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Les Pandora Papers révèlent le visage des oligarques criminels avec 35 chefs d’État et 130 milliardaires

Dans la pratique, le secret que procurent ces sociétés anonymes « peut couvrir des flux d’argent illicites favorisant la corruption, le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale, le financement du terrorisme, la traite d’êtres humains et d’autres violations des droits de l’homme ».

Après les « Offshore Leaks », les « Panama » et les « Paradise Papers », les « Implant » et les « FinCEN Files », le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a publié, dimanche 3 octobre, la plus importante enquête de son histoire : les « Pandora Papers ». Ce nouveau scandale d’évasion fiscale éclabousse des milliers de personnalités publiques à travers le monde, de la politique au commerce, en passant par la culture et la criminalité.

Une fuite inédite de documents confidentiels

À l’occasion d’une fuite sans précédent, près de 12 millions de documents confidentiels (2,94 téraoctets) ont été transmis par une source anonyme à l’ICIJ, un consortium de 150 médias répartis dans 117 pays, parmi lesquels figurent Le Monde, la cellule investigation de Radio France et Premières Lignes, qui produit l’émission « Cash Investigation ».

Pendant des mois, plus de 600 journalistes ont épluché les archives secrètes de 14 cabinets spécialisés dans la création de sociétés offshore anonymes.

Trident Trust, DadLaw, SFM, Alcogal, Il Shin, Alpha Consulting… Aussi opaques que leurs activités, les noms de ces cabinets sont associés à ceux de 35 chefs d’État (anciens ou actuels), 130 milliardaires, 300 responsables politiques de premier plan et une myriade d’autres personnes plus ou moins riches et connues, dont quelque 600 Français. 

L’ancien premier ministre britannique Tony Blair et l’ancien directeur du Fonds monétaire international Dominique Strauss-Kahn se retrouvent ainsi aux côtés du président ukrainien Volodymyr Zelensky, de la star colombienne Shakira, des chanteurs Elton John et Julio Iglesias, du roi Abdallah II de Jordanie, d’un cadre de la mafia napolitaine, Raffaele Amato, ou encore de l’homme d’affaires Jho Low et de 46 oligarques russes proches de Vladimir Poutine.

Les célébrités sont également coupables de crime fiscal organisé. Parmi elles : Shakira, le joueur de cricket Sachin Tendulkar, et l’ex top-model Claudia Schiffer. Crédit : ICIJ

L’ICIJ mentionne aussi, sans encore les citer nommément, des centaines de banquiers, grands donateurs politiques, marchands d’armes, géants du sport, directeurs de renseignement, haut-fonctionnaires et ambassadeurs détenant tous une ou plusieurs sociétés-écrans localisées dans des paradis fiscaux tels que les Seychelles, les îles Vierges britanniques (BVI), Chypre, Dubaï, Belize…

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En tout, les journalistes assurent avoir exhumé pas moins de 29 000 sociétés offshore, dans des archives qui s’étalent de 1996 à 2020.

Les histoires racontées par ces documents sont toujours les mêmes, ou presque : afin d’optimiser leurs richesses ou se dérober à l’administration fiscale de leur pays, des individus ont recours aux services de cabinets basés dans des paradis fiscaux, qui se chargent de dissimuler leurs avoirs et leurs transactions via des sociétés-écrans anonymes.

Un anonymat géré par des intermédiaires de l’ombre

Pour ce faire, les cabinets sont épaulés, selon Le Monde, par tout un « écosystème » composé « de banquiers, d’avocats, de notaires et d’autres prestataires » sans lesquels « le marché de l’offshore n’existerait pas ».

Ces intermédiaires de l’ombre proposent à leurs clients une « palette d’instruments » dont les différents montages, comme des « paravents », permettent de dissimuler le nom des véritables propriétaires de biens meubles et immeubles, ou d’actifs financiers.  

La clef de ce système est l’anonymat. Pour 2 000 à 25 000 dollars — plus le montage est complexe et efficace, plus il est cher , un milliardaire ou une personnalité politique peut par exemple créer un ou plusieurs trusts imbriqués, à travers lesquels il gèrera des propriétés ou de l’argent, sans que son nom n’y soit jamais associé.

C’est le cas du roi Abdallah II de Jordanie : pour se construire un empire immobilier à l’insu du public, le monarque aurait créé, entre 1995 et 2017, au moins 36 sociétés fictives aux BVI et au Panama, grâce auxquelles il aurait acquis 14 résidences de luxe aux États-Unis et au Royaume-Uni, d’une valeur cumulée de 106 millions de dollars. 

Même principe pour l’ancien premier ministre britannique. Les « Pandora Papers » révèlent qu’en 2017, les époux Blair auraient acquis un immeuble de 7,3 millions d’euros dans un quartier cossu de Londres en rachetant les parts de la société des îles Vierges britanniques qui détenait l’immeuble pour le compte de son ancien propriétaire. Ce montage leur aurait permis d’économiser 380 000 euros de taxes foncières.

La fuite la plus importante de fichiers de paradis fiscaux de l’histoire révèle les avoirs offshore secrets de plus de 300 politiciens et agents publics de plus de 90 pays et territoires dans les Pandora Papers. Voici la plateforme pour explorer leur implication.

Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) publié en 2020, les sommes détenues dans l’ensemble des places offshore du monde s’élèveraient à 11 300 milliards de dollars (environ 10 000 milliards d’euros), répartis sur 84 millions de comptes bancaires. Et ce montant n’est qu’une estimation.

Issu des bénéfices réalisés dans des pays à fort taux d’imposition, cet argent transite par des territoires aux législations opaques, mais peu contraignantes, avant d’être réinvesti dans des immeubles, des jets privés, des yachts et toutes autres formes d’acquisitions, comme les œuvres d’art de grands maîtres, elles-mêmes conservées pour la plupart dans des ports francs.

Dans « DSK, enquête sur un homme d’influence », Cash Investigation révèle comment cet homme politique aux grandes ambitions agit désormais dans l’ombre des grandes entreprises et de chefs d’État peu recommandables. Il est directement visé par l’affaire des Pandora Papers. Source

11 300 milliards de dollars volés en toute impunité

Comment les administrations publiques peuvent-elles laisser un tel système perdurer ?

« D’abord en raison d’une fiction tenace, selon laquelle le système offshore est un outil neutre, qui serait simplement mal utilisé par certains, comme peuvent l’être le couteau, l’atome ou les réseaux sociaux », répondent les journalistes du Monde, à l’origine d’une série d’articles sur la question.

Au regard des législations nationales, la plupart des transactions révélées par les « Pandora Papers » ne sont pas illégales : en Europe comme ailleurs, rien n’interdit en soi de détenir des actifs ou des sociétés offshore, du moment qu’aucun usage illégal n’en est fait.

Dans la pratique, cependant, rappelle le Consortium de journalistes, le secret que procurent ces sociétés anonymes « peut couvrir des flux d’argent illicites favorisant la corruption, le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale, le financement du terrorisme, la traite d’êtres humains et d’autres violations des droits de l’homme ».

Lire aussi : « J’ai aidé l’État à recouvrer 21 milliards d’euros et depuis, je suis au RSA »

Depuis 2013 et les « Offshore Leaks », l’ICIJ a passé au crible et révélé dans la presse une dizaine de fuites semblables aux « Pandora Papers ».

En 2016, plus de 11,5 millions de documents secrets émanant du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca (les « Panama Papers ») avaient permis de prouver, s’il était encore nécessaire, le caractère généralisé de l’évasion fiscale, répandue dans tous les domaines d’activités et pratiquée par un nombre incalculable de personnalités et de simples contribuables.

Enfonçant le clou l’année suivante, les « Paradise Papers » avaient révélé les circuits planétaires et les stratégies courantes et rodées d’optimisation fiscale qu’emploient la plupart des grandes entreprises et des banques dans le seul but d’échapper aux impôts et d’engranger davantage de bénéfices.

Ce travail d’investigation titanesque a donné lieu, ces dernières années, à de timides avancées en matière de lutte contre l’évasion fiscale : la levée du secret bancaire dans l’Union européenne, en 2017 ; le renforcement de l’échange automatique de renseignements sur les comptes financiers, en 2019, sous l’égide de l’OCDE ; enfin la mise sous pression de certains paradis fiscaux comme les Bahamas, contraints de changer leur législation

Ces progrès supposés n’ont pourtant comme effet que de déplacer les flux financiers, ou de forcer les fraudeurs à modifier leurs montages.

Et pour cause : comme le montrent les « Pandora Papers », les personnes les plus à même de changer les règles en profondeur font partie des bénéficiaires directs de ce système, à commencer par les chefs d’État, les banques et les cabinets de conseil, censés contrôler les activités de leurs clients.   

Par ailleurs, lorsque des territoires sous pression modifient leur législation, de nouveaux paradis fiscaux les remplacent : alors que les Bahamas et les autres petits États des Caraïbes jouent le jeu de la transparence, quatre États américains au moins (le Delaware, le Nevada, le Wyoming et le Dakota du Sud) se transforment peu à peu en terres d’accueil favorites des actifs internationaux, avec la bénédiction des autorités fédérales.

Le Wyoming, terre sauvage et paradis fiscal – Crédit : Cora Leach

Interrogé par France Info, Quentin Parrinello, responsable de plaidoyer chez Oxfam France, estime que les révélations des « Pandora Papers » démontrent une fois de plus que « l’argent existe », mais « qu’il est plutôt jusqu’à présent caché dans les paradis fiscaux par les personnes les plus riches ».

Selon lui, la lutte contre l’évasion fiscale, « zone grise entre la légalité et l’illégalité », exigerait « une réforme internationale » pour que les scandales financiers ne restent pas comme toujours impunis.

Salomé Saqué, journaliste économie à Blast, juge quant à elle que ces pratiques constituent un « braquage […] organisé, systémique, et réalisé à une échelle si vertigineuse qu’on peine à comprendre ce que veulent dire ces chiffres ». Or, ajoute-t-elle, « à l’échelle des États qui perdent des dizaines de milliards chaque année à cause de ces montages financiers, ça veut dire des milliers d’hôpitaux, d’écoles, de policiers en moins. Ça veut dire plus de misère sociale et d’insécurité. »

À la suite des révélations, les députés européens ont appelé l’Union européenne à renforcer sa lutte contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. Au sein de la Commission, plusieurs projets législatifs seraient actuellement en préparation.

Augustin Langlade

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