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« J’ai aidé L’État à recouvrer 21 milliards d’euros et depuis, je suis au RSA »

Pourquoi cette perquisition? Quel était l’enjeu ? Quel problème posais-je à la banque ? En quoi mon métier était lié avec la perquisition ?

Depuis qu’elle a dénoncé son employeur, la banque UBS, en 2008 pour pratique illégale de démarchage en vue d’échapper à l’impôt, la lanceuse d’alerte Stéphanie Gibaud traverse un parcours du combattant impitoyable. Récit. 

Propos recueillis par Matthieu Delaunay@Delaunaymatth

Pourriez-vous vous faire un rappel de l’affaire UBS qui vous a conduit là où vous en êtes aujourd’hui ?

Je suis rentrée chez la banque suisse UBS, en 1999, quand elle a ouvert ses bureaux en France. Pendant dix ans, j’ai exercé avec passion mon métier de marketing opérationnel et de communication. Parmi mes missions, j’organisais une centaine d’évènements par an pour faire la promotion de la banque. J’ai commencé à Paris, puis me suis déplacée sur tout le territoire, à mesure qu’UBS ouvrait des succursales régionales. Il faut savoir que toutes les banques s’arrachent leurs clients en gestion de fortune.

En France, on estime que 150 000 familles sont détentrices de fortunes telles qu’elles ont recours à plusieurs banques pour éviter de communiquer exactement quel en est le montant. Je me promenais donc dans toute la France, d’un golf à un autre, d’un cinéma privatisé à la coupe du monde de football ou de rugby, en loge de Roland Garros… bref, j’exerçais ce métier de relations publiques qui permet d’avoir une approche des clients et des prospects.

Les clients riches ont des amis riches, et donc sont les premiers à être apporteurs d’affaires. Ces évènements permettaient de fidéliser et de « pêcher » de nouveaux clients afin que, quand ils pensent à leur portefeuille, ils songent à UBS plutôt qu’à JP Morgan, HSBC ou Rothschild. Quand éclate l’affaire UBS, je gère un budget de plusieurs millions d’euros, mon employeur en France compte 500 collaborateurs, dont 150 banquiers.

Nous sommes alors en 2008. 

A cette époque, la banque commence à prendre l’eau un peu partout. Aux États-Unis, la banque d’investissement a notamment perdu beaucoup d’argent, faisant d’UBS la banque non-américaine la plus impactée par la crise des subprimes. En plus de cela, la banque d’Asset Management était dépositaire du fond Madoff au Luxembourg, tandis que sort l’affaire Bradley Birkendfeld. Un banquier américain, qui travaillait sur le bureau de Genève offshore, déclare que depuis qu’il travaille chez UBS, il aide tous ses clients américains à échapper au FISC.

Or, aux États-Unis, ça ne se passe pas comme en France concernant les histoires de fraude fiscale. En moins d’un an, UBS a donc été obligée de s’expliquer devant le Congrès américain et de passer un deal qui lui a couté moins d’un milliard de dollars, ce qui est peu par rapport au montant de la fraude. Mark Branson, alors directeur d’UBS, jure de ne plus jamais recommencer. Quelques temps plus tard, il quittera UBS pour devenir patron de l’autorité des marchés financiers suisses, la Finma.

Et de votre côté ?

Au même moment, on recrute à Paris celle qui deviendra ma supérieure hiérarchique et qui se comporte d’autant plus mal avec moi que j’avais une bonne connaissance de la banque, ayant notamment participé à l’ouverture de tous les bureaux de province. Je me remets tout de même en question, essaie de m’améliorer dans mon travail, jusqu’à ce jour de juin 2008, où une perquisition a lieu dans le bureau de Patrick de Fayet, le directeur général d’UBS France. Suite à cette perquisition, ma supérieure hiérarchique me demande de détruire tous les fichiers dans lesquels étaient inscrits le nom des clients, leurs données personnelles, ainsi que le nom des banquiers qui géraient leur fortune en France ou en Suisse.

