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L’écologue Sandra Lavorel a reçu la médaille d’or du CNRS

Les montagnes, comme les autres sols, ont besoin de stabilité et seuls des systèmes racinaires bien développés par des espèces présentant des morphologies variées sauront résister. Cela protègera la vie des humains.

Sandra Lavorel, ingénieur agronome, docteure en écologie et sciences de l’évolution, est directrice de recherche au CNRS et s’est vu décerner une médaille d’or pour son travail sur le fonctionnement des écosystèmes au sein du laboratoire d’écologie alpine de l’Université Grenoble-Alpes. Son champ d’étude préféré : les Alpes, où elle mime les effets du réchauffement climatique sur les prairies d'altitude.

L’écologie, médaille d’or au CNRS

L’écologie fonctionnelle est son domaine, c’est l’une des disciplines de l’écologie scientifique. La chercheuse étudie les écosystèmes et les services qu’ils prodiguent aux humains. Sa médaille d’or vient consacrer l’importance de cette discipline, et plus largement de l’écologie, au sein du CNRS comme dans les organismes de recherche scientifique. Et c’est une bonne nouvelle.

L’ambition de Sandra Lavorel est de modéliser des écosystèmes complets et d’analyser leurs réactions et leurs adaptations aux évolutions du climat comme aux diverses exploitations humaines.

En effet, un écosystème fonctionne de façon dynamique avec un seul objectif : trouver son propre équilibre. Chaque écosystème remplit une multitude de fonctions qui interagissent sur l’équilibre de l’ensemble. L’humain est une variante qui s’intègre dans cette mécanique du vivant avec plus ou moins de fluidité.

C’est donc à ce qui est utile aux humains que s’intéresse la chercheuse, sachant que ce qui est utile aux humains est parfois inutile ou pire, néfaste à l’écosystème.

« Lorsqu’on parle de pollinisation, c’est facile. Des pollinisateurs diversifiés sont utiles, et même indispensables tant aux humains qu’à l’écosystème. Mais ce n’est plus le cas lorsque les humains pratiquent l’agriculture intensive, car là les besoins sont antagoniques. L’écologie fonctionnelle étudie alors les compromis possibles. » explique Sandra Lavorel pour La Relève et La Peste

Il est clair que l’utilisation de pesticides et la destruction des sols mettent en danger la biodiversité, la survie des pollinisateurs et la pérennité de l’écosystème lui-même.

« À mes yeux, ce qui est particulièrement intéressant, c’est que la compréhension des mécanismes écologiques permet de comprendre pourquoi et dans quelles circonstances il va y avoir des antagonismes. Ainsi, on distingue entre les différentes fonctions et entre ce qui va être bénéfique à la pérennité de l’écosystème ou immédiatement pour l’humain. » détaille l’écologue Sandra Lavorel pour La Relève et La Peste

Patience et diversité : combo gagnant pour les écosystèmes

L’immédiateté et la quantité sont les deux piliers de l’agrochimie et de son inaptitude au renoncement. C’est ce que le philosophe allemand Hartmut Rosa appelle la disponibilité du monde qui conduit à l’hubris destructeur dans lequel est engagée l’humanité, comme le notait le sociologue Bruno Latour.

La recherche de bénéfices immédiats compromet le long terme. Or, Sandra Lavorel assure qu’il est désormais démontré qu’on obtient de meilleurs rendements agricoles et qu’ils sont plus résilients à partir de systèmes diversifiés sur la durée. Et c’est particulièrement important face aux variations climatiques.

« Nous avons maintenant des données qui confirment qu’on aplatit ces variations grâce à la biodiversité, aux rotations des cultures, aux pratiques agroécologiques et qu’on en ressort généralement gagnant. » confirme la directrice de recherches au CNRS Sandra Lavorel pour La Relève et La Peste

Avec une capacité de prévision climatique qui se réduit malgré les progrès techniques et les risques accrus d’épisodes extrêmes, mieux vaut anticiper et rendre les fermes résilientes. Pour les forêts, la problématique est identique. Les plantations d’arbres en monoculture, comme dit le botaniste Francis Hallé, ont une très faible résistance aux variations hydriques et aux attaques de ravageurs, contrairement aux forêts diversifiées.

Au commencement, Sandra Lavorel travaillait sur les mécanismes de coexistence des plantes, et plus précisément sur les caractéristiques des plantes méditerranéennes. Très inspirée par les travaux du botaniste Peter J. Grubb de l’Université de Cambridge qui nous amenait à expliquer la biodiversité par les caractéristiques de reproduction des graines. Les pionniers de l’écologie fonctionnelle avaient un point de vue plutôt physiologique.

« Ce qui nous a intéressé, c’est vraiment la diversité des espèces et à l’intérieur la diversité génétique. Mais au-delà, nous nous intéressons à la vie et à ses caractéristiques comme la taille de la graine ou la teneur en azote d’une feuille, et aux échanges entre les individus. » raconte la docteure en écologie Sandra Lavorel pour La Relève et La Peste

Les écosystèmes dans une dynamique de changement

Sandra Lavorel étudie la nature dans les Alpes où les écosystèmes sont confrontés à des pressions qui entraînent des changements rapides. En effet, les effets du réchauffement du climat sont plus importants en Europe qu’ailleurs dans le monde. Et les zones de montagne, en particulier les Alpes, sont très affectées par ce changement.

Cette spécificité est due à l’altitude et à la climatologie propres aux chaînes montagneuses partout dans le monde. En France, on constate de très fortes modifications des usages des sols sur les 7 à 8 dernières décennies.

