Le rassemblement contre les mégabassines qui a eu lieu dans les Deux-Sèvres ce weekend a été historique par l’ampleur de la mobilisation, avec des dizaines de milliers de personnes venues du monde entier, mais aussi la répression dont elle a fait l’objet. Plongé dans le coma, un manifestant oscille encore entre la vie et la mort.
Une répression féroce
Le rassemblement avait été interdit par la préfecture, Julien le Guet, le porte-parole du collectif « Bassines Non Merci » avait reçu l’ordre de ne pas s’approcher du site de la mégabassine et des moyens militaires massifs avaient été déployés pour décourager les gens à rejoindre le mouvement.
« Nous verrons des images extrêmement dures », avait averti Gérald Darmanin, la veille sur CNews.
Ces avertissements funestes n’ont pas réussi à intimider les citoyens souhaitant « protéger l’accès à la ressource en eau, et s’opposer à son accaparement » par la mégabassine de Sainte Soline, une retenue d’eau de 16 hectares, quasiment la taille du Stade de France, et d’une contenance de 720 000 m³ d’eau
Si les autorités déclarent 6000 manifestants dont « un millier d’activistes radicaux », les observateurs des droits humains et les organisateurs décomptent eux près de 30 000 personnes dont la très grande majorité se sont tenus de manière pacifique, autant que faire se peut, à l’écart des projectiles qui ont été tirés sur la foule par les forces de l’ordre, parfois à l’aveugle.
« S’il y a bien une compétence que je ne pensais pas développer, à 26 ans, c’est d’être capable de faire la différence entre une grenade lacrymogène classique et une grenade de guerre. Compétence qui tient de l’instinct de survie parce que la première peut endommager vos poumons et créer des difficultés respiratoires, mais que la 2e vous mutilera potentiellement à vie, et peut même vous tuer » dénonce ainsi une participante au rassemblement
Répartis en trois cortèges, trois couleurs et trois totems, les « outardes roses », les « loutres jaunes » et les « anguilles turquoise » avaient pour but « d’encercler tout l’édifice, d’y pénétrer à des dizaines de milliers et que chaque équipe plante son drapeau sur le chantier », pour ensuite démonter les installations. Les manifestants se sont retrouvés face à un dispositif policier hors-norme qui avait pour mission de les empêcher d’approcher du site en construction.
« Tirs massifs et indiscriminés au gaz lacrymogène, armes relevant des matériels de guerre, grenades assourdissantes, explosives de type GM2L et GENL, tirs de LBD 40, dont depuis les quads en mouvement, 2canons à eau, fusils (FAMAS), fusil à type produit marquant codé EMEK EMF 100, PMC. (…) Le dispositif a mis gravement en danger l’ensemble des personnes présentes sur place, occasionnant de très nombreuses blessures souvent graves allant même jusqu’à plusieurs urgences absolues » dénonce ainsi la Ligue des Droits de l’Homme dont des observateurs étaient présents sur le terrain
Au total, 4 000 grenades ont été tirées par les forces de l’ordre, selon le ministre de l’Intérieur. Selon le dernier bilan établi dimanche à 18 h 00 par le parquet local, le pronostic vital d’un homme de 30 ans, plongé dans le coma suite à un traumatisme crânien, est engagé. Une femme de 19 ans et un homme de 27 ans ont été également grièvement blessés, tandis que deux gendarmes ont été blessés « à cause du bruit ».
Les organisateurs, déplorent 200 manifestants blessés — dont 40 grièvement. Les élus présents sur place, eux, ont rapporté que les secours ont été empêchés de prendre en charge les blessés par les forces de l’ordre pendant plusieurs heures.
