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La ZAD du Carnet, symbole d’une lutte contre la bétonisation à outrance

« On a un réel problème avec la dérogation du site du Carnet qui n’est justifiée par aucun intérêt public majeur. Normalement, il faut foncièrement qu’on ait un projet et qu’on sache ce qui l’en est. C’est tout le problème avec la stratégie d’aménagement clé-en-main qui va précéder les projets, notamment sur les dérogations espèces protégées, où les industriels n’ont qu’à s’installer sur des dalles de béton sans devoir se justifier puisque tout est déjà détruit. »

Depuis fin août, des citoyens ont monté une ZAD pour défendre 110ha de zones humides dans l’estuaire de la Loire, abritant de nombreuses espèces protégées, aujourd’hui menacés par la bétonisation pour l’agrandissement du Grand port maritime Nantes-Saint-Nazaire. Ce projet est devenu le symbole de la résistance contre la bétonisation à outrance via les sites industriels clés en main lancés par le gouvernement partout sur le territoire. Au Carnet, ce sont deux visions du monde qui s’affrontent.

Une convergence des luttes

La ZAD du Carnet s’est créée à la fin d’un grand weekend de convergence des luttes fin août. Depuis, la ZAD accueille chaque weekend des visiteurs pour leur faire découvrir la faune et la flore uniques du lieu. L’occasion pour les militants de faire des ateliers d’intelligence collective sur la meilleure façon possible de préserver cette zone humide.

« Ce weekend fin août était incroyable mais la confluence des luttes s’était déjà faite avant. En 15 jours, c’est juste dingue ce qui s’est implanté grâce à tout un réseau de copaines, de collectifs, et de tous les curieux qui tombent amoureux du site lors des balades de découverte et ont envie de le défendre. » sourit Yoann, porte-parole du collectif « Stop Carnet » auprès de La Relève et La Peste

Résultat d’un atelier lors d’un weekend au Carnet
Une balade de découverte de la zone humide

Cette solidarité s’est encore manifestée lundi 14 septembre, au Forum économique de Loire-Atlantique à la chambre de commerce et d’industrie (CCI) Nantes-Saint-Nazaire, où les militants ont essayé de sensibiliser les entrepreneurs et les élus présents à l’incompatibilité de la bétonisation avec les enjeux de « zéro artificialisation nette » du territoire.

En Loire-Atlantique, deux projets destructeurs ont engagé un bras-de-fer avec les écologistes. A Donges, le Village du Peuple est un collectif qui occupe un corps de ferme depuis plusieurs mois pour empêcher la bétonisation de 50 hectares de terres humides et agricoles au profit de « nouvelles grandes unités industrielles » dont l’activité est encore méconnue.

Une hérésie quand on connaît les enjeux liés autour de l’autonomie alimentaire du pays dans un contexte de crise écologique et climatique. Pourtant, la pression des forces de l’ordre y monte en puissance. Suite à un blocage des travaux, un des habitants a ainsi été expulsé de la ferme par les autorités et doit être jugé le 12 octobre.

Au Carnet, ce sont plus de 110 hectares qui sont menacés par le projet d’agrandissement du Grand port maritime Nantes-Saint-Nazaire. Au début censés être destinés à l’accueil d’un parc « éco-technologique » permettant le développement d’énergies renouvelables, le projet n’est en fait toujours pas fixe et devrait finalement s’orienter vers des activités liées à « l’hydrogène », « les piles à combustible » ou « les éléments de la voiture non-polluantes ».

Dans ces deux projets, un facteur commun : le fait de vouloir bétonner avant-même de préciser l’usage réel qui sera fait des sites, et donc ne pas justifier des raisons pouvant prévaloir d’intérêt public majeur. Cette façon d’aménager le territoire fait partie d’une stratégie gouvernementale pour implanter des sites industriels le plus rapidement possible : les projets « clé en main ». Un aménagement territorial mettant en danger le droit environnemental selon l’association juridique Notre Affaire à Tous, spécialisé dans les recours en justice contre les projets d’aménagement écocidaires.

La zone humide abrite de nombreuses espèces

Ré-industrialiser pour … quoi ?

Interrogée par FranceInfo, Christelle Monrançais, à la fois Présidente de la Région Pays de La Loire et dirigeante du conseil de surveillance du port de Nantes Saint-Nazaire, a défendu le projet en arguant qu’on ne pouvait pas ré-industrialiser la France sans espaces pour le faire.

Là où le bât blesse, c’est que le projet industriel n’est toujours pas clairement défini sur la zone du Carnet puisqu’il a été lancé avant même l’attribution de parcelles à des entreprises.

