-carburant par an pour l’aviation.
« On ne sait pas encore s’ils vont faire appel ou non à la biomasse, mais cela nous inquiète évidemment », anticipe Jeanne Ophuls.
Du côté des Bouches-du-Rhône, cette fois, dans la commune de Gardanne, c’est le projet Hynovera qui retient l’attention des militants écologistes. Encore au stade d’études, ce projet, porté par l’industriel Hy2Gen, prévoyait initialement de recourir à l’extraction de CO2 à partir de bois afin de produire des carburants renouvelables pour l’aviation.
Face à la contestation citoyenne, le projet a dû être revu et « il a été décidé que le CO2 entrant dans la composition du produit fini ne serait plus obtenu avec du bois, mais capté depuis des usines de la région », détaillent nos confrères de Marsactu.
« Ça ne veut pas dire qu’il faut baisser la garde pour autant, insiste Jeanne Ophuls. Vu le nombre de projets qui se développent, on ne peut qu’être inquiets. »
Un moratoire sur les usages non essentiels de la biomasse forestière
Des inquiétudes que Benoît Decourt, l’un des associés fondateurs d’Elyse Energy, entend.
« Concernant le projet E-cho, je suis confiant, assure-t-il, tandis que suite à la concertation préalable pilotée par la Commission nationale du débat public (CNDP), la PME a présenté plusieurs engagements, parmi lesquels recourir à des résidus pour les deux tiers de la biomasse utilisée. Mais de façon générale, il est évident que les problématiques d’approvisionnement en bois vont finir par se poser face aux limites significatives des ressources en biomasse. »
Et de renchérir : « Au-delà d’un certain usage, il va y avoir une problématique de disponibilité de la matière première ».
Seulement, entre les industriels et les militants écologistes, le seuil de l’« usage » à ne pas dépasser varie sensiblement. Le collectif TPMF-PLC, par exemple, demande dès à présent un moratoire sur les usages non essentiels de la biomasse forestière, dans le contexte alarmant où, comme le soulignait déjà en juin 2023 l’Académie des sciences, les forêts assurent de moins en moins leur rôle de puits de carbone, à tel point qu’en dix ans, la capacité de stockage du CO2 par les écosystèmes forestiers a été divisée par deux.
« Ce qu’il faudrait, in fine, conclut Peppino Terpollini, mathématicien et militant pour l’environnement, c’est réduire le trafic aérien et développer les mobilités douces comme le train, plutôt que continuer cette course effrénée à l’aviation dite verte. Mais ça demande de repenser totalement nos façons de réfléchir et on en est loin. »