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Pour sauver les libraires, les députés interdisent la livraison gratuite de livres par Amazon

En pratique, la nouvelle loi est également destinée à inciter les consommateurs à revenir en librairie. Le commerce du livre en ligne représente, aujourd’hui, environ 20 % des ouvrages vendus.

Un point pour les libraires. Mercredi 6 octobre, quarante ans et quelques mois après la loi Lang, l’Assemblée nationale a adopté avec une large majorité la proposition de loi visant à « améliorer l’économie du livre et à renforcer l’équité entre ses acteurs », déposée par la sénatrice Laure Darcos (Les Républicains).

Une nouvelle loi

Pour la première fois en France, cette loi très attendue instaure un tarif plancher de livraison pour la vente de livres en ligne : toutes les plates-formes numériques proposant des ouvrages neufs devront désormais se conformer à un forfait de livraison minimal, garantissant l’équité entre les gros acteurs du marché et les plus modestes.  

Bien qu’il n’y soit jamais nommé, Amazon était la cible principale de cette proposition de loi. Depuis des années, le géant du commerce en ligne est accusé de pratiquer une concurrence déloyale envers les librairies indépendantes, en offrant (ou presque) la livraison de livres à tous ses clients.

En 2014, la loi « encadrant les conditions de la vente à distance des livres » avait déjà interdit aux plates-formes de cumuler remise de 5 % et gratuité des frais de port. Amazon puis la FNAC avaient alors décidé de facturer la livraison un petit centime d’euro, rendant le texte législatif obsolète peu après sa promulgation.

Selon le Syndicat de la librairie française (SLF), l’expédition d’un ouvrage à domicile coûte en moyenne 6,50 euros aux libraires. Pour soutenir la concurrence féroce des grandes plates-formes, ceux-ci avaient jusqu’ici deux choix : facturer les frais postaux à leurs clients, au risque de les perdre ; ou rogner sur leurs marges, au risque de vendre des livres à perte. 

À certains égards, cette distorsion de concurrence pouvait être aussi considérée comme un contournement de la loi Lang. En 1981, pour empêcher les grandes surfaces comme Leclerc ou la FNAC de pratiquer un dumping intenable, voire de vendre à perte, ce texte historique instaurait un prix unique du livre neuf en France, fixé par l’éditeur.  

En imposant une forme d’exception culturelle, la loi Lang a permis aux librairies indépendantes de se conserver des marges correctes, dans un marché où la libre concurrence aurait nettement profité aux plus gros acteurs, mais aussi réduit l’offre générale, puisque le secteur tout entier aurait tendu à privilégier les têtes de gondole, plus lucratives.

Maintes fois attaqué, le prix unique a fait date, y compris chez ses premiers détracteurs. Mais l’arrivée des plates-formes numériques et la croissance tonitruante du commerce en ligne ont à nouveau perturbé, par le dumping et la vitesse imbattable des livraisons, la stabilité de ce marché aussi fragile qu’essentiel au regard de son rôle dans la culture et l’éducation.

Baptiste Soubra – collectif La Faille
Lire aussi : « Les géants du e-commerce ont détruit 81 000 emplois en France entre 2007 et 2018 »

Un tarif à définir

La nouvelle loi sur « l’économie du livre » n’a pas encore fixé le tarif commun qui sera appliqué à la livraison. Ce point délicat sera tranché en second lieu par les ministères de l’Économie et de la Culture, sur recommandation de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).

Plusieurs montants sont évoqués : le SLF souhaiterait qu’il se situe entre 3 et 5 euros, soit « au niveau des frais de port en vigueur sur internet pour les autres produits » ; du côté du Syndicat des distributeurs de loisirs culturels (SDLC), on estime qu’il ne saurait dépasser 2,90 euros, afin de ne pas avoir d’effet dissuasif.

En pratique, la nouvelle loi est également destinée à inciter les consommateurs à revenir en librairie. Le commerce du livre en ligne représente, aujourd’hui, environ 20 % des ouvrages vendus. Dans le même temps, il y aurait, selon le ministère de la Culture, entre 20 000 et 25 000 points de vente de livres en France, dont 3 500 à 4 500 librairies à proprement parler.

Même si le secteur affiche une bonne santé, il reste peu rentable : sa capacité à supporter une dégradation de la conjoncture est assez faible pour justifier des mesures énergiques de protection. 

Lire aussi : « France : Amazon veut doubler son nombre d’entrepôts d’ici 2021, un danger écologique et économique »

Etagères d’une librairie de livres anciens à Toulouse – Crédit : Paul Melki

La première victoire de David contre Goliath

Saluée par les éditeurs, les syndicats, les libraires et les grandes enseignes comme la FNAC, Cultura, Decitre ou le Furet du Nord, la loi sur « l’économie du livre » a été fustigée, on peut l’imaginer, par une certaine plate-forme aux pratiques peu respectables.

Dans une lettre ouverte envoyée le 4 octobre aux abonnés « Prime », le directeur général d’Amazon France, Frédéric Duval, a déclaré qu’« une telle mesure […] pénaliserait la diffusion des livres sur notre territoire et la lecture en général ».

Si l’on en croit ce chantre reconnu du bien commun, qui se réclame d’une enquête IFOP commandée par son entreprise, « plus de la moitié des livres achetés sur Amazon le [seraient] par des habitants de communes de moins de 10 000 habitants, et plus du quart par des habitants de communes de moins de 2 000 habitants ».

Avec cette loi, continue le tribun, campagnards isolés et provinciaux « seraient confrontés à une alternative simple : lire moins […], ou bien subir une perte de pouvoir d’achat substantielle », de l’ordre de « 250 millions d’euros par an ».

Trompeurs, ces arguments ne résistent pas à l’épreuve des faits. Les zones rurales ne manquent pas tant de librairies — les 25 000 points de vente français le prouvent. De plus, selon l’Insee, les habitants des espaces ruraux achètent moins sur internet que les catégories urbaines et aisées, qui disposent, elles, de très bons réseaux de librairies.

Une librairie à Paris – Crédit : Diogo Fagundes

La quasi-gratuité des fais de port n’étant pratiquée par Amazon que sur les livres, le géant du commerce en ligne n’a-t-il pas démontré qu’il cherchait surtout à évincer les plus petits acteurs, à commencer par les libraires indépendants ?

Alors qu’elle a réalisé, en 2020, un chiffre d’affaires de 44 milliards d’euros en Europe, la firme n’a d’ailleurs payé, comme chaque année, aucun impôt sur les sociétés, grâce à divers procédés d’optimisation fiscale. Ce qu’Amazon offre d’un côté en frais de livraison est ainsi récupéré, de l’autre, sur les deniers publics — au détriment des citoyens.   

Enfin, certains craignent que les plates-formes numériques n’ait déjà trouvé des stratagèmes pour s’affranchir de la loi. La députée Michèle Victory (Ardèche, PS) souligne qu’Amazon pourra par exemple « contourner le texte avec les paniers mixtes, dans lesquels le consommateur commanderait beaucoup de choses, dont des livres ».

Le combat est donc loin d’être fini, d’autant que les plus gros acteurs continueront de jouir, quoi qu’il arrive, d’un atout de taille : la rapidité de l’expédition des livres à domicile, que les librairies ne pourront jamais concurrencer.

Augustin Langlade

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