Alerter les citoyens sur les dangers des emballages plastique et l’impossibilité de les recycler : c’est le projet que s’est fixé une nouvelle chaîne d’information, M. et Mme Reyclage, qui a retenu l’attention de La Relève et la Peste.
Le plastique, un déchet impérissable à l’utilisation exponentielle
Au cours des soixante-dix dernières années, le plastique a connu une progression exponentielle : en 1950, les êtres humains en ont produit 2,3 millions de tonnes ; en 1993, 162 millions ; en 2015, 448 millions. Et la courbe continue d’augmenter.
Or, le plastique, certes utile et fort malléable, possède une durée de vie oscillant entre 450 ans et l’infini. Tous les objets fabriqués à partir de ce matériau ne finissent pas leur parcours dans une poubelle, loin de là ; cependant, 40 % du plastique est utilisé une seule fois, car la moitié de la production n’est destinée qu’à servir d’emballage.
Chaque année, des centaines de millions de tonnes de plastique sont ainsi déversées dans les poubelles, déchets innommables dont seulement 9 % sont recyclés. Le reste est incinéré (12 %), accumulé dans des décharges ou finit dans la nature.
Le plastique est devenu le fléau du XXIe siècle. Personne ne peut plus l’ignorer. La France, pour sa part, en rejette 11 200 tonnes par an dans la Méditerranée. Voilà sa contribution aux 5 000 milliards de morceaux qui flottent déjà dans les mers et les océans du globe.
Ces objets tuent les animaux marins qui les mangent, oiseaux comme mammifères, contaminent la terre de microparticules, polluent les plages ; bref, dévastent la nature qui nous est donnée en partage.
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Et devant une telle catastrophe, qui commence à peine à se retourner contre nous, un mythe empêche la société de changer ses habitudes en profondeur : le recyclage.
« L’ignorance sur la gestion du plastique » et les « décisions politiques erronées » qu’elle entraîne constituent la raison pour laquelle Lise Nicolas et Enzo Muttini, deux ingénieurs diplômés de l’université Paris-Saclay, ont décidé d’ouvrir une chaîne d’information : « M. et Mme Recyclage ».
Active sur les réseaux sociaux, cette antenne s’efforce de changer les habitudes des particuliers et des entreprises en leur fournissant une meilleure connaissance du plastique, cette matière aussi banale que méconnue.
« En tant qu’ingénieurs, nous déclare Enzo Muttini, nous ne pouvons pas dire que le plastique soit une mauvaise matière. Certaines de ses propriétés sont intéressantes, en particulier dans la sphère médicale. C’est notre consommation courante et notre utilisation qui posent problème. »
En 2017, à la demande de l’acteur Jackie Chan, qui ne supportait plus de voir les déchets plastique traîner sur ses plateaux de tournage, les deux ingénieurs ont conçu, au sein de leur ancienne entreprise Miniwiz, une unité de recyclage mobile, nommée Trashpresso, qu’ils ont ensuite promenée dans divers endroits du monde, comme en Sardaigne. Autonomes, ces deux conteneurs sur roues broient, lavent et restituent un plastique susceptible de servir à de nouvelles fabrications.
Après trois ans de pérégrinations, retour au bercail. Lise et Enzo veulent désormais sensibiliser leur pays, qui souffre de gros problèmes de déchets.
La France figure parmi les trois plus importants producteurs de plastique du bassin méditerranéen. Les Français, eux, en jettent en moyenne 66 kilos par an…
Les mythes du recyclage
Fabricants, transformateurs, revendeurs, particuliers, tout le monde est concerné. En deux ans, la chaîne M. et Mme Recyclage a ainsi publié huit vidéos et une cinquantaine d’infographies sur des sujets aussi divers que la publicité mensongère, la complexité des emballages et leur composition, ou encore les micro et nanoparticules que dégage le plastique.
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Une vidéo s’attaque par exemple à l’aberration du bioplastique à usage unique, que les industriels présentent comme la solution miracle au fléau des déchets, alors qu’il s’agit d’un remède parfois pire que le mal.
« Déjà, la définition du mot n’est pas claire », explique Lise Nicolas.
Les bioplastiques recouvrent deux réalités bien distinctes : le biosourcé et le biogradable. « Biosourcé » veut simplement dire que le plastique est issu de matière végétale, mais il ne se décompose pas forcément dans la nature.
« Biodégradable » est un terme encore plus trompeur : la plupart des bioplastiques déversés sur le marché ne se biodégradent pas, ils se biofragmentent, c’est-à-dire qu’ils sont cassés en une infinité de petits morceaux invisibles à l’œil nu par le soleil, l’air, l’eau ou les insectes. Par la suite, ces milliards de microparticules polluent l’environnement en se disséminant partout, sans jamais disparaître.
