C'est une première mondiale : cette tribu de lions a quitté le désert pour vivre sur le rivage, et chasser des otaries. Rencontre avec Griet Van Malderen, la photographe qui a immortalisé l’adaptation inédite des "lions maritimes" de Namibie. Une conséquence directe du dérèglement climatique.
Des lions devenus marins
La scène semble irréelle. Une lionne est paisiblement couchée sur une plage de galets noirs. En face d’elle, les vagues de l’Atlantique s’abattent sur le rivage. Elle s’appelle Gamma. Ce fauve du désert vit sur la Skeleton Coast, au nord-ouest de la Namibie, là où le désert rencontre la mer. Et elle appartient à un groupe au comportement inédit. Ce sont les seuls lions au monde à chasser des proies marines, essentiellement des otaries à fourrure du Cap.
Cette photographie, signée Griet Van Malderen, a fait le tour du monde. Finaliste du Wildlife Photographer of the Year, elle a frappé les esprits. Et ce, bien au-delà du cercle des naturalistes.
« Ce soir-là, après deux semaines d’attente dans le désert, les voir enfin sur la plage a été un moment de grâce », confie la photographe belge à La Relève et La Peste. « Gamma m’a offert toutes les conditions rêvées pour la photo. On attend ce moment pendant des années, et quand il arrive, c’est indescriptible », raconte-t-elle.
Pendant des millénaires, les lions du désert de Namibie ont vécu loin de la mer. Notamment, dans les plaines arides du Namib (dans le sud-ouest du pays). Mais depuis quelques années, les sécheresses répétées et les bouleversements climatiques ont réduit leurs proies terrestres : oryx, autruches, springboks… Au point de forcer l’espèce à s’adapter.
Ces lions n’ont toutefois pas élu domicile sur la plage. Ils y descendent seulement la nuit pour chasser, puis regagnent les dunes à l’aube, là où ils trouvent protection et fraîcheur. Aujourd’hui, douze lions vivent le long de la Skeleton Coast. Ils appartiennent à une population totale d’environ 80 individus.
« Ces lions se sont réinventés. Depuis six mois, ils ne se nourrissent plus que d’otaries », explique Griet Van Malderen. « Le changement climatique les a poussés vers la mer. Là où le désert ne leur offrait plus rien, ils ont trouvé une nouvelle source de vie ».
Leur première rencontre avec la mer, en 2015, a bouleversé leurs habitudes. D’abord désorientés, les félins ont découvert dans les colonies d’otaries une abondance inespérée.
« Lors de leurs premières chasses, les lionnes ont tué jusqu’à 40 otaries en une nuit. C’était l’euphorie de la découverte », se souvient la photographe. « Aujourd’hui, elles ont appris à se contrôler. Elles s’adaptent ».
La première génération uniquement maritime
Gamma, Alpha et Bravo – trois lionnes parentes – incarnent cette première génération de lions maritimes. Leurs petits, nés cette année, ne connaissent que la côte.
« C’est la première fois qu’une génération entière grandit sans jamais chasser autre chose que des otaries », souligne Griet.
Les chercheurs s’apprêtent à prélever et analyser le sang des lionnes et de leurs petits, afin de mesurer les effets de ce régime marin inédit sur leur organisme. Les otaries accumulent naturellement des métaux lourds provenant des poissons et crustacés dont elles se nourrissent. Cette accumulation pourrait, à terme, modifier la composition sanguine des fauves.
La question est cruciale : cette adaptation pourra-t-elle durer sans provoquer de déséquilibre biologique ? Et si l’otarie à fourrure du Cap n’est pas classée comme espèce menacée par l’UICN, une prédation plus soutenue pourrait, elle, fragiliser les colonies côtières.
Une lionne abattue après avoir attaqué un touriste
Ces nouveaux comportements fascinent les chercheurs du Desert Lion Conservation Project, mené par le biologiste Philip Stander, qui suit les félins depuis les années 1980. Mais cet intérêt grandissant pour les “lions maritimes” attire aussi un tout autre regard. Celui des curieux et des photographes, venus du monde entier pour les observer. Une proximité qui n’est pas sans risque.
« Le tourisme est à la fois une chance et un danger », avertit la photographe. « Raconter leur histoire, c’est bien, mais il faut surtout les préserver. Trop de gens veulent “la” photo, quitte à franchir la ligne du respect ».
Elle évoque avec émotion la disparition de Charlie, une lionne qu’elle suivait depuis des années : « On l’a perdue cette année. Elle avait attaqué un touriste qui s’était trop approché, et elle a dû être abattue. Elle était amaigrie, affamée, et n’avait plus peur des humains. C’est la conséquence directe d’un tourisme qui ne respecte plus les distances…»
Pour Griet Van Malderen, la photographie de nature exige deux choses. Le respect et la patience. « La base, c’est toujours l’attente. Des heures, parfois des jours, sans bouger. Pour cette photo, j’ai attendu deux semaines ».
Sa photographie de Gamma a été sélectionnée parmi plus de 60 000 clichés du Wildlife Photographer of the Year, organisé par le Natural History Museum de Londres. « Être finaliste, c’est un honneur immense. Mais la vraie star, c’est Gamma. Sans elle, je ne serais pas là ».
Pour la photographe, cette reconnaissance a surtout valeur de message. « Pour moi, la photographie est un outil de conservation. Si mes images peuvent ouvrir les yeux, alors elles auront servi à quelque chose », conclut-elle.
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