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L’Australie veut abattre 9000 chevaux sauvages, devenus invasifs

Le déplacement des espèces invasives est facilité avant tout par le commerce international et le tourisme qui représentent le paradigme de notre mode de vie mondialisé.

Kosciuszko, Parc national. Nouvelle-Galles du Sud 2627, Australie. Ce territoire est actuellement au cœur des débats. En effet, depuis début octobre, un plan d’abattage massif de chevaux sauvages nommés brumbies est soumis à consultation par le gouvernement. Cette espèce dite invasive descend directement des équidés arrivés sur le continent lors des premières vagues de colonisation européennes. Du fait de cet aspect exogène, ils sont peu populaires et représentent une menace pour les écosystèmes endémiques.

Des chevaux « invasifs »

Amorcée depuis 2019 puis bloquée par plusieurs recours en justice, la campagne très controversée d’abattage des chevaux brumbies par des professionnels semble en voie d’être appliquée. En pleine expansion (de 2300 à 5000 individus entre 2014 et 2019), ils sont accusés de représenter une menace pour les écosystèmes fragilisés par leur alimentation et la dureté de leurs sabots.

Le continent insulaire ne compte en effet aucun mammifère indigène avec des sabots durs.

Ce plan établi sur dix ans est accueilli favorablement par les scientifiques et le potentiel massacre de plusieurs dizaines de milliers de chevaux ne semble pas émouvoir la communauté.

Déjà victimes d’une action similaire à grande échelle dans l’Outback Australien en 2013, le parc national Kosciusko prévoit de tuer 9000 chevaux sur 14 000 en six ans pour atteindre ensuite le nombre final de 3000 en 2027.

Ainsi à la date échéante, ils n’occuperaient plus qu’un tiers du parc national.

En sus, il existe bien quelques organisations de relogement pour les brumbies qui ont été capturés. Malheureusement la plupart des demandes d’adoption par les particuliers restent sans réponse par manque logistique.

Pour certains, la mesure ne va pas assez loin. Dans une lettre adressée aux autorités, 69 scientifiques de l’Australian Academy of Science écrivent leur mécontentement. Selon eux, le Parc de Kosciusko déjà grandement fragilisé par les épisodes de sécheresse et plusieurs grands feux de brousse ne pourra pas supporter le surpâturage des 3000 chevaux sauvages restants.

Une éradication pure et simple de de cette race leur semble constituer la réponse la plus appropriée.

Jument brumby et son poulain – Crédit : Tina

Pour d’autres, comme l’Association Australian Brumby Alliance (ABA), il est inconcevable que la seule solution apportée à un problème causé directement par l’Homme soit de tuer sans négociation.

Depuis 2019, les membres d’ABA tentent d’empêcher la capture, l’abattage ou toute forme d’intervention. Jill Pickering (Présidente de l’Association) plaide en faveur de « solutions de relocalisation humaines de long terme ».

Dans un communiqué, l’Association dénonce les méthodes cruelles du parc Victoria ne respectant pas les procédures standard pour le tir des chevaux sauvages. Comme par exemple l’exécution de juments mères de poulains non sevrés. Faute de pouvoir se sustenter, ces derniers meurent alors à petit feu.

De plus, les abattages prévus par voie aérienne relèvent d’actes barbares dans la mesure où les chevaux se videraient de leur sang pendant plusieurs jours. Le groupe ABA a eu recours à la FOI (Freedom of information) afin de vérifier les informations sur lesquelles s’appuie le parc Victoria en vue de cette campagne. Elles n’existeraient visiblement pas.

Le débat qui se cristallise autour des brumbies soulève plusieurs questionnements et problématiques : remonter aux causes qui favorisent la propagation d’espèces invasives à travers le globe ou encore notre besoin de contrôle sur une nature en perpétuel mouvement et dont la vision immaculée, originelle nous empêche d’envisager de possibles changements.

Brumbies et Kangourous – Crédit : Alan

Bref historique des espèces invasives

Une invasion biologique relève le plus souvent d’une introduction d’espèce réalisée par l’Homme, qu’elle soit volontaire ou non. On dénombre une dizaine de milliers de groupes vivants non indigènes en tout genre comme des plantes, des animaux, des champignons ou encore des microbes, qu’ils soient terrestres ou aquatiques, à travers le monde.

Hors de leur environnement, la plupart d’entre eux se retrouvent sans prédateurs pour les réguler et entrent ainsi en compétition directe avec les autres êtres vivants locaux afin de s’approprier les ressources disponibles. Ils peuvent ainsi modifier complètement les écosystèmes endémiques d’un territoire.

De plus, certains de ces individus opportunistes sont en mesure de s’alimenter de tout et s’adaptent à tous types d’habitats, même si ces derniers sont dégradés.

Le déplacement des espèces invasives est facilité avant tout par le commerce international et le tourisme qui représentent le paradigme de notre mode de vie mondialisé.

D’autre part, le réchauffement climatique expose certaines régions à un environnement climatique extrême qui fragilise les populations locales et favorise les espèces exotiques. On peut citer, entre autres, le frelon asiatique qui a colonisé une bonne partie de la France et décimé les ruches. Ou encore, le moustique tigre, installé dans le sud de la France et qui peut être vecteur de virus mortel comme la dengue, le chikungunya ou encore le zika.

Lire aussi : Les hirondelles sont des alliées indispensables pour lutter contre la prolifération des moustiques tigres

Si l’on se réfère au congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature, 66 espèces seulement seraient répertoriées comme préoccupantes en Europe alors que la réalité se rapprocherait de 400 voire de 500 espèces.