Certaines parcelles ont été abandonnées par l’agriculture, faute de productivité, quand l’intensification a été rapide dans les vallées. La production de fromage qui était auparavant l’apanage des montagnards qui faisaient pâturer leurs animaux et les montaient en estive, est pratiquée dans les vallons.

La biodiversité a dû s’adapter aux pratiques touristiques, le ski l’hiver et le VTT l’été, et à l’urbanisation qui y est liée. Se conjuguent alors les pressions des sols et du climat. Les Alpes sont particulièrement riches en biodiversité, bénéficient d’une magnifique diversité géologique et accueillent des écosystèmes très variés.

Certaines plantes remontent en altitude, disparaissent ou réapparaissent faute de bétail, mais aussi à cause des températures trop douces.

Dans les zones qui retenaient la neige tard dans la saison, jusqu’en été, les botanistes observent un début de colonisation par une flore moins spécialiste des zones très froides. Les espèces indigènes généralement installées plus bas commencent à apparaître. Pour les arbres, ces mouvements sont bien entendu très lents et c’est ce qui les met en péril.

Sandra Lavorel, lauréate de la médaille d’or du CNRS 2023, entourée des dispositifs du projet Warm, qui étudie l’effet du changement climatique sur les pelouses alpines. Installés sur le col du Lautaret, à 2 400 m d’altitude, ils réchauffent l’air de quelques degrés par rapport à l’extérieur pour étudier les conséquences sur l’écosystème (production de la biomasse, température et humidité des sols). UMR5553 Laboratoire d’Écologie Alpine

De nouvelles variétés pour un avenir serein

Tester des variétés adaptées à des climats proches de ce vers quoi nous tendons est également une piste explorée par les chercheurs en écologie.

« Notre travail, c’est finalement de partir des idées, des compréhensions de mécanismes qui s’appliquent un peu partout. En réseau, nous lançons des expériences comme dans les prairies de montagne, mais aussi en plaine et dans différentes régions de la France, en Europe et même dans le monde. Nous comparons avec les zones humides, les forêts. » spécifie l’ingénieure agronome Sandra Lavorel pour La Relève et La Peste

Pour l’écologue, point de distinction. Les deux problématiques doivent être étudiées et prises en compte conjointement. Si le climat impacte la biodiversité, l’inverse est vrai, en particulier en matière d’adaptation pour les humains.

« Les prairies diversifiées en montagne vont permettre aux agriculteurs de sécuriser leur production fourragère, car même en année sèche, elles seront moins affectées. Mais surtout, sur plusieurs années, les rendements seront lissés. » précise Sandra Lavorel pour La Relève et La Peste

Les montagnes, comme les autres sols, ont besoin de stabilité et seuls des systèmes racinaires bien développés par des espèces présentant des morphologies variées sauront résister. Cela protègera la vie des humains.

L’écologue réchauffe, assèche ou déneige des parcelles pour observer. Elle s’appuie sur des réseaux de collègues mais aussi sur les habitants, les agriculteurs et les institutions locales. Avec son laboratoire, à la station scientifique du Lautaret, Sandra Lavorel a d’abord mené une simulation de canicule à + 6 °C pour analyser les réponses de la végétation, des sols et du fonctionnement complet du milieu. Aujourd’hui, l’expérimentation porte sur + 2 °C.

Les effets entraînés sont une précocité certaine de la pousse et de la floraison des espèces végétales, avec des variations produites grâce au taux d’humidité. L’observation des micro-organismes des sols est comparée aux travaux réalisés par des collègues de la chercheuse sur des transplantations inter-altitudes. Ils mettent en évidence une modification de la qualité du carbone contenu dans les sols.

Ce carbone se stockerait moins longtemps et « ça, ce n’est pas une bonne nouvelle ! » Quand on dit carbone, il est important de savoir qu’il en existe des formes biochimiques différentes et que les molécules se dégradent plus ou moins vite.

« Et on constate que ce sont les formes à dégradation plus rapide qui sont augmentées par le réchauffement, au détriment des formes à dégradation plus lente. Et ce n’est pas bon pour la régulation du climat. » s’inquiète Sandra Lavorel pour La Relève et La Peste

Un peu d’espoir ?

Un écosystème est un paysage, à ne pas confondre avec une simple parcelle. Et comme c’est dynamique et mue par une vitalité tenace, Sandra Lavorel observe la reconstitution d’écosystèmes sur les espaces dont les glaciers ont disparu. Cette reprise de la vie est plus ou moins rapide. Donc, la restauration écologique est possible à la condition que les humains acceptent de faire partie des écosystèmes sans les piller.

« Il ne s’agit absolument pas de retourner à l’âge des cavernes, comme on l’entend parfois, mais justement, de mieux comprendre le fonctionnement du monde et de choisir une sobriété intelligente. La question n’est pas de s’éclairer à la torche, mais de consommer quand même le moins de ressources possibles et surtout aussi le plus efficacement possible. C’est une question de choisir ce qu’on consomme, de ne consommer que ce dont on a besoin et de ne pas gâcher les ressources, d’apprendre à recycler comme le fait un écosystème. » énumère Sandra Lavorel pour La Relève et La Peste

Espérons que les populations humaines écoutent enfin les résultats de la communauté scientifique pour donner aux écosystèmes le temps et l’espace dont ils ont besoin pour se régénérer.

Sources : Hartmut Rosa – « Rendre le monde indisponible »  – Éditions La Découverte poche – sept. 2023

Isabelle Vauconsant

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