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Les agences « dernier kilomètre » d’Amazon pullulent en France au détriment de l’emploi local

D’ici quelques années, ces agences se compteront sans doute par dizaines dans notre pays. La multinationale en possède pour l’instant vingt-quatre, mais la direction de sa branche française a annoncé, en 2020, qu’elle voulait « [en] ouvrir cinq à dix [de plus] par an ». De quoi donner des sueurs froides à ses opposants.

Au lendemain de l’arrivée en jet privé de Jeff Bezos à la COP26, en Écosse, des habitants de Moult-Chicheboville (Calvados) et de Briec (Finistère) ont bloqué, les 4 et 5 novembre, deux agences « dernier kilomètre » d’Amazon, en cours de construction. Ils s’opposent au modèle économique du géant du commerce en ligne, jugé déshumanisant, destructeur d’emplois et extrêmement polluant.   

L’éclosion irrépressible de petits entrepôts

Alors qu’Amazon connaît une croissance fulgurante en Hexagone, la résistance ne faiblit pas. Le 4 novembre à Moult, près de Caen, et le lendemain à Briec, au nord de Quimper, des dizaines de manifestants se sont rassemblés sur le chantier de deux agences de livraison « dernier kilomètre », pour alerter la population sur les ravages de l’implantation de la multinationale américaine.

À Moult, des militants du collectif Stop Amazon 14 et d’Extinction Rebellion ont occupé la grande dalle de béton jouxtant la structure métallique du futur entrepôt, avant que la gendarmerie ne les force à partir, en début d’après-midi.

À Briec, dans le parc d’activités de Lumonoc’h, une soixantaine de membres du collectif local Stop Amazon se sont également déployés, au petit matin, sur un terrain désolé où les engins ont dû renoncer à vrombir jusqu’à la fin de la journée. Quelques militants s’étaient enchaînés aux grilles qui entourent le chantier. 

Ce qui réunit ces deux actions, distantes de plusieurs centaines de kilomètres, c’est avant tout un ennemi commun : Amazon, ou plus précisément ses agences de livraison « dernier kilomètre ».

« Ces agences sont très importantes dans le fonctionnement global de la multinationale, nous explique Alma Dufour, chargée de campagne « surconsommation » aux Amis de la Terre et présente à l’action de Briec. Amazon ne les implante que quand il a conquis de nombreuses parts de marché, afin de faire passer plus rapidement les colis des centres de stockage aux circuits de proximité. »

Lorsqu’ils sont inaugurés, ces petits entrepôts opèrent dans un rayon de 150 kilomètres. Mais leur vocation est purement locale : à mesure que le nombre de consommateurs augmente dans un bassin donné, d’autres agences ouvrent leurs portes et leur rayon d’action réduit, jusqu’à atteindre un poids de forme. Il y en a par exemple huit de ce type en région parisienne.  

Lire aussi : « Gaspillage : Amazon continue de détruire des millions de produits neufs invendus »

L’agence de Briec couvrira le bassin de Quimper et de Brest, l’agence de Moult celui de Caen et du Havre.

« Dès leur ouverture, prévoit Alma Dufour, Amazon pourra généraliser dans ces deux bassins la livraison en moins de 24 heures, y compris dans les territoires ruraux, et proposer son abonnement Prime, véritable machine à capter et à fidéliser le consommateur. »

Rébellion du jeudi 4 novembre sur le chantier du futur entrepôt Amazon à Moult-Chicheboville – Crédit : Extinction Rebellion Caen

D’ici quelques années, ces agences se compteront sans doute par dizaines dans notre pays. La multinationale en possède pour l’instant vingt-quatre, mais la direction de sa branche française a annoncé, en 2020, qu’elle voulait « [en] ouvrir cinq à dix [de plus] par an ». De quoi donner des sueurs froides à ses opposants.

« Les petites agences comme celles de Briec et de Moult, reprend Alma Dufour, c’est l’outil principal dont dispose Amazon pour prendre le contrôle de la France. D’autant que pour les militants, elles sont beaucoup plus difficiles à bloquer. »

D’une taille de 5 000 à 10 000 m2 — contre 50 000 à près de 200 000 m2 pour les grands entrepôts —, les agences dernier kilomètre ne font l’objet ni d’autorisation environnementale ni de consultation publique. Dans la plupart des cas, un permis de construire et une déclaration en préfecture suffisent pour les ouvrir, avec des délais de procédure réduits. Elles poussent comme des champignons.

À Moult, tous les recours juridiques des opposants ont échoué. Les travaux ont commencé cet été. À Briec, même cas de figure : impossible d’entraver ou d’annuler le chantier, dont les machines se sont mises en marche il y a trois semaines.

50 citoyen.nes ont bloqué le chantier d’Amazon de Briec – Crédit : Stop Amazon Bzh

Passe-droits et distorsion de concurrence

Toujours installées en périphérie des villes, grandes ou moyennes, les agences « dernier kilomètre » permettent de livrer 30 000 colis par jour en moins de 24 heures. Elles se placent donc en concurrence directe avec les commerces locaux ou de proximité.

