Vous cherchez un média alternatif ? Un média engagé sur l'écologie et l'environnement ? La Relève et la Peste est un média indépendant, sans actionnaire et sans pub.

Léa Brassy : « A l’eau, j’ai vécu des moments de joie intense, d’une pureté à en pleurer »

"Être une femme de la mer est une force qui m’aide à dépasser les difficultés et me donne de l’entrain pour plein d’autres situations. C’est aussi une porte ouverte à davantage de sensibilité car je suis encore plus consciente de la richesse de cet environnement-là. Et quand on se renseigne un peu, on capte à quel point l’Océan est fragile et son équilibre vulnérable."

Surfeuse et waterwoman française, Léa Brassy s'est illustrée en surfant dans les eaux les plus froides du globe. Véritable amoureuse de l’Océan, elle revient pour La Relève et La Peste sur son parcours, ses plus beaux apprentissages à l’eau, et ses luttes pour mieux le préserver. Une personnalité exemplaire par sa simplicité et sa cohérence.

LR&LP : Bonjour Léa Brassy. Pouvez-vous nous raconter votre histoire en quelques mots ? Quel a été votre premier contact avec l’eau ?

Léa Brassy : Mon premier contact avec l’eau s’est fait par les carreaux de la piscine, comme beaucoup d’enfants. Puis j’ai évolué en sports et études natation au collège. J’ai découvert réellement l’Océan sauvage vers l’âge de 12 ans.

A cette même période, nous avons perdu mon père. C’est vraiment l’Océan qui m’a aidée en ouvrant mon horizon sur ce que la nature peut apporter de plus riche à l’humain : sa résilience. Ma personnalité très instinctive et émotive pouvait enfin s’exprimer dans ce milieu hors de tout contrôle humain. Surfer en Normandie toute l’année, c’était assez brut, surtout à l’époque.

L’Océan est devenu tout naturellement un élément nécessaire dans ma vie, comme un compagnon ou un membre de ma famille. Il est devenu indissociable de qui je suis, tous mes choix de vie et d’études se sont faits pour rester proche de lui et garder ce contact privilégié avec la nature sauvage, qu’on a tendance à perdre quand on vit dans des milieux urbains.

Léa Brassy à 12 ans

Les premières vagues de Léa Brassy

LR&LP : Pourquoi avoir décidé de faire du surf plutôt qu’un autre sport maritime comme la voile par exemple ?

Léa Brassy : C’est un hasard de la vie. Je suis arrivée au surf par mon grand frère, qui y était arrivé par un copain du collège dont l’oncle véliplanchiste avait une planche de surf dans le garage. Je pense que j’aurais pu me passionner pour un autre sport aquatique. Là, ce qui comptait c’était le contact épuré avec le naturel et sauvage, cet environnement indomptable qui autorise quelque chose de plus profond, de plus instinctif qu’en société.

Je serais certainement devenue une adulte différente si j’avais évolué dans un autre milieu, avec d’autres exemples et d’autres valeurs. Les passions, les rencontres fortes qui nous inspirent et qui nous marquent, c’est comme cela qu’on se construit, quitte à ne plus penser qu’au surf pendant une période.

Des premières fois marquantes, il y en a eu tout au long de ma carrière. Je n’étais pas exactement douée pour le surf, mais j’étais à l’aise et volontaire. J’étais une adolescente émerveillée par ce monde-là, celui qui se projetait vers l’horizon, sans être dans la technique à proprement parler. J’ai donc progressé à force de pratique, avec une satisfaction mais sans en avoir fait mon objectif. J’ai toujours été tellement hypnotisée par le milieu que j’en oubliais malgré moi la performance.

A l’eau, j’ai vécu des moments de joie intense, d’une pureté à en pleurer, à avoir le cœur qui vibre d’une manière difficilement égalable dans la vie terrestre. C’est la même chose pour les marins et les alpinistes, des gens qui rencontrent des états intérieurs de gratitude extrême envers la nature. Ou comme les yogis qui atteignent un état mental de joie intense.

Les sports de pleine nature ont cette capacité à mener de manière ludique vers un état de pleine conscience, comparable à la méditation.

Être une femme de la mer est une force qui m’aide à dépasser les difficultés et me donne de l’entrain pour plein d’autres situations. C’est aussi une porte ouverte à davantage de sensibilité car je suis encore plus consciente de la richesse de cet environnement-là. Et quand on se renseigne un peu, on capte à quel point l’Océan est fragile et son équilibre vulnérable.

Ce lien à l’Océan est donc une force, mais la sensibilité supplémentaire qu’il induit me submerge parfois, dans le contexte actuel où l’Homme moderne fait la guerre au Vivant. Ce n’est pas si facile à porter de voir sa dégradation à vitesse grand V, cela fait mal et peur…

LR&LP : Depuis vos débuts, avez-vous vu vos spots préférés se dégrader ?