Pour bétonner des zones naturelles, il faut que les porteurs de projet acquièrent des dérogations leur permettant la destruction d’espèces protégées. Et celle obtenue en catimini en 2017, désormais inattaquable puisque les citoyens avaient deux mois pour un recours en justice, comprend de nombreux écueils.

« On a un réel problème avec la dérogation du site du Carnet qui n’est justifiée par aucun intérêt public majeur. Normalement, il faut foncièrement qu’on ait un projet et qu’on sache ce qui l’en est. C’est tout le problème avec la stratégie d’aménagement clé-en-main qui va précéder les projets, notamment sur les dérogations espèces protégées, où les industriels n’ont qu’à s’installer sur des dalles de béton sans devoir se justifier puisque tout est déjà détruit.

 Un tel mécanisme menace les procédures environnementales et affaibli, une fois encore, le droit de l’environnement au profit de la relance économique.

C’est pourquoi Notre Affaire à Tous dépose aujourd’hui un recours pour annuler les dérogations des 66 nouveaux sites « clés en main » annoncés par le gouvernement le 20 juillet 2020. Le Carnet est un exemple particulièrement frappant des écueils des sites clés en main, c’est un projet choquant en terme de destruction de la biodiversité permise sans raison. » explique Chloé Gerbier, membre de Notre Affaire à Tous, pour La Relève et La Peste

Pour cause, l’arrêté préfectoral concernant le Carnet permet une dérogation à la loi de l’eau sur les rejets d’arsenic lors du dragage de la Loire, le remblayage de 63 ha du Migron soit la construction sur un cours d’eau et un nivellement en-dessous du niveau de la mer alors que la montée des eaux va profondément bouleverser les littoraux, et surtout l’autorisation de destruction de seulement 24 espèces quand le Carnet abrite en fait 116 animale et végétales protégées !

« Je n’avais jamais vu un écart aussi grand entre les espèces recensées et celles présentes sur le site : 92 espèces oubliées ! » s’indigne Chloé Gerbier, membre de Notre Affaire à Tous, pour La Relève et La Peste

Parmi les espèces oubliées du promoteur : le Pélodyte ponctué, une grenouille minuscule, le crapaud calamite, plusieurs espèces d’oiseaux menacés comme le moins connu phragmite aquatique. Entre l’importance de préserver la biodiversité à l’heure de la sixième extinction de masse et celle de préserver les zones humides en crise climatique qui va s’empirant, la ZAD du Carnet fait la lumière sur des choix de société majeurs.

« Au final, notre message va plus loin que le cadre du Carnet : on dénonce aussi l’hypocrisie de la transition énergétique, ou la face cachée de la mondialisation avec les grands ports : le Port de St Nazaire est le premier port où arrive le soja d’Amérique Latine qui contribue à la déforestation de l’Amazonie. Beaucoup d’enjeux de société se jouent au niveau des grands ports, comme l’entreprise Yara à Montoir qui produit 600 000 tonnes de nitrates d’ammonium par an, notamment pour fabriquer des engrais pour l’agriculture industrielle, responsable de la destruction des écosystèmes. C’est ce qu’on essaie aussi de montrer aux militants du coin : si vous voulez luttez pour le climat, la cible énorme, c’est le Grand Port maritime de St Nazaire qui devrait revoir son mode de fonctionnement. » argumente Yoann, porte-parole du collectif « Stop Carnet » auprès de La Relève et La Peste

Et la mobilisation paie, puisque les discours sont déjà en train de changer comme le détaille un article de Reporterre. Depuis toujours fervente supporter du projet d’agrandissement, Christelle Montrançais a récemment déclaré qu’elle était prête à dialoguer avec les zadistes. Le président socialiste du conseil départemental de Loire-Atlantique, Philippe Grosvalet, aurait précisé en marge d’une conférence de presse que le projet de Grand Port n’était « pas assez précis », et qu’il souhaitait « plus de clarté ».

Quant aux associations environnementales locales qui avaient concertées pour le projet, elles ont rappelé avoir émis un « avis réservé » et qu’elles restaient opposées à « toute destruction des espaces naturels dans l’estuaire de la Loire ». Résultat, interrogé par Reporterre, Olivier Tretout, le directeur du Grand port, a dit ne pas vouloir aller au contact avec les zadistes ou passer en force, et que le projet était « de facto en pause ». Jusqu’à quand ? Cela va dépendre de l’évolution du rapport de force.

De leur côté, Notre Affaire à Tous accompagne les écologistes sur leurs leviers juridiques mais aussi les riverains qui vont déposer un recours gracieux contre l’arrêté du maire qui a fermé toutes les voies 24h/24 jusqu’au 31 décembre, « une privation de liberté ». Les zadistes, eux, comptent bien défendre jusqu’au bout de lieu de vie unique.

Laurie Debove

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