Et pourtant, comme si la seule présence de l’entreprise ne suffisait pas, de nombreuses règles de distorsion, que l’association les Amis de la Terre nomme des « passe-droits », viennent renforcer l’emprise locale, si néfaste, du e-commerce.

Bien qu’ils proposent les mêmes produits que l’écrasante majorité des commerces, les entrepôts logistiques sont en effet considérés par la loi comme des « sites industriels ». Cela veut dire que les pouvoirs publics n’ont pas l’obligation d’estimer leur impact potentiel, sur l’emploi et la concurrence, dans le bassin où ils s’implantent, avant de leur accorder une autorisation.

Second « passe-droit » : au printemps dernier, lors de l’élaboration de la loi « climat », l’Assemblée nationale a choisi de ne pas inscrire les entrepôts logistiques dans le moratoire sur les zones commerciales, destiné à freiner l’artificialisation des sols. Contrairement à leurs concurrents, les acteurs du e-commerce ne sont donc pas considérés comme des commerçants et restent libres de s’installer partout en France. 

Enfin, sans parler de la fraude à la TVA et de l’impôt sur les sociétés, qu’Amazon ne paie pas, les entrepôts du e-commerce échappent à la taxe sur les surfaces commerciales et jouissent, en tant que « sites industriels », d’impôts de production récemment divisés par deux.

Autant de privilèges fiscaux qui aggravent, selon Alma Dufour, « une distorsion de concurrence insoutenable »

Devanture d’une librairie française – Stop Amazon 14
Lire aussi : Pour sauver les libraires, les députés interdisent la livraison gratuite de livres par Amazon

Une lutte en demi-teinte

Dans une étude publiée en décembre 2020, deux économistes réputés, Ano Kuhanathan et Florence Mouradian, ont démontré pour la première fois que l’expansion du e-commerce en France avait détruit 81 000 emplois dans les secteurs non alimentaires, entre 2009 et 2018.

Loin de le favoriser, Amazon nuit au marché du travail. Pire, ce constat est le même, quel que soit le pays où la multinationale s’implante : des États-Unis à l’Allemagne, le solde entre les créations et les destructions d’emplois est toujours négatif.   

Dans la perspective de la loi « climat », sept ministères ont commandé, à la fin de l’année dernière, un rapport à France Stratégie sur les conséquences du e-commerce, notamment en matière d’emplois. Après cinq mois d’étude, l’institution prospective rattachée à Matignon a livré une conclusion sans appel :

« Plus le commerce en ligne est fort dans un secteur, plus la baisse de l’emploi est marquée. » Amazon recrute moins que ses concurrents et détruit l’emploi local.

Lire aussi : Les géants du e-commerce ont détruit 81 000 emplois en France entre 2007 et 2018

Rapidement enterré, ce rapport n’a cependant pas influé le moins du monde sur le politique du gouvernement. Au lieu d’empêcher Amazon d’occuper une position dominante, voire d’atteindre un quasi-monopole sur le e-commerce, comme aux États-Unis, la majorité présidentielle a décidé de lui laisser toute latitude pour s’étendre. Quoi qu’il en coûte.

« Sous le mandat d’Emmanuel Macron, souligne Alma Dufour, la multinationale a connu une expansion vertigineuse. Elle a multiplié ses infrastructures par dix, passant de 4 à 41 entrepôts, dont les 24 agences dernier kilomètre. Si rien n’est fait, je pense qu’il pourrait y avoir une trentaine de projets en plus sous le prochain quinquennat : un grand site et cinq à dix agences de livraison par an. »

Mais de même que les entrepôts, les luttes locales fleurissent partout en France. On n’en compte pas moins de dix, parfois désespérées, comme à Briec et à Moult, parfois victorieuses, comme à Ensisheim, dans le Haut-Rhin, où Amazon a renoncé à s’installer, ou à Montbert, en Loire-Atlantique, où un projet d’entrepôt de 185 000 m2 a été abandonné en octobre.

Alors que deux autres dossiers sont encore examinés par la justice (Lyon et Belfort), le tribunal administratif de Nîmes a annulé, mardi 9 novembre, l’autorisation environnementale délivrée à Amazon pour son centre de tri de 38 000 m2 à proximité du Pont du Gard. Très attendue, cette décision couronne trois années de lutte et consacre la prévalence de l’environnement sur l’économie.

Lire aussi : « Une pie protégée entraîne l’abandon d’un entrepôt Amazon géant dans le Gard »

« Cependant, nuance Alma Dufour, l’expansion d’Amazon continue. Dès que ses projets sont bloqués, le géant en cherche d’autres, prospecte dans d’autres communes et ne renonce jamais à s’installer. Pour nous qui luttons contre lui, c’est le tonneau des Danaïdes. »

À Briec et à Moult, les manifestants des 4 et 5 novembre réclament l’organisation d’un référendum, au moins à l’échelle départementale. Un tel scrutin permettrait de prendre le pouls de la population, qui semble particulièrement divisée sur la question du e-commerce.

Crédit photo couv : Blocage d’XR Caen du 4 novembre

Augustin Langlade

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