Léa Brassy : Oui, je surfe depuis 25 ans, c’est quand même beaucoup. J’ai vu les choses se dégrader bien entendu, mais le problème ne se constate pas vraiment qu’à l’œil nu. Le pire apparaît quand on dézoome et que l’on comprend toutes les politiques de gestion lobbyistes et court-termistes de l’océan, tout ce qui a trait à l’exploiter davantage et l’utiliser davantage comme poubelle.

Léa Brassy face à l'Océan

Léa Brassy face à l’Océan lors du Surf Tour Bretagne en Octobre 2023 – Crédit : Laurent Masurel

LR&LP : Est-ce pour cela que vous avez décidé de vous opposer au projet de surfpark de St-Jean-de-Luz, une lutte victorieuse que François Verdet raconte dans notre « Guide pour stopper des projets contre nature » ?

Léa Brassy : A l’époque, je voyageais encore beaucoup et même si j’avais participé à la première rame, je n’étais pas suffisamment présente pour faire partie intégrante du mouvement « Rame pour ta planète ». J’ai vu le post sur FB du groupe politique local Herri Berri au sujet du surfpark de St Jean de Luz. Je les ai contactés et vu mon profil, ils m’ont mise en lien avec « Rame pour ta planète ».

Ce projet de surfpark m’a prise aux tripes, cette course au profit allait trop loin en détournant les valeurs de notre communauté locale de surfeurs.

J’ai ressenti le besoin de rendre hommage à ce sport qui m’a tant donné, et d’en réaffirmer les valeurs. Alors je les ai écrites, le soir-même, ça m’a défoulée, et j’ai été soulagée de les voir noir sur blanc, comme un lien très puissant entre nous, quand bien même notre pratique est individuelle. Mon but était d’être pleinement sincère, de témoigner de comment cette relation avec l’Océan amène tant de richesse dans nos vies.

Il se trouve que mes mots ont trouvé écho chez les pratiquants, au-delà de la simple opposition au projet. Ça a été la force de ce texte. Réaffirmer la souveraineté de nos valeurs et refuser qu’elles soient détournées dans un but capitaliste. Montrer que l’on place la nature en premier plan et qu’en aucun cas nous aurions cette arrogance de la manipuler.

Car c’était bien cela qui m’a outré le plus, qu’on prévoit de détourner cette nature généreuse au service du système capitaliste alors qu’elle nous apporte tellement à qui sait la respecter. L’histoire montre que je ne suis pas la seule pour qui l’Océan a ouvert un horizon de résilience.

Cette lettre « Pas en mon nom » a été publiée sur le site, puis c’est allé très vite. De mon côté, je l’ai faite tourner auprès de pas mal de surfeurs, chacun a fait de même, puis il y a eu un effet boule de neige. Les surfeurs se sont retrouvés dedans, plein de monde l’a signée, et cela eu un impact.

Léa Brassy souriante

Léa Brassy, Patagonia Ambassador Summit, Casa Ohana, Rioturbio, Cantabria, Espagne – Crédit : Andrew Burr

LR&LP : Aujourd’hui, quelles sont les menaces qui t’inquiètent le plus pour l’Océan ?

Léa Brassy : A des échelles locales, il y a la ligne THT de 400 000 volts dans les Landes, dont les travaux ont commencé. Il y a aussi la tour des juges pour les JO de Teahupoo, une autre problématique locale qui montre à quel point les décideurs sont encore court-termistes aujourd’hui et comment certains modèles d’excellence riment avec arrogance et s’octroient tous les droits vis-à-vis du Vivant.

Mais il y a aussi des enjeux majeurs bien moins visibles, avec un impact à bien plus grande échelle : l’exploitation minière des fonds marins par exemple, et il est extrêmement difficile de mobiliser les gens sur le sujet car c’est loin des yeux loin du cœur.

Avec Anne-Sophie Roux (activiste qui lutte contre le deep-sea mining et a écrit dans notre livre-journal Océans, ndlr), nous avons lancé le mouvement « Water people against deep sea mining » lors des négociations de juillet dernier. On a essayé de rallier la communauté des usagers de l’Océan des pays décisionnaires dont le positionnement pouvait encore peser dans la balance. Le résultat médiatique a été plus timide que ce que j’aurais cru face à tel sujet.

Un autre sujet global est la surpêche, et notamment le chalutage de fond, car on est sur des rouages invisibles ultra-complexes et bien rôdés, avec des lobbys surpuissants infiltrés dans les plus hautes sphères décisionnelles, et là c’est compliqué.

On n’a pas conscience d’à quel point le système océanique est complexe. Complexe à préserver, facile à dérégler. L’homme moderne se croit toujours plus fort que la nature, son ego et sa cupidité étant sans fin. La nature avait pourtant parfaitement fait les choses.

LR&LP : Pratiques-tu d’autres sports de glisse ?

