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À partir d’avril, la Banque publique d’investissement épongera les pertes du CAC40

Grâce à ce nouveau système chapeauté et financé par l’État, les grands groupes seront toujours gagnants. Une fois cotés, ils ne pourront plus perdre, l’argent affluant par des canaux toujours renouvelés.

Depuis sa création en 2013, la Banque publique d’investissement a pour fonction de fournir un soutien financier stable à toutes les petites et moyennes entreprises françaises cherchant à innover ou à se développer mais ne parvenant pas à obtenir de prêts. Cependant, la BPI s’apprête à lancer, fin avril, son propre fonds d’investissement, destiné à soutenir les entreprises les plus lucratives du CAC40 tout en épongeant leurs pertes. Nous assistons là au détournement d’une institution publique dont la mission d’intérêt général n’aura pas survécu au mandat du président Macron.

Profiter d’une crise économique

En pleine épidémie de coronavirus, les cours de toutes les bourses du monde vacillent. Pour les uns, il s’agit d’un simple mouvement de panique ; selon les autres, nous traversons les prémices d’une nouvelle crise, qui se découvrira bien pire que les précédentes. Du moins, chacun s’accorde à dire que :

le plongeon actuel des indices boursiers est le pire en son genre depuis 2008.

Tous les analystes y vont de leur prédiction, ajoutant à l’inquiétude sanitaire une énième angoisse économique. À la manière du 49.3, c’était l’occasion rêvée pour faire une grande annonce : à partir de la fin du mois d’avril, la Banque publique d’investissement (BPI) aura désormais un fonds spécialement destiné à éponger les pertes des entreprises du CAC40.

Dans un univers médiatique soumis au diktat de la pensée néolibérale, l’information aurait pu passer inaperçue : après tout, les exemples d’États renflouant les banques ou les plus grandes firmes abondent dans l’histoire récente et il n’y a rien d’anormal en apparence à donner quelques coups de pouce aux « fleurons » internationaux de l’industrie française.

C’était sans compter qu’un journaliste de Mediapart, Laurent Mauduit, tique sur la nouvelle et trouve dans ce renflouement un certain aspect contradictoire, à la limite du scandaleux.

BPI France, une banque normalement destinée aux petites et moyennes entreprises

En effet, qu’est-ce que la Banque publique d’investissement ? Quel est son rôle, sa raison d’être ? Créée le 1er janvier 2013 à l’initiative de François Hollande, dont l’ennemi était la finance aux multiples dérives, la BPI avait pour objectif de combattre la spéculation en soutenant les projets industriels les plus durables, qui pourraient échapper de ce fait aux dures lois du marché et de la prédation.

Ainsi, toutes les entreprises françaises, surtout les plus petites, qui souhaitent innover, conquérir de nouveaux marchés, développer des branches plus aventureuses ou défendre des intérêts plus généraux peuvent aujourd’hui s’adresser à la BPI.

Pilotée par l’État et fortement implantée en région, cette dernière accorde des garanties à leurs prêts, sans considérations de bénéfices ou de dividendes. Les banques faisant ces prêts peuvent en somme dormir sur leurs deux oreilles : l’argent fera toujours des petits.

En 2014, 86 000 entreprises se sont partagé la somme de 14 milliards d’euros.

Une belle idée, jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. En 2017, le vent commence à tourner ; il porte une vague odeur de l’ancien monde. Le patron de la BPI depuis 2013, Nicolas Dufourcq, qui a fait ses classes avec le président de la République au sein du think tank « En temps réel », sent qu’il va désormais pouvoir véritablement servir les intérêts de sa classe économique.

« Lac d’Argent », un fonds d’investissement public et privé

En deux ou trois ans, ce grand patron spécialiste des privatisations s’est affairé à concocter un magnifique cheval de Troie néolibéral susceptible d’engraisser incognito les entreprises les plus lucratives, celles qui ne perdent jamais au jeu du capitalisme.

