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L’Etat français s’apprête à subventionner une gigantesque usine à gaz dans l’Arctique Russe

Le développement de l’activité gazière va non seulement y aggraver l’importance du dérèglement climatique, mais va aussi fragiliser encore plus le pergélisol et la banquise à grands coups de méthaniers brise-glace qui vont se frayer un chemin jusqu’en Asie.

La veille de la présentation du plan de relance de la France, qui se veut plus verte, un article du Monde lance la polémique. L’Etat français s’apprête à financer via Bpifrance un gigantesque projet industriel gazier dans l’Arctique russe, porté par Total et le groupe russe Novatek. Les ONG dénoncent une incohérence du gouvernement qui promettait un plan de relance « vert », et alertent également sur l’impact de cette industrie dans une région du monde déjà bien trop fragilisée par la crise climatique. Pour cause, les industriels profitent de la fonte des glaces en Arctique pour ouvrir une nouvelle route maritime en prévoyant déjà de multiplier les infrastructures sur place.

La fonte des glaces comme moyen de développement industriel

Avec la fonte des glaces, l’Arctique russe est devenu un « eldorado gazier » de plus en plus accessible qui aiguise les appétits des industriels. En 2017, l’un des plus grands projets de gaz naturel liquéfié (GNL) au monde, Yamal LNG, avait ainsi vu le jour dans le cercle polaire, avec des réserves de plus de 5 milliards de barils équivalent-pétrole.

Forts de ce premier méga-projet, le français Total et le russe Novatek ont décidé d’agrandir leur production en créant un deuxième site juste en face du méga terminal Yamal au nord de la Sibérie : Arctic LNG 2. Ce site industriel aura une capacité de production de 19,8 millions de tonnes par an (Mtpa) et le premier cargo de GNL d’Arctic LNG 2 est attendu pour 2023. Les deuxième et troisième trains démarreront respectivement en 2024 et 2026.

« D’une capacité de production de 19,8 millions de tonnes par an (Mt/a), soit 535 000 barils équivalent pétrole par jour (bep/j), Arctic LNG 2 permettra de valoriser plus de 7 milliards de bep de ressources d’hydrocarbures du gisement onshore de gaz à condensats d’Utrenneye. Le projet prévoit l’installation de trois plates-formes gravitaires (Gravity-based structures) dans l’Ob Bay qui accueilleront les trois trains de liquéfaction d’une capacité de 6,6 Mt/an chacun. » explique Total dans un communiqué

L’endroit est stratégique : comme pour Yamal LNG, le transport de la production d’Arctic LNG 2 vers les marchés internationaux sera assuré par une flotte de méthaniers brise-glace qui empruntera la route du Nord pour les cargaisons à destination de l’Asie, et le terminal de transbordement proche de Mourmansk pour les cargaisons destinées à l’Europe.

En clair : les industriels profitent de la fonte du pergélisol pour développer leur activité.

En effet, cette région du monde est déjà rudement impactée par la crise climatique. On peut y trouver des cratères créés par des explosions de méthane causées par la fonte du pergélisol qui relâche des gaz participant au réchauffement climatique, et des bactéries endormies comme l’anthrax qui a contaminé des milliers de rennes en 2016 mais aussi provoqué l’hospitalisation de dizaines de personnes et la mort d’un enfant de 12 ans.

Cette instabilité climatique met directement en danger les populations autchotones, notamment les Nenets, et les espèces végétales et animales endémiques de la région.

Le développement de l’activité gazière va non seulement y aggraver l’importance du dérèglement climatique, mais va aussi fragiliser encore plus le pergélisol et la banquise à grands coups de méthaniers brise-glace qui vont se frayer un chemin jusqu’en Asie.

Christophe de Margery, le méthanier brise-glace du site de Yamal

Un projet imaginé avec l’aval du gouvernement français

Révélée par Le Monde, la très probable participation financière de l’Etat français a déclenché les foudres des associations écologistes. D’un coût total de 17,6 milliards d’euros, Arctic LNG 2 pourrait bénéficier d’une aide de l’Etat Français sous forme de garanties à l’export, dans lesquels l’Etat se porte garant de prêts auprès des banques pour les entreprises françaises, par le biais de la banque publique d’investissement Bpifrance.

