Alors que la loi Duplomd doit être examinée en Commission mixte paritaire à partir de ce lundi 30 juin, la Ligue contre le Cancer dénonce « un recul majeur pour la santé publique ». Et notamment pour celle des agriculteurs, premières victimes de l’exposition aux pesticides.
Des manifestations ont eu lieu tout le weekend contre la loi Duplomb : en Anjou, paysan-es et habitant-es ont bloqué un site de production de pesticides. A Paris, environ un millier de personnes se sont réunies à l’appel du Collectif Nourrir, et 10 000 sur l’ensemble du week-end dans 60 villes, à la veille de l’examen du texte en commission mixte paritaire.
A huis clos, sept députés et sept sénateurs se réunissent, ce lundi 30 juin en début d’après-midi au Sénat, pour trancher sur la proposition de loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », et prévoit notamment la réintroduction à titre dérogatoire de certains néonicotinoïdes. Or, une large majorité d’élus (dix contre quatre) sont favorables au texte.
Si elle était adoptée, cette loi serait « un recul majeur pour la santé publique » selon la Ligue contre le Cancer. L’association a demandé le retrait des articles réautorisant un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, l’acétamipride, particulièrement toxique pour la biodiversité, mais aussi les agriculteurs, fleuristes et riverains des zones d’épandage.
En effet, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) « établit depuis 2013 un lien entre l’exposition aux pesticides et certains cancers, lien reconfirmé en 2021 ». La présomption d’un lien est « forte » pour « les lymphomes non hodgkiniens (cancers du système lymphatique), le myélome multiple (cancers du sang), les cancers de la prostate ainsi que les cancers de l’enfant suite à une exposition pendant la grossesse », « moyenne » pour les leucémies.
Michel est un ancien technicien agricole qui a survécu à un lymphome, reconnu maladie professionnelle. « J’ai employé du glyphosate, des désherbants avec du petit matériel mais sans les protections parce qu’au début, nous n’avions pas conscience du tout que ce soit dangereux à ce point-là. »
Pressentis en faveur de la santé publique : Aurélie Trouvé (La France insoumise), Dominique Potier, Franck Montaugé et Jean-Claude Tissot (Socialistes). Pressentis en faveur des pesticides : Hervé de Lépinau, Hélène Laporte (RN), Julien Dive (apparenté Droite républicaine), l’ancien ministre de l’Agriculture Marc Fesneau (Les Démocrates), Jean-Luc Fugit (Ensemble pour la République), Laurent Duplomb, Dominique Estrosi Sassone, Pierre Cuypers (LR) ; Bernard Buis (RDPI) et Franck Menonville (Union centriste)
En France, depuis le milieu des années 2000, la cohorte AGRIculture & CANcer (AGRICAN) a permis de valider les effets d’expositions professionnelles agricoles – incluant les pesticides – sur les cancers de la prostate, de la vessie, du côlon et du rectum, du système nerveux central, des ovaires ainsi que pour les myélomes multiples ou les sarcomes.
« Cette loi sacrifie le principe de précaution, qui devrait commander à toute décision en matière de santé publique, sur l’autel du court-termisme », affirme Francelyne Marano, toxicologue et présidente du comité de pilotage cancer et environnement de la Ligue, citée par le communiqué. « Nous risquons de payer un jour ou l’autre les surcoûts liés aux futurs cancers », estime-t-elle.
« L’impact des facteurs environnementaux sur la santé fait d’ailleurs l’objet d’inquiétudes légitimes de plus en plus grandes, comme en témoigne la suspicion, en mars dernier, de nouveaux clusters de cancers pédiatriques autour de La Rochelle » note la Ligue.
En mai 2025, la ligue contre le Cancer dévoilait dans une étude un nombre de cancers pédiatriques anormalement élevés sur plusieurs territoires de Charente-Maritime. En cause : l’utilisation intensive des pesticides, notamment pour la viticulture.
Le réseau France Eau publique, qui regroupe 123 collectivités et opérateurs publics de l’eau et de l’assainissement, a mis en garde les quatorze membres de la CMP contre « la dégradation des milieux naturels, avec des conséquences lourdes sur les pollinisateurs, les sols, la santé humaine – notamment le développement neurologique des jeunes enfants – et bien sûr les ressources en eau, vecteurs majeurs de diffusion de ces substances ».
Pire, le changement continu de molécules de pesticides par les industriels, pour échapper à la régulation, brouille les pistes sur leur niveau de dangerosité car cela ne laisse pas le temps aux scientifiques de l’étudier.
Reste donc à voir ce que va advenir de ce texte de loi : en cas d’accord lors de la CMP, il sera soumis au vote de chaque Chambre du Parlement.