Le Directeur de la BPI, Nicolas Dufourcq, arrive à un dîner officiel à l’Elysée pour la visite du Prince d’Arabie Saoudite, Mohammed bin Salman, le 10 avril 2018
Crédit : LUDOVIC MARIN / AFP

Ce cheval funeste, il se nomme « Lac d’argent » : sous la forme d’un fonds d’investissement à la fois public et privé, il aura pour fonction de protéger les entreprises du CAC40 des fluctuations dangereuses du marché.

Et comme pendant la guerre de Troie, c’est en pleine crise épidémique qu’il est envoyé aux portes de la ville. Dès la fin du mois d’avril 2020, Lac d’argent, le fonds aux enjeux troubles sera sur pied.

À terme, il rassemblera 10 milliards d’euros, qu’il pourra réinjecter ici ou là dans les plus gros indices parisiens pour leur permettre de se maintenir en bonne santé, qu’ils aient le vent en poupe ou non. Mais comment sera-t-il financé ?

Tout d’abord par des investisseurs privés, à hauteur de 8 milliards d’euros. Un article de France Culture, qui explique en outre le principe des fonds d’investissement, a révélé cette semaine que le fonds souverain d’Abu Dhabi a déjà prévu d’y engager un petit milliard d’euros, que la BPI sera chargée de gérer et de faire fructifier à travers Lac d’argent.

Mais les deux milliards d’euros complémentaires, qui les fournira ? La BPI elle-même. Il s’agira donc dans ce cas précis d’argent public, habilement détourné de sa fonction première et redirigé vers les entreprises qui en ont certainement le moins besoin.

Sur le papier, l’argent du fonds Lac d’argent devra être utilisé de deux manières : d’un côté, acheter des parts dans le capital des grandes entreprises et « stabiliser l’actionnariat » ; de l’autre, empêcher les offres publiques d’achat (OPA) frauduleuses des grands groupes français quand ceux-ci sont malmenés par la bourse.

La caution publique de grands groupes privés

Plus simplement dit, des entreprises étrangères concurrentes ne pourront plus profiter d’un contexte économique défavorable pour s’emparer desdites entreprises, comme en ces temps d’épidémie…

Mais concrètement, cela veut dire que l’argent du fonds (dont une partie est publique), à travers des équipes de fonctionnaires, va indirectement devenir l’assurance des géants du CAC40, leur caution, qui les empêchera de connaître des périodes de creux et de faiblesse, de même qu’ils connaissent des âges d’or, comme ces dernières années.

Depuis maintenant dix ans, les géants du CAC40 n’ont cessé d’enregistrer des bénéfices records : en 2019, plus de 49 milliards d’euros ont été versés aux actionnaires, une hausse de 12 % par rapport à 2018.

Mais, avec l’épidémie de coronavirus, les marchés financiers révèlent à nouveau leurs failles et appellent de nouveau, comme en 2008, les Etats à leur secours, pour les protéger de la concurrence féroce et des incertitudes du capitalisme.

Or, l’essence même du capitalisme, c’est le risque, l’échec réel et la possibilité à tout instant d’échouer. Grâce à ce nouveau système chapeauté et financé par l’État, les grands groupes seront toujours gagnants. Une fois cotés, ils ne pourront plus perdre, l’argent affluant par des canaux toujours renouvelés.

Aujourd’hui, la BPI est déjà entrée dans le capital d’une vingtaine de grandes entreprises françaises, comme Orange ou PSA, Vallourec ou Nexans.

À l’avenir, cette « banque d’intérêt général » devrait ainsi assurer les arrières de la majeure partie du CAC40. Avec cette opération plutôt discrète, certainement soutenue par le président de la République lui-même, Nicolas Dufourcq a effectué le premier pas d’un dévoiement complet du rôle de cette banque publique aux ambitions vertueuses.

Qui seront les premiers à en bénéficier ? On ne le sait pas encore. Mais comme le patron de la BPI l’a lui-même annoncé : « Ce sont toujours les entreprises qui nous appellent. Nous ne passons pas de coups de fil aux entreprises. »

Augustin Langlade

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