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Loi ASAP : le projet de loi écocidaire et antisocial qui veut bétonner la France

Il ne faut pas s’y tromper, le projet de loi ASAP n’est pas le résultat d’une crise économique accélérée par le coronavirus, mais bien celui d’une logique globale de détricotement du droit de l'environnement mise en œuvre depuis quelques années, nous avertissent les ONG spécialisées.

Depuis lundi, les débats font rage à l’Assemblée Nationale. Les député.e.s doivent se prononcer sur le projet de loi dit ASAP, pour Accélération et de Simplification de l’Action Publique. De l’éolien à l’implantation facilitée des sites industriels vers un dispositif anti-squat, cette loi fourre-tout comprend de nombreux amendements écocidaires et antisociaux qui devraient normalement faire l’objet d’un débat de société au cas par cas. Ses détracteurs dénoncent la continuité d’une politique de destruction du droit environnemental et la stigmatisation des plus démunis.

Une loi écocidaire au nom de la simplification des démarches

Porté par le rapporteur LREM M. Guillaume Kasbarian, la loi ASAP doit officiellement « rapprocher l’administration du citoyen, simplifier les démarches des particuliers et faciliter le développement des entreprises, en accélérant les procédures administratives. »

Comprenant un millier d’amendements, ce projet de loi comprend effectivement certaines mesures aux particuliers comme un accès plus facile à l’obtention d’un titre d’identité, du permis de conduire ou l’ouverture d’un livret d’épargne populaire.

Là où le bât blesse, ce sont toutes les mesures visant à alléger les contraintes administratives pour les projets industriels. Et pour cause, ce clin d’œil à l’anglicisme As Soon As Possible porte bien son nom : réaliser des projets industriels aussi vite que possible, au détriment du droit environnemental.

Sur les 50 articles du projet de loi, les articles 21 à 28 concernent directement ces dispositions. L’article 26 permet ainsi l’exécution anticipée des travaux qui pourraient commencer sans autorisation environnementale, même si elle devait être refusée plus tard. De nombreuses terres seraient alors irrémédiablement endommagées.

Un article ouvrant encore plus grand la porte aux dérives actuelles des projets d’aménagement. En effet, de trop nombreux paysages français sont déjà défigurés alors que les jugements sur l’utilité réelle desdits projets sont rendus après les travaux !

« Le projet industriel du site du Carnet est emblématique en ce sens. L’étude d’impact date de 2017, la plupart des relevés faune / flore datent d’avant 2003, mais les travaux d’aménagement vont quand même commencer ! Pourtant, au vu de l’accélération de la crise climatique et écologique, il faudrait reconnaître que les études d’impact sont obsolètes passé un certain délai. Ce projet de loi fait tout l’inverse en créant une énorme passoire avec le droit de l’environnement ! » explique Chloé Gerbier, juriste pour Notre Affaire à Tous, à La Relève et La Peste

Face à tant d’enjeux, la bataille est âpre pour les députés écologistes qui ont néanmoins réussi un tour de force hier : faire supprimer l’article 25, grandement polémique, qui donnait aux préfets le pouvoir de se passer d’enquête publique, au profit d’une simple consultation électronique.

Si ces consultations publiques sont aussi essentielles, c’est bien souvent parce que ce sont seulement grâce à elles que les habitants apprennent quel type d’aménagement est prévu sur leur territoire. Un accès à l’information capital mis en danger par l’article 25 bis A qui précise que les citoyens peuvent accéder à l’information sur les risques qu’ils encourent, si cette information ne va pas à l’encontre du secret des affaires.

Geoffroy Hauwen

La continuité d’une politique de bétonisation à marche forcée

Il ne faut pas s’y tromper, le projet de loi ASAP n’est pas le résultat d’une crise économique accélérée par le coronavirus, mais bien celui d’une logique globale de détricotement du droit de l’environnement mise en œuvre depuis quelques années, nous avertissent les ONG spécialisées.

Le projet de loi ASAP découle ainsi du Pacte productif proposant des chantiers pour simplifier et accélérer les installations industrielles, remis au gouvernement par le rapporteur de la loi ASAP, Guillaume Kasbarian, le 23 septembre 2019. Quelques jours après, l’incendie de l’usine pétrochimique Lubrizol devenait une catastrophe écologique et sanitaire avec des conséquences à long terme sur la santé et l’environnement mal étudiées.

En janvier puis en juillet 2020, le gouvernement annonce et confirme tout de même la création de 78 sites industriels « clés en main » sur lesquels les entreprises pourront s’installer de manière accélérée, sans remplir les démarches environnementales nécessaires, ainsi que nous vous l’expliquions.

« Dans le rapport de 2019, Guillaume Kasbarian expliquait à quel point il allait être difficile de mettre en œuvre ces sites clés en main sans changer la législation. Cette démarche se simplifie en partie aujourd’hui avec les dispositions de la loi ASAP, autre volet de ce pacte productif. » dénonce ainsi Chloé Gerbier, juriste pour Notre Affaire à Tous, à La Relève et La Peste

Avec la loi ASAP qui renforce les sites clés en main, des centaines d’hectares supplémentaires vont être artificialisés, selon un principe dérogatoire qui devient une règle. Ce démantèlement des normes environnementales se retrouve en filigrane dans de nombreux articles, comme l’article 33 qui permet au gouvernement de légiférer par ordonnances concernant les chambres d’agriculture et l’Office national des forêts (ONF), une privatisation latente dénoncée par la députée Mathilde Panot.