J’étais à ce moment-là accaparée par l’organisation d’un évènement et assez inquiète par cette demande, et n’ai pas accepté de détruire ces données immédiatement. Dans les semaines qui ont suivi, ma supérieure est venue à plusieurs reprises s’assurer que j’avais détruit mes fichiers, me demandant de jeter également le contenu de mes armoires d’archives. J’ai refusé de rayer de cette façon dix ans de vie professionnelle, et ma vie s’est arrêtée à ce moment-là.

Que voulez-vous dire ?

Pourquoi cette perquisition? Quel était l’enjeu ? Quel problème posais-je à la banque ? En quoi mon métier était lié avec la perquisition ?

12 ans après, je ne sais toujours pas répondre à ces questions. Dans les banques, tout est cloisonné et opaque comme dans un sous-marin : les autres compartiments sont étanches et il est difficile de savoir ce qu’il se passe, sauf en haut-lieu. Ce que je peux dire c’est que je découvre, en tirant un fil, que mon métier a aidé à ce que des contribuables français ouvrent des comptes en Suisse pour échapper à l’impôt.

Cette histoire de destruction de fichiers, vient du fait que des banquiers étaient en bisbille avec Patrick de Fayet pour des histoires de bonus. Deux patrons de région avaient en effet été choqués par la décisions du DG, – suite à la vente par l’un d’eux de l’hôtel le Royal Monceau pour 350 millions d’euros -, de devoir partager le bonus du banquier vendeur avec un chargé d’affaire suisse : le client propriétaire de l’hôtel n’étant pas résident français, celui-ci souhaitait que le produit de la vente soit géré à Genève.

Il faut savoir que certains montants transférés à l’offshore figuraient sur une comptabilité parallèle, qu’on appelle « Le carnet du lait ». 

Qu’est-ce que c’est ? 

Il s’agit d’un carnet papier ou était répertorié, mensuellement et à la main, toutes les transactions qui n’étaient pas enregistrées dans la comptabilité officielle d’UBS. Une comptabilité parallèle en somme. On l’appelle le « Carnet du lait », car les Suisses, qui ne manquent pas d’humour, font référence aux vachers qui, de retour d’alpages, notent tous les jours la traite pour chaque vache. Toutes les transactions qui ne rentraient pas dans la comptabilité officielle servaient à payer les bonus des banquiers. Les patrons de région se sont rendus compte que leur homologue de Lyon avait un pool bonus beaucoup plus important que d’autres équipes, alors que les sommes gérées par ce même bureau étaient moins importantes. La première banque de gestion privée au monde travaillais comme ça, j’ai appris cet élément alors que j’étais en poste.

Comment n’en aviez-vous pas connaissance ?

La première personne à qui j’en veux, c’est moi. Je travaillais au cœur d’un réacteur nucléaire, et ne savais pas que c’était radioactif. A ma décharge, j’occupais un poste qui ne me permettait pas de comprendre les enjeux. Tous ceux qui m’ont dit : « C’est un secret de polichinelle, tout le monde était au courant… », qu’ont-ils fait pour documenter ces informations ? Nous mettons nos vies en danger en pensant dénoncer quelque chose de grave, et certains osent dire qu’ils sont au courant depuis longtemps ? Pensez-vous que si j’avais su qu’UBS aidait à frauder le fisc, je serais rentrée dans cette banque ?

Que faites-vous ensuite ?

Je tente d’alerter mes supérieurs. On me répond que je suis « folle » et que tous les avoirs sont référencés à la Banque de France. Je leur parle des « Carnets du lait », on me répond que je ne comprends rien non plus, et on me donne des justifications contradictoires. Surtout, on me rappelle de me mêler de mes affaires en me rappelant que certaines voix se lèvent car je ne serais plus très efficace ni compétente à mon poste.

Si vous l’aviez fait, vous auriez pu être responsable pénalement de la destruction de ces données.

Tout à fait. J’ai donc vu presque tous les dirigeants de la banque et tous m’ont répondu que j’étais fatiguée, que je n’étais plus compétente à mon poste et que je devrais prendre des vacances. Ne voyant pas ma cause entendue, et comme j’étais une élue du personnel, je suis allée à l’inspection du travail (IT) pour raconter mon histoire. L’IT m’a demandé de parler de cette procédure illégale de démarchage pendant les réunions du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), m’encourageant à demander l’appui des élus du personnel.