L’une des difficultés que rencontreraient les chercheurs pour quantifier leurs réels impacts sur l’environnement serait que ceux-ci sont aussi nombreux qu’il en existe de conséquences.

Une majorité de chercheurs tente d’alarmer depuis plusieurs années les ravages de ces espèces sans jamais être vraiment prise au sérieux. Afin d’être entendus, ils ont mis en avant l’argument économique à travers les pertes financières qui en résulteront.

Leur bilan est sans appel, tous les secteurs seront touchés : agriculture, tourisme, foresterie, pêcherie ou encore immobilier. Pour en arriver à ces conclusions, écologistes, chercheurs et économistes ont travaillé pendant cinq ans main dans la main pour aboutir à la somme de :

1288 milliards de dollars de perte entre 1970 et 2017 serait due aux espèces invasives.

Plusieurs solutions existent afin d’endiguer ce problème. Parmi elles, la biosécurité dans les aéroports qui consiste à détecter les individus exogènes avant leur entrée sur un territoire.

Il y aussi l’imagerie hyperspectrale, en cours de développement, qui permet l’obtention d’images du visible à l’infrarouge. Ce système placé sur un avion détecte la signature spectrale d’une entité invasive qui se différencie de celles indigènes. Cette procédure facilite la cartographie et permet d’agir plus facilement que l’observation de terrain.

Le métabarcoding utilisé dans les océans permet, quant à lui, d’identifier les êtres vivants en séquençant leur ADN. Après analyse des échantillons récoltés, il est possible de différencier sans ambiguïté deux groupes similaires dont l’un sera natif et l’autre exotique.

Enfin, dresser le portrait de chaque espèce invasive permet aux chercheurs d’évaluer qu’elles pourraient être les prochaines à envahir une région.

Malgré toutes ces pistes, la réponse la plus souvent apportée est celle de la destruction pure et simple des individus invasifs.

On pourrait appeler cela une solution d’urgence, à l’image de notre société consumériste et capitaliste. Ce qui ne nous convient pas, nous dérange, on le jette sans questionnement moral et éthique.

En fin de compte, on traite alors les conséquences et non les causes du problème qui est ici en majeure partie le déplacement des gens et des marchandises à travers le monde.

A l’instar de la Covid, les solutions mises en place sont avant tout imaginées pour protéger le capitalisme et non notre bien commun qui est le vivant. De plus, si l’on pousse la réflexion un peu plus loin que se cache-t-il sous la notion d’espèce invasive si ce n’est une volonté de contrôle total sur la nature ?

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Sortir d’une vision manichéenne

Les conséquences de telles « intrusions » ont des aspects positifs et négatifs, même si nous avons tendance à nous focaliser sur la face négative de ce phénomène. Par exemple, l’invasion en Europe du cerisier tardif originaire d’Amérique du Nord rentre en compétition avec les arbres natifs au même titre qu’il protège ces derniers du hanneton forestier.

On peut encore citer le cas du Crépidule, un mollusque de la côte Est des Etats-Unis qui a envahi l’Atlantique et la Manche. D’un côté, sa présence favorise l’eutrophisation des eaux et menace ainsi directement certaines espèces marines. De l’autre, il permet l’arrivée de nouvelles espèces par le biais de sa coquille qui sert de moyen de transport. De ce fait, il permet une augmentation de la biodiversité locale.

Mis à part des cas extrêmes comme les invasions insulaires, la question de l’intrusion est complexe.

Il est évident que lorsque l’espèce invasive est un pathogène potentiellement mortel ou qu’elle met radicalement en danger d’autres espèces, les solutions évoquées plus haut s’imposent et doivent être appliquées à grande échelle.

D’un autre côté, ne seraient-elles pas aussi une réponse d’ajustement de la nature face aux changements opérés par l’Homme sur son environnement ?

Ici, la notion de contrôle prend tout son sens. Ce dernier peut être préventif ou destructif dans sa volonté de maîtriser le mouvement naturel de certaines espèces à se multiplier. Par exemple, en Australie, des pédiluves sont installés dans certains espaces naturels pour limiter la propagation d’un champignon parasite connu sous le nom de phytophthora.

Mais l’Homme lui-même ne modélise-t-il pas son environnement depuis des millénaires ? Son impact sur son environnement dessine l’espace dans lequel il se meut depuis qu’il existe. N’y a-t-il pas dans cette volonté de contrôler les « invasifs » une forme de fantasme occidental qui serait fondé sur l’idée une nature immaculée, intègre que ces dernières viendraient perturber ?

Lire aussi : Les humains ont façonné la majeure partie de leur environnement depuis au moins 12 000 ans, de manière durable

Pourtant ce changement, ces invasions, ces hybridations d’espèces peuvent constituer une réponse positive du vivant aux perturbations dont l’homme contribue au quotidien.

Les chevaux brumbies ne sont par voie de conséquence qu’un mince exemple parmi tant d’autres de ce que l’on nomme une espèce invasive. Ce que nous avons évoqué le long de cet article met en avant la complexité du problème face à la seule réponse de l’abattage pur d’individus qui se sont retrouvés hors leur territoire à cause de l’activité humaine.

Ces derniers bénéficient d’une adaptabilité remarquable aux changements environnementaux. Ils sont le fruit de la modélisation que l’Homme a donnée au monde à travers ses activités millénaires. Il est grand temps de sortir de cette conception d’une nature pure et de reconsidérer la présence des êtres vivants en les situant dans une perspective d’avenir commun en perpétuel mouvement.

Liza Tourman

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