Crédit : Kornofulgure

La vigilance des ONG

Avec plus de mille amendements, la vigilance des ONG et des députés écologistes est donc cruciale pour limiter la casse, mais pas forcément aisée. Dans un bel exemple d’action politique de la société civile, l’ONG Maiouri Nature Guyane, alertée par le député Matthieu Orphelin, essaie à présent de faire annuler un amendement permettant la destruction des forêts primaires en Guyane !

« L’objectif est de passer de 150 ha à 5.000 ha de surface de forêt qui pourra être mise à disposition d’exploitants agricoles et forestiers pour, en réalité, développer le secteur de la biomasse industrielle. Les organisations signataires de Guyane et de l’hexagone dénoncent des conséquences graves : accaparement des terres aux dépens des petits agriculteurs locaux, destruction de la forêt primaire, monoculture intensive d’arbres à des fins énergétiques, disparition de la biodiversité, accélération du changement climatique… »

Et le tollé médiatique des ONG semble avoir porté ses fruits, puisque le cabinet du député Gabriel Serville a fini par contacter les associations en leur assurant que l’amendement serait retiré en séance. Il n’aura finalement pas tenu sa promesse mais c’est le gouvernement qui a retropedalé, abandonnant le député avec son amendement en donnant un avis défavorable !

« Les associations et experts guyanais n’ont pas été consultés alors que ça concerne le peuple guyanais et son territoire ! Heureusement qu’on a été alerté par le député Matthieu Orphelin sinon cela aurait pu passer tel quel. La loi ASAP est une loi fourre-tout, il n’y a absolument aucun respect démocratique alors que le mix énergétique d’une société est une vraie question technique qui nécessite un débat bien plus ambitieux qu’un simplement amendement dans une loi. » explique Marine Calmet, juriste de l’ONG Maiouri Nature Guyane, pour La Relève et La Peste

Sur la question du mix énergétique, on trouve aussi le développement des énergies renouvelables notamment l’article 25 ter qui vise à faciliter le déploiement de l’éolien en mer. Le débat a été houleux entre les députés qui se sont finalement mis d’accord pour que ce déploiement soit accéléré sans que cela « ne diminue en rien la prise en compte du processus de participation du public. »

Crédit : Lucas van Oort

Un dispositif anti-squat

Dans cet ensemble éclectique de propositions, l’article 30 ter a particulièrement fait parler de lui car il permet de faciliter l’expulsion de personnes qui occupent illicitement le domicile d’autrui. Une décision qui va à l’encontre de l’engagement qu’Emmanuel Macron lui-même avait pris en 2017 pour que plus un seul Français.e ne dorme dehors.

L’association Droit au Logement a ainsi recensé plus d’une cinquantaine d’amendements facilitant l’éviction de personnes en difficulté, dont un particulièrement préoccupant, l’amendement n°1186 qui a été adopté, qui donne « à la personne dont le domicile est ainsi occupé ou toute personne agissant dans son intérêt et pour son compte » la possibilité de demander l’expulsion d’occupants non-désirés.

« En réalité, les occupations de résidences principales et secondaires sont rares. Ces médias qui sont à l’affût de ces affaires en relaient moins d’une dizaine par an ! On aimerait qu’ils réagissent avec autant de détermination à la mort d’un sans abri, ou à l’expulsion illicite d’un locataire par son bailleur, qui souvent jette les biens du locataire sur le trottoir ! Le squat est une alternative à la rue légitime, alors que 3,1 millions de logements sont vacants et que la loi de réquisition reste inappliquée. » rappelle l’association Droit Au Logement dans un communiqué

Libération le rappelle, un millier d’enfants ont dormi à la rue ou dans des abris de fortune la veille de la rentrée scolaire, comme indiquait une enquête publiée mi-septembre par la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et Unicef France. Tandis qu’en février, la Fondation Abbé-Pierre publiait dans son rapport annuel que :

Plus de 902 000 personnes sont privées d’un logement personnel dans notre pays. Un français.e sur 72 !

Cerise sur le gâteau, cette série d’amendements ne concerne pas seulement les occupations de logements par des personnes en difficulté, mais aussi d’autres formes de squats tels que les ZAD (Zone A Défendre) dont certaines ont pourtant permis de sauver des terres agricoles et forestières de la bétonisation, comme celle de Notre-Dame-des-Landes ou les Lentillères de Dijon.

Une France bétonnée, stigmatisant encore plus les personnes précaires et celles et ceux qui se battent pour la justice sociale et préserver les dernières zones naturelles du territoire, voici l’avenir bien sombre que nous propose aujourd’hui la loi ASAP, cadeau empoisonné d’une majorité politique protégeant les intérêts des plus privilégiés.

Laurie Debove

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