A partir du moment où vous êtes sur ces questions, c’est la culture de la peur, du déni et du dénigrement systématique qui se met en place. Tous se sont arrangés pour dire que j’avais un problème d’autorité avec ma supérieure hiérarchique.

Mais quel aurait été votre intérêt à agir ?

La jalousie et l’appât du gain, c’est le procès classique qui est fait aux lanceurs d’alerte. Au fond, celui qui parle, c’est celui qui est exécuté. Personne ne peut prendre le risque d’être grillé en vous soutenant. Beaucoup savaient, ne serait-ce que les banquiers qui touchaient des bonus qui n’étaient pas répertoriés dans la comptabilité officielle, mais personne n’a parlé avant. En général, peur, déni, menaces suffisent pour que les gens se taisent. J’ai compris que, dans mes archives, il y avait des informations très préjudiciables à L’État français.

C’est pour cela que je n’ai pas voulu les détruire. Depuis, on me demande de justifier cette intégrité. C’est d’une violence inouïe. Après avoir alerté ma hiérarchie, suivi les conseils de l’IT et posé des questions dont les réponses ont fait l’objet d’un compte-rendu envoyé à tous les collaborateurs d’UBS ; j’ai été la première à me retrouver en justice en 2010 pour diffamation. J’ai fort heureusement été relaxée. En 2009, j’avais également déposé plainte contre UBS sur conseil de l’inspection du travail. A la même période, cette même inspection du travail a validé la totalité d’un plan social concernant une centaine de collaborateurs d’UBS en France, sauf le mien ! Je me suis retrouvée maintenue dans une banque qui fraude, et dont j’avais dénoncé la fraude.

Crédit photo : Claudio Schwarz

Expliquez-nous cette affaire dans l’affaire.

En 2009, l’IT me demande de déposer une plainte pour blanchiment de capitaux en bande organisée et pour harcèlement et entrave à ma mission d’élue. En 2010, accusée de diffamation, je gagne mon procès. En mai 2011, je reçois un appel d’une cheffe de service des douanes à Bercy qui demande à me rencontrer rapidement pour m’avertir que la fraude continue chez UBS. Le ministère me demande de travailler avec lui sur ce sujet.

J’ai été obligée par des fonctionnaires assermentés, et donc qui vous contraignent par le droit, de travailler pour leur service pendant plus d’un an. Ils m’ont demandé des informations confidentielles régulièrement, m’ont fait tenir une mission que l’on pourrait qualifier d’agent de renseignement chez mon ex-employeur et m’ont de facto mise en risque. UBS, ayant dû finir par apprendre que j’avais les douanes sur le dos, était résolue à se débarrasser de moi. Finalement, je suis licenciée en 2012 pour raison économique. Je me retrouve sans salaire avec des procès sur le dos et deux enfants à charge.

J’ai gagné mon procès aux prudhommes, qui ont estimé que le harcèlement de 3 ans et demi de la part d’UBS était réel, et j’ai donc reçu 30 000 euros de dommages et intérêts. Sauf que, comme j’ai eu 35 000 euros de frais d’avocats, je n’ai pas pu être réintégrée dans mes droits. Et puis je me suis retournée aussi contre l’État. 

Pour quelle raison ?

Elle est simple : l’État français utilise pendant des mois des témoins qui sont des insiders dans une banque qui fraude, sans les protéger ni leur verser la moindre indemnisation. Or en France, la loi exige que tout travail mérite salaire, sinon il s’agit de travail forcé. J’ai donc attaqué Bercy et gagné en 2018, puisque le Tribunal administratif a reconnu que j’étais une collaboratrice du Service public. M. Darmanin n’a jamais dénié, ni me recevoir, ni répondre au courrier de mon avocat demandant : « vous avez fait travailler Stéphanie Gibaud pendant un an et tout travail mérite salaire, que comptez-vous faire ? » On a également déposé plainte contre les fonctionnaires des douanes qui m’ont fait travailler, alors qu’ils savaient pertinemment que j’étais en état de faiblesse et que j’allais risquer ma carrière. En aucun cas ils n’ont parlé de protection ni d’avenir professionnel. Dès que j’ai été licenciée d’UBS, je n’ai d’ailleurs plus reçu la moindre nouvelle de leur part.