« Quant au bioplastique le plus courant, il ne peut être jeté dans la nature, composté à la maison ni placé en décharge, ajoute Enzo Muttini. Il nécessite un compostage professionnel, car ce sont des paramètres très particuliers qui le dégradent : les bonnes températures, les bonnes bactéries qui viendront digérer ses éléments. Mais aujourd’hui, il n’y a pas d’usine capable de le composter en France… La majorité des emballages en bioplastique que nous utilisons ne peut donc être traité par l’environnement. »
M. et Mme Recyclage alertent sur cette nouvelle vague « qui promeut le tri de tous les déchets, en continuant à pousser à la consommation », comme le dit Lise Nicolas. « Ce n’est pas parce qu’un contenant finit dans le bac de tri qu’il est recyclé. »
Premier point : les emballages sont fabriqués à partir d’un plastique qu’on pourrait qualifier de bas de gamme. Pour réduire les coûts, les industriels restreignent l’ajout d’additifs, de stabilisants thermiques ou d’antioxydants qui seraient susceptibles de rallonger les cycles de vie, mais augmenteraient le prix final. Or, moins il y a d’additifs limitant la dégradation thermique du plastique lors du recyclage, moins celui-ci se recycle…
Second point : les entreprises recherchent l’emballage qui les démarquera et chacune d’elles choisit sa propre recette. Le plus souvent, il y a donc des couches différentes de plastique : l’opercule d’une barquette de jambon, par exemple, est en polyéthylène (PE), alors que la barquette elle-même est composée d’un alliage de PE et de polychlorure de vinyle (PVC), deux matériaux qui ne se recyclent pas de la même façon. Rien, dans une telle barquette, ne trouvera une seconde vie.
« Si tous les emballages étaient fabriqués d’un même plastique, non mélangé, sans encre et sans colle, on pourrait les recycler, commente Lise Nicolas. Pour le moment, c’est comme si l’on voulait faire un gâteau au chocolat avec les restes de dix gâteaux différents, qui ne cuisent pas aux mêmes températures dans les mêmes fours et ne se moulent pas dans les mêmes plats… »
En France, les déchets se divisent en recyclables et non recyclables, en poubelle jaune et poubelle verte. Mais à l’intérieur de la poubelle jaune, les déchets n’auront pas le même destin, tant s’en faut.
Une collectivité française recycle en général trois flux de plastique standardisés : les emballages en polytéréphtalate d’éthylène (PET), par exemple les bouteilles d’eau de couleur claire ; les déchets en polypropylène (PP) et en PE, comme les flacons de shampooing ou de lessive ; enfin, les films souples en PE, qui entourent entre autres les palettes de cartons. Le reste, sauf à de rares endroits, est incinéré, enfoui, ou expédié dans d’autres pays.
Prenons la bouteille d’eau, l’objet quotidien sûrement le mieux recyclable. Une fois vidée, elle est jetée dans le bac de tri, récoltée par un camion, envoyée à une usine de triage, acheminée vers un régénérateur qui broie, lave, purifie et transforme le plastique en granulés, eux-mêmes convoyés jusqu’à une usine qui en fait des fibres, utilisables enfin par un fabricant…
« Mais la chaîne est loin d’être infinie ! insiste Enzo Muttini. D’une, toutes les bouteilles produites ne sont pas collectées. De deux, toutes ne passent pas au recyclage. Il suffit qu’un flacon soit rouge foncé pour qu’on lui refuse une seconde vie. De trois, au bout de quelques cycles, le parcours du plastique s’arrête, car le recyclage n’est qu’un prolongement. Enfin, comme la demande en plastique est croissante, même si on le recyclait à 100 %, on ajouterait toujours de la matière vierge sur le marché. »
Seuls les plastiques le plus spécialisés et les plus chers sont correctement recyclés. Mais ceux-là ne sont pas utilisés comme emballages au quotidien.
« Le recyclage ne doit pas servir d’alibi au tout-jetable, déclare Lise Nicolas, en accord avec le message délivré par les associations françaises zéro déchet. Ce que nous souhaitons, avec notre chaîne, c’est faire sortir les gens de leur zone de confort, les pousser à prendre conscience des dangers de leurs habitudes, sans les culpabiliser pour autant. »
Enzo Muttini rebondit : « Le consommateur a beaucoup plus d’impact qu’il ne le pense. C’est sa consommation qui guide les industriels. D’autres solutions existent : la consigne, le réemploi, les paniers, le vrac, les circuits courts… Mais pour réussir, il faut aider les personnes à changer et les éclairer. »
La tâche est lourde : en 2016, le marché de l’emballage plastique aurait réalisé un chiffre d’affaires français de 7,7 milliards d’euros, en croissance de 1 à 2 % par an. Lise et Enzo se confrontent à un lobby organisé, puissant, bien déterminé à ne rien lâcher, quitte à manipuler les citoyens, pour que ceux-ci ne se sentent plus coupables. En témoigne le bioplastique.