« Cela arrive dans un contexte où la France est pointée du doigt au niveau international sur son maintien de l’ordre et l’aggravation des violences policières. Le gouvernement a pris le risque de tuer pour maintenir sa politique de soutien à une agriculture productiviste industrielle néfaste par rapport au changement climatique. On est vraiment sidérés que ce soient les élus, les paysans, ou les militants. On a tous senti le souffle des grenades de désencerclement autour de nous et c’était extrême. Je pense très clairement qu’ils s’autoalimentent dans une folie, à mon sens le gouvernement est fautif dans cette histoire » dénonce Benoit Feuillu, l’un des organisateurs membres des Soulèvements de la Terre, auprès de La Relève et La Peste
Des plaintes sont en cours de construction autant du côté des organisations que des proches et de la famille. Les défenseurs des droits humains dénoncent « un usage immodéré et indiscriminé de la force » qui a ravivé à la mémoire de tous le drame de Saint Sivens de 2014, où le jeune Rémi Fraisse avait été tué par un tir de grenade lors d’une manifestation contre un barrage. Le 22 février, la cour administrative d’appel de Toulouse a d’ailleurs reconnu la « responsabilité sans faute » de l’Etat dans son décès.
Une lutte internationale pour le partage de l’eau
Comme en 2014, c’est l’enjeu du partage de l’eau qui a mobilisé des personnes de toute la France mais aussi de l’étranger : Italie, Belgique, Espagne, Suisse, Allemagne, sans-terre du Mali, du Chili, de Colombie, peuples amérindiens, etc.
« Je suis venue en solidarité avec les habitants d’ici pour l’eau, car c’est un enjeu international qui nous relie tous. Les actions de désobéissance civile sont inévitables car lorsque nous employons des moyens légaux, ceux qu’on nous dit d’utiliser, nous ne sommes jamais écoutés. La manifestation d’aujourd’hui m’a rappelé de nombreux traumatismes mais m’a aussi profondément émue et inspirée. Aujourd’hui, les gens rassemblés n’étaient pas des individus mais un tout qui s’élève d’une seule voix pour dire non (aux méga-bassines). La violence de la police est effrayante mais nous devons résister pour les 7 prochaines générations » explique ainsi Layla Staats, une autochtone Mohawk, militante pour les droits d’accès à l’eau, qui était présente à la manifestation de Ste Soline
Les bassines ont en effet été jugées illégales de nombreuses fois par la justice. Leur protection militaire par l’État pose donc de graves questions démocratiques ainsi que le relève Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».
Lors du rassemblement du samedi, plusieurs canalisations de la mégabassine ont été démontées, tandis que plus de 300 mètres de haies ont été plantées durant le cortège par les paysannes et paysans de la Confédération paysanne, « car elles sont un moyen majeur pour retenir l’eau dans les sols ». Symbole de la division entre l’agroindustrie et l’agroécologie paysanne, une serre a également été montée sur une parcelle de Sainte-Soline « pour montrer qu’il faut plafonner et prioriser l’eau ».
Pour la Confédération Paysanne et la communauté scientifique, « les mégabassines sont une mal-adaptation aux sécheresses présentes et à venir » et il est urgent de repenser notre modèle agricole. En France, les enjeux sont énormes. Ce mois-ci, les nappes phréatiques restent sous les normales avec 80% des niveaux modérément bas à très bas. La situation s’est dégradée du fait de l’absence de précipitations efficaces en février. Difficile dans ce cas de remplir les méga-bassines.
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« Nous réitérons notre demande d’ARRÊT IMMÉDIAT DES TRAVAUX et l’ouverture d’un dialogue sur la préservation et le partage de l’eau pour la fin prochaine des projets de méga-bassines. Malgré la brutalité inouïe du gouvernement, le mouvement sort encore renforcés par ce niveau de mobilisation inédit. Et nous le disons : si le gouvernement s’obstine, nous reviendrons et continuerons à trouver les moyens que les chantiers s’arrêtent par des gestes de désobéissance toujours plus massifs » réaffirme le collectif Bassines Non Merci, fer de lance de la lutte
Un « plan sobriété eau » doit être présenté par Christophe Béchu, ministre de la transition écologique, ce jeudi. Paysans et citoyens espèrent qu’il sera l’occasion de prononcer un moratoire sur les projets de mégabassines afin d’ouvrir un dialogue réel sur le partage de l’eau et ses usages sur le territoire.
Crédit photo couv : THIBAUD MORITZ / AFP