Votre démarche a pourtant permis au FISC de récupérer 13 milliards d’euros entre 2004 et 2008. 

C’est même davantage que cela ! En 2019, UBS a été condamnée à l’amende la plus importante que la justice française ait jamais donnée : 4,5 milliards d’euros. La juge s’est basée sur cette décision pour y ajouter les sommes rentrées à la cellule de régularisation de Bercy au 31 décembre 2018, ce qui fait à peu près 4 milliards en plus. Nous voilà déjà à 8,5 milliards d’euros de récupérés. Il faut enfin ajouter le montant des fraudes entre 2004 et 2008 qui correspond à 13 milliards. Soit un total de plus de 21 milliards recouvrés par l’État grâce au travail que j’ai effectué avec les douanes, et me voilà sans rien depuis six ans. D’un côté l’État me contraint par le droit, de l’autre il refuse de m’appliquer la loi.

Être lanceuse d’alerte aujourd’hui, c’est quoi ?

Les banques ont parmi leurs clients des gens qui ont des fortunes. Or les gens fortunés sont influents, connaissent les élites politiques, administratives, financières et judiciaires de ce pays. Ces institutions financières sont entourées des meilleurs cabinets d’avocats qui travaillent à l’international 24h sur 24, 7 jours sur 7, et ont un budget illimité pour répondre à une seule exigence : ne jamais être condamnées.

De l’autre côté, vous avez votre vérité et on vous discrédite. C’est la première fois que j’avais affaire à la justice, et mon cas cumulait du droit pénal, social, fiscal et des entreprises. On vous demande de faire quelque chose en tant que salarié qui est répréhensible par la loi et vous refusez. Vous alertez, vous obéissez aux normes du travail, aux douanes, vous gagnez tous vos procès jusqu’à présent contre votre employeur et l’État et tout cela pourquoi ? Pour répondre concrètement à votre question, être lanceuse d’alerte, aujourd’hui, c’est ne plus savoir ce qu’est une vie.

Tout cela se fait étape par étape : vous perdez vos collègues, puis vos projets, puis votre famille, puis vos amis. Vous ne sortez plus, il n’y a plus rien. Vous êtes dans vos histoires d’injustice à attendre qu’il se passe quelque chose, mais à chaque fois qu’il se passe quelque chose, ce ne sont que des éléments de communication. 

On vous accuse d’avoir usurpé le statut de lanceur d’alerte. Est-ce que c’est une façon de « tuer le messager » ?

Assurément. Michel Sapin, alors qu’il était ministre de l’économie, a dit à mon propos en 2016 : « je vais faire passer une loi sur la protection des lanceurs d’alertes, je ne peux pas me prononcer sur un cas particulier ». C’est exactement ce que dit Boris Johnson sur le cas de Julian Assange aujourd’hui, soit dit en passant. Bercy m’a écrit plusieurs fois pour me dire que j’usurpais ce tire de lanceur d’alerte, en affirmant que je n’étais qu’un témoin dans le dossier. En France, il y a donc une loi-cadre sur les lanceurs d’alerte, dans laquelle je ne rentre pas. Pourtant, elle dit, à son article 6, que le lanceur d’alerte est :

« une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Il me semble que je rentre dans cette définition sans l’ombre d’un doute. Mais pour eux, ce n’est pas le cas. J’y vois évidemment beaucoup de mépris. Sur un plan médiatique, je me rends compte aujourd’hui que j’ai surtout servi à faire parler de la loi Sapin.

Ce qui m’a marqué en préparant cette interview est l’arrogance de nombreux journalistes à votre endroit et celui des lanceurs d’alerte. Comment l’expliquez vous ?

Je pense que les journalistes ont été vexés de ne pas avoir fait le travail pour lequel ils sont payés, et qu’ils ne supportent pas la moindre critique. L’affaire Assange et son peu de soutien au niveau international l’illustre bien. Les lanceurs d’alerte sont les premiers à fournir de l’information aux journalistes, or ils sont souvent les premiers à les mettre en risque. Toute la profession journalistique, à commencer par les syndicats de journalistes et les associations de défense de journalisme, se fiche d’un mot dont on ne parle jamais : la vérité.

