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Les habitants de Saint-Senier-de-Beuvron ont vaincu Elon Musk et son projet Starlink

Lorsque les contours du projet, découverts morceau par morceau, parviennent enfin à la connaissance des élus, la résistance s’organise. C’est un « non » unanime qu’on murmure au village.

Ils ont fait plier Elon Musk. Jeudi 20 janvier, les 368 habitants de Saint-Senier-de-Beuvron ont appris avec soulagement que le groupe Space X renonçait à implanter ses antennes-relais dans leur petit village de la Manche, à une vingtaine de kilomètres du mont Saint-Michel.   

C’est en octobre 2020 que Benoît Hamard, électricien-plombier-chauffagiste et maire de Saint-Senier-de-Beuvron, découvre que le géant spatial américain compte élever une « station terrestre » sur sa commune. Le lieu choisi : un champ de 2,8 hectares, que la société de fibre Sipartech (un prestataire de Space X) voudrait « acheter au plus vite » à son propriétaire.

Le village normand n’est en réalité pas aussi isolé qu’il en a l’air. Non loin du bourg, le lieu-dit de La Gramelois accueille un « point de présence » du réseau de fibre optique français et européen. Ce nœud internet aurait permis à Space X de raccorder ses antennes au trafic souterrain.

Étoiles artificielles

Depuis 2015, la société d’Elon Musk développe un programme de mégaconstellation baptisé « Starlink ». Au moyen de ses fusées réutilisables, Space X prévoit de mettre en orbite basse (à environ 500 kilomètres de la Terre) plus de 42 000 satellites miniatures, afin de fournir une couverture internet à l’ensemble de la planète, jusqu’aux zones les plus reculées.

Dopé par la NASA, ce projet insensé va bon train. À la mi-janvier, 2 000 modules de Starlink gravitaient déjà dans l’espace. Par grappes de soixante à cent, 10 000 autres devraient être expédiés d’ici 2025 et les 30 000 restants, le gros des troupes, au cours des dix années suivantes.

À terme, c’est un réseau de sixième génération (6G) que se propose d’inaugurer Space X. À la différence des satellites classiques, lancés à des dizaines de milliers de kilomètres, ses bornes en orbite basse ne couvriront qu’une petite portion de la Terre. Ce manque à gagner sera compensé par une prodigieuse multiplication du maillage, qui réduira par dix les temps de latence des connexions. 

Mais pour acheminer ces ondes jusqu’aux particuliers, Starlink doit aussi déployer une multitude de stations terrestres dans toutes les régions du monde, ou presque. C’est là que Saint-Senier-de-Beuvron entre en scène.

L’indésirable relais satellite du groupe américain se présentait ainsi : à l’intérieur d’une enceinte en béton flanquée d’un local technique, neuf dômes électriques de trois mètres de hauteur devaient être installés « plein champ » sur des socles de cinq mètres carrés, plongeant eux-mêmes à deux mètres de profondeur.

De tels relais sont censés intercepter le signal des satellites et irradier de 0 et de 1 une région donnée, en l’occurrence une bonne partie de la France, la Belgique et le sud du Royaume-Uni.

Chaque dôme équivalant à cinq mètres carrés au sol, la société Sipartech imaginait qu’elle pourrait se passer de permis de construire en déposant à la mairie neuf demandes d’autorisation différentes, au compte-gouttes. Il n’en fallait pas plus pour déclencher l’ire du conseil municipal. 

Lire aussi : « Les astronomes lancent l’alerte sur les dangers des mégaconstellations de satellites »

Noyer le poisson

Lorsque les contours du projet, découverts morceau par morceau, parviennent enfin à la connaissance des élus, la résistance s’organise. C’est un « non » unanime qu’on murmure au village.

Mais en décembre 2020, un premier coup de tonnerre vient sonner les rebelles : l’Autorité de régulation des communications électroniques (Arcep) autorise Space X à s’implanter sur la commune. Et en janvier suivant, un second : l’Agence nationale des fréquences lui alloue un statut de société émettrice… Space X fait un bon en avant.

Lire aussi : « 5G : Amazon va envoyer 3 236 satellites en orbite »

La mairie refuse cependant de baisser les bras et aidés par François Dufour, ancien conseiller régional (EELV) de Normandie, ancien porte-parole de la Confédération paysanne et cofondateur d’Attac, Benoît Hamard et son secrétaire, Valentin Quehin, trouvent rapidement la parade idéale.

Quel sera l’impact des dômes sur l’environnement ? Une étude du sous-sol a-t-elle été effectuée ? La station polluera-t-elle le Beuvron, qui alimente en eau potable les habitants du village ? Sait-on si les champs électromagnétiques induiront des nuisances sur les êtres humains, les animaux ? Votre société fournit-elle des garanties contre leur nocivité ?

De question en question, les Saint-Senierais jouent la montre. Contrairement à Space X, ils ne sont pas pressés. Et au fil de réponses, la mairie s’aperçoit que l’entreprise américaine, embarrassée, n’a pas rodé son argumentaire et ne s’est pas non plus préparée à la fronde. 

Le village normand de Saint-Senier-de-Beuvron. Capture d’écran-Google Maps

Double victoire en 2022

Les villageois montent au créneau, sollicitent les médias. Tout au long de l’année 2021, plusieurs articles de presse, dont un reportage de Paris-Match, en mars, sortent ce dossier de la confidence locale et le transforment en affaire nationale.

En avril, on apprend que la municipalité de Gravelines, dans le Nord, refuse également d’accorder un permis de construire au géant spatial, qui a choisi cette commune pour la présence toute proche de l’hébergeur OVH et de ses réseaux.

Après une longue période de latence, le mois de janvier 2022 est finalement couronné d’une double victoire : le projet de Saint-Senier-de-Beuvron est abandonné, celui de Gravelines est retoqué par l’Arcep, faute de garanties suffisantes.

Volte-face sans tambour ni trompette. Space X n’a pas même fait savoir aux 368 Saint-Senierais qu’elle se retirait de leur village ; ceux-ci l’ont appris au détour d’une communication de l’Arcep abrogeant la décision du 1er décembre 2020. 

Il ne reste donc qu’un seul site de Space X en France, celui de Villenave-d’Ornon, en Gironde, où huit dômes blancs ont été installés sur le toit d’un bâtiment de l’avenue Mirieu-de-Labarre, au début de l’année dernière.

Crédit photo couv : Elon Musk, CEO of SpaceX and Tesla – Daniel Oberhaus (2018)

Augustin Langlade

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