Léa Brassy : Je fais de l’apnée, de la chasse sous-marine aussi mais de plus en plus de la cueillette sous-marine, avec les algues. Je mange très peu d’animaux mais j’ai pour principe que si je ressens le besoin de manger de la viande et du poisson, j’assume moi-même cette responsabilité de savoir chasser et de le tuer avec la conscience de ce que cela représente dans la vraie vie.

J’aime beaucoup l’approche de l’apnée car elle invite à être seul à seul avec l’Océan. Il ne faut pas s’attendre tout de suite à être dans « la petite sirène », on voit peu d’animaux au début. Il y a besoin de quelques apprentissages pour se stabiliser au fond suffisamment longtemps pour que des poissons s’approchent. On ne peut pas tricher, il faut fournir un effort et s’acclimater. Il se passe alors quelque chose d’assez animal en soi-même. J’ai vu des débutants en apnée lâcher tous les faux-semblants, et s’en trouver soulagés. L’apnée est un voyage intérieur dans un milieu inconnu mais bienveillant.

Léa Brassy en apnée

Léa Brassy lors d’une excursion en apnée à Talamone – Crédit : Lars Jacobsen

Les rencontres avec les animaux marins constituent mes plus beaux souvenirs.

Parmi elles, aux Glénan, dans les algues et à la surface, un phoque s’est approché de moi jusqu’à créer un contact avec ses nageoires pectorales. Il jouait avec mes mains, et il me fixait avec un regard très perçant, très présent, très familier. Moment de jeu certes, mais avec une profondeur émouvante, l’intensité de son regard m’a fait ressentir que l’on est faits de la même nature.

J’ai vécu plusieurs moments comme celui-ci avec différents animaux marins, et bien que je n’aie jamais pensé l’inverse, ces rencontres ont renforcé mon sentiment de faire partie d’une seule et même famille, celle du Vivant.

Grâce à une telle présence, face à un tel regard, je me sens en présence de la Vie, cela replace la nature au centre, remet les choses en perspective, fait descendre l’homme de son piédestal. J’ai personnellement un malaise avec l’idée de l’Homme comme espèce supérieure.

Ces rencontres maritimes m’apaisent, je sens vraiment dans mon cœur que le monde auquel j’appartiens est beaucoup plus vaste que celui des humains.

LR&LP : Quels conseils donneriez-vous aux gens qui découvrent l’Océan pour le faire de façon respectueuse ?

Léa Brassy : Cela dépend des attirances et des capacités physiques de chacun, mais d’une manière générale, poser le téléphone est une première étape essentielle à mes yeux, dans le sens d’être pleinement présent au moment. On veut parfois immortaliser une scène, un moment, avant-même de l’avoir vécu. Ou bien on est préoccupé par le monde parallèle qui se joue sur nos écrans. En résultat, on vit l’expérience avec un biais, un décalage, un détachement, on n’y est pas vraiment.

Être là, présent à 100%, ressentir et se laisser submerger par l’expérience avant de la qualifier, de la mettre en mots ou en images, de la partager. Apprendre à s’écarter un peu de tout ce qui a détourne notre attention de la rencontre avec l’élément Océan.

Je pense également que l’Océan nous procure une énergie et une joie qui sont motrices. Cet élan dont bénéficie les usagers de de l’Océan, nous fait porter la responsabilité d’en utiliser une partie pour le défendre, le protéger, pour faire entendre nos voix dans les luttes qui ont du sens pour ne pas aggraver totalement la situation pour les Océans.

Prenons conscience des bienfaits de l’Océan sur nos vies. Nous en ressortons nettoyés, ressourcés et grandis. Il rentre dans l’équation de notre bonheur en nous procurant de la joie. C’est naturellement que nous avons la responsabilité de réinvestir une partie de cette énergie à sa protection et à son service, sans plus de raison que celle de remercier celui qui nous fait du bien, l’Océan.

Laurie Debove

Faire un don
"Le plus souvent, les gens renoncent à leur pouvoir car ils pensent qu'il n'en ont pas"

Votre soutien compte plus que tout

Découvrez Océans, un livre puissant qui va vous émerveiller

Plongez en immersion avec les plus grands scientifiques pour tout comprendre sur l’état de nos océans. Des études encore jamais publiées vous feront prendre conscience de l’incroyable beauté de nos océans. Tout cela pour vous émerveiller et vous donner une dose d’inspiration positive.

Après une année de travail, nous avons réalisé l’un des plus beaux ouvrage tant sur le fond que sur la forme. 

Articles sur le même thème

Revenir au thème

Pour vous informer librement, faites partie de nos 80 000 abonnés.
Deux emails par semaine.

Conçu pour vous éveiller et vous donner les clés pour agir au quotidien.

Les informations recueillies sont confidentielles et conservées en toute sécurité. Désabonnez-vous rapidement.

^