Nous ne sommes pas dans un monde de transparence, d’éthique et d’information mais de communication. Tout rentre dans des agendas politiques, dans des plans de carrières bâtis à vos dépends. Les lanceurs d’alertes qui sont allés voir des journalistes, sont comme des patients qui ont un cancer et qui vont voir un chirurgien : ils sont dans un tel état de stress, qu’ils mettent leur vie entre leurs mains. On s’attend à être opéré, pas poignardé en même temps qu’on est soigné !

Ces gens vont se faire mousser sur des plateaux télés, en se faisant passer pour des héros, alors qu’ils appartiennent simplement à des cercles, des réseaux, des fratries. De temps à autre, ils feront un tweet pour rappeler leur dignité, mais n’en n’ont rien à fiche, au fond. Ceux qui sont intègres, sont impuissants ou se mettent en danger. Dès que vous publiez des informations qui dérangent l’establishment, c’est souvent terminé pour vous. Le journaliste brésilien qui a récupéré le dossier Snowden a vécu un enfer. J’ai découvert ce monde au dépend de ma carrière, de mes enfants, de mon patrimoine, bref, de tout ce qui faisait une vie.

Pensez-vous que si l’État lâche financièrement avec vous, il devra lâcher avec beaucoup d’autres lanceurs d’alerte ?

Si Bruno Lemaire le voulait, il pourrait me convoquer à Bercy. Nous pourrions discuter, à deux dans son bureau, et les propos seraient estampillés « sécurité défense ». Il ne le fait pas, comme aucun autre ministre avant lui. Ils doivent avoir leurs raisons. Ils pourraient aussi choisir de fixer un tarif pour les renseignements perçus, et de rémunérer leurs informateurs, comme la police le fait pour le trafic de drogue, puisque deux textes de lois existent en ce sens. Mais je ne suis personne, et puis peut-être que ce n’est pas forcément le ministre qui décide. Les ministres changent, les hauts fonctionnaires eux, restent en place. Personne ne connait leur nom, leur visage, mais eux se connaissent tous entre eux et se tiennent les uns les autres.

Direction générale des finances publiques

La plupart sortent de l’Inspection générale des finances, qui est une espèce d’État dans l’État. Ils n’y sont pas très nombreux, mais en sortent tous très puissants. En réalité, ce sont eux qui décident du sort de la Nation. Emmanuel Macron, qui a été ministre de l’économie et n’a jamais daigné poser un œil sur mon dossier, sort de cet organe administratif, comme le président d’UBS nommé au moment de mon licenciement. Le citoyen normal doit bien se comporter et respecter les règles, mais pas eux ? Comme il ne leur arrive rien, pourquoi voulez-vous qu’ils changent ? Je me répète :  j’ai aidé L’État à recouvrer 21 milliards d’euros et depuis 2016, je suis au RSA. Comment voulez-vous vivre avec 450 euros par mois ?

Je ne sais pas. J’ai la chance de n’avoir jamais eu à le faire.

Mais personne ne parle de cela, c’est tabou ! Il faut être maquillée, habillée, bien s’exprimer, surtout quand on passe à la télé. Il faut être parfaite sur tout et on vous dira : « ma pauvre dame, je vous plains ». Mais je ne souhaite pas être plainte, je souhaite être entendue ! Je me suis même faite engueulée par des députés parce que j’avais porté plainte contre l’État. Par-dessus le marché je n’ai ressenti aucune solidarité entre les lanceurs d’alerte. Ce statut est devenu un business, un agenda politique, avec des lois qui passent mais qui ne servent à rien puisqu’elles ne sont pas appliquées. Les suggestions intelligentes et citoyennes ne sont pas retenues, les réseaux prennent vos idées pour les remettre à leur sauce, et même les avocats peuvent être incompétents ou corrompus… Rendez-vous compte que mon premier avocat était un des avocats d’UBS. Il me l’avait caché.

Que souhaiteriez-vous faire aujourd’hui ? 