Pour l’heure, le dossier est en cours à Bercy. Et si l’on ne sait pas encore quand la décision officielle d’octroyer (ou non) une garantie au projet sera annoncée, l’affaire semble déjà bien engagée ainsi que l’explique Les Amis de la Terre :

« Malgré les engagements internationaux du Président de la République sur la protection des pôles, le soutien du gouvernement à Total pour ses projets gaziers en Arctique s’exprime à plus haut niveau. Emmanuel Macron était présent lors de l’entrée de Total dans le consortium Arctic LNG 2 et il avait essayé, en tant que Ministre de l’Economie et des Finances, de pousser les banques françaises à contourner les sanctions américaines pour financer Yamal LNG, en vain. En compensation, le gouvernement français avait subventionné ce premier projet gazier dans l’Arctique russe via son agence de crédit à l’exportation Bpifrance Assurance Export en 2017, en garantissant un prêt de 350 millions d’euros. » 

Dans une excellente enquête, l’Observatoire des Multinationales détaille ainsi comment l’Etat français avait permis aux industriels de contourner les sanctions américaines et européennes grâce à Bpifrance qui compte parmi les actionnaires de plusieurs entreprises impliquées dans le premier projet Yamal LNG : TechnipFMC, Nexans, entreprise spécialiste des câbles, de Vallourec qui a fourni des tubes pour les forages de Novatek, de Daher qui a fourni les valves, du groupe Gorgé qui a conçu la sécurité incendie des sites…

Tout laisse donc croire que cette opération financière va être renouvelée pour Arctic LNG 2. Ironie du calendrier, cette nouvelle alerte tombe en même temps que la présentation du plan de relance du gouvernement qui octroie « en même temps » 30 milliards d’euros pour la transition écologique, mais aussi une baisse des impôts de production sans aucune conditions sociales ou environnementales, le développement de la très controversée 5G ou encore un énième soutien financier aux secteurs de l’aéronautique et de l’automobile.

« Tout ça va se traduire dans le budget pour l’année prochaine, et on n’aura jamais un budget vert si le gouvernement ne décide pas la fin des subventions aux énergies fossiles. Non seulement le projet Arctic LNG 2 va augmenter la dépendance au gaz russe, mais il comporte également des risques climatiques et environnementaux majeurs. Le gaz naturel est une énergie fossile qui contribue directement au dérèglement climatique. Il serait donc incohérent et irresponsable de le soutenir financièrement. Bpi France se prétend être la banque du climat. Il est donc temps qu’elle cesse d’accorder des aides à l’export pour ce type de projet. » explique Cécile Marchand, Chargée de campagne climat et acteurs publics des Amis de la Terre, pour La Relève et La Peste

L’Etat français et Bpifrance vont-ils à nouveau apporter leur soutien moral et financier à un projet gazier titanesque dans une région soumise au péril climatique ? La question est loin d’être anodine, car le site d’Arctic LNG 2 n’est que la continuité d’une industrialisation effrénée dans l’Arctique Russe.

« Ce concept déployé sur sur Arctic LNG 2 pourra ensuite être déployé sur d’autres champs à gaz de la péninsule de Yamal et de celle de Gydan. » explique ainsi Arnaud Le Foll, directeur de Total E&P Russie.

Alors qu’il y a des vagues de chaleur de plus en plus extrêmes et que les pics de température entraînent une explosion de la demande énergétique, il faudrait avant tout repenser le mix énergétique français et surtout les usages qui en sont faits en réduisant les besoins pour briser un cercle vicieux, plutôt que de développer à tout-va l’exploitation d’énergies fossiles dans le cercle polaire.

Les Amis de la Terre et de nombreuses ONG veillent maintenant à la suite des négociations et appellent la nouvelle ministre de la Transition Ecologique Barbara Pompili à s’impliquer dans les arbitrages ministériels pour enfin supprimer les subventions publiques aux énergies fossiles.

Crédit photo couv : SEFA KARACAN / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP

« Vue générale de l’usine de GNL de Yamal dans la ville de Sabetta, dans le champ sud de Tambey sur la péninsule de Yamal, en Russie arctique. JSC Yamal LNG est une joint-venture de Novatek, Total, CNPC et Silk Road Fund. L’installation produit du gaz liquéfié pour les marchés de l’Asie-Pacifique et de l’Europe. »

Laurie Debove

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