J’ai fait de la communication toute ma vie pour un gouvernement américain, un club de foot puis UBS… mon métier, c’est la communication. Je ne vais pas être plombier, ni infirmière. J’ai écrit trois livres, personne n’en parle. Les producteurs qui s’y intéressent se font taper sur les doigts, sont parfois victimes de contrôles fiscaux. Suite à un accident, j’ai dû aller récemment à l’hôpital pour la première fois depuis 30 ans et j’ai été très choquée par ce que j’ai vu, l’état de délabrement de nos services de soins. J’ai dit aux infirmières et aux médecins :

« j’ai aidé l’état à récupérer 20 milliards, pourquoi vous ne leur demandez pas où est cet argent ? »

J’essaie de réveiller les citoyens pour qu’ils réclament leur dû, mais, alors que je suis allée sur tous les médias, maintenant je suis placardisée. 

Comment expliquez-vous cette apathie collective ?

Difficilement. « Mon adversaire c’est le monde de la finance », disait François Hollande, on connait la suite : il y a eu Jérôme Cahuzac, dont on a retrouvé les comptes… chez UBS !

J’ai donné des conférences, car les entreprises ont tout intérêt à entendre parler d’éthique. Un lanceur d’alerte n’est pas là pour détruire l’entreprise mais pour l’aider à se perfectionner. Chez UBS, les personnes mises en examen et condamnées sont les mêmes qui ont eu des promotions ou ont été embauchées par la concurrence. Le monde du travail se complait à avoir des gens malhonnêtes en son sein. Pourquoi cautionnons-nous, au niveau de l’entreprise qui nous emploie ou que nous dirigeons, ce que nous ne cautionnerions jamais à l’endroit de nos enfants ou de nos conjoints par exemple ? Pourquoi est-ce que nous votons pour des politiques qui sont allés ou auraient dû aller en prison ? J’ai fait des conférences qui ont plu, mais je ne peux pas vivre sur des conférences faites en 2018. Pour continuer, ce serait à moi de financer mes déplacements, vous imaginez que c’est compliqué étant donnée la situation dans laquelle je suis. C’est ce qui est le plus désespérant, rien ne peut changer tant que les gens ne s’intéressent pas à ce que nous disons.

Pourquoi est-ce que les gens ne sentent pas concernés par les sujets que vous soulevez ? Est-ce que vous pensez que dans cette situation de crise qui dure depuis des décennies, et qu’on brandit comme une menace, la fatalité est un luxe que l’on peut encore se payer ?


Ma vie m’a permis de comprendre que deux choses marchent très fort : le déni, et la peur. On s’entretue sur les réseaux sociaux ou en famille. Sur le port du masque par exemple, il n’y a pas de dialogue possible, parce que les gens sont dans le déni et dans la peur. La peur est une arme politique qui permet de tenir les gens. 

A quoi tiennent-ils ?

Au crédit essentiellement : maison, voiture, vacances, iPhone, tous courent et font mine de ne pas voir, tant qu’ils ont à manger. Pourquoi n’ai-je pas de soutien ? Parce que personne ne veut prendre le risque d’être à 450 euros par mois. On instaure tant de peur entre les gens : homme, femme, couleur de peau, religion, que plus personne ne parle de cohésion. Or, il nous faut nous fédérer. Tant que nous n’avons pas envie de mettre un ciment, un joint entre nous, et de travailler ensemble pour la chose commune, nous ne pourrons y arriver. Soyons solidaires les uns des autres, cadres ou technicien, blancs ou noirs, nous devons être empathiques et avoir de la solidarité entre nous. Notre monde est d’une cruauté et d’une violence inouïes. Et puisque tant de gens sont sous éduqués, ils sont faciles à rouler. Dans le métro, les gens jouent à Candy Crush, comme certains députés sur les bancs de l’Assemblé nationale !

N’attendons pas de ceux qui se complaisent dans le système d’impulser un changement, cela n’arrivera pas. Le changement ne peut venir que des gens qui aspirent à autre chose. Nous allons arriver dans une période d’un tel chaos que nous allons collectivement avoir besoin de petites lanternes qui signaleront le « non » au système dans lequel nous vivons. Il nous faut impérativement changer de valeur, et abandonner celle de l’argent.

Photo à la une : BERTRAND GUAY / AFP

Matthieu Delaunay

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