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Nuées de criquets pèlerins : espèces invasives et crise climatique, un phénomène en puissance

Les invasions biologiques de plantes, d’insectes ou d’animaux, deuxième cause d’extinction des espèces, sont favorisées par la crise climatique.

Des nuées composées de millions de criquets pèlerins s’abattent en ce moment sur les pays de la Corne de l’Afrique. Dans la crainte d’un désastre alimentaire imminent, l’Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation a réclamé une aide internationale d’urgence. Les proliférations d’espèces invasives de ce type, qu’on soupçonne d’être provoqués par le changement climatique, pourraient bien se multiplier à l’avenir.

L’Afrique, frappée par une invasion de criquets

Depuis décembre dernier, la Corne de l’Afrique est envahie par des essaims gigantesques de criquets pèlerins, qui dévastent les ressources alimentaires et mettent en danger de famine les populations rurales. À l’est de l’Afrique, en Éthiopie, en Somalie, au Kenya et jusqu’au Yémen, ces nuées de criquets frappent des régions qui font partie des plus pauvres du monde et qui sont pour la plupart exclusivement dépendantes de l’élevage de bétail et de l’agriculture.

Capable de dévorer la nourriture de 35 000 personnes en un jour, chaque colonie est composée de centaines de milliers, voire de millions de criquets, qui se déplacent à une vitesse de 100 à 150 kilomètres par jour, à la recherche de territoires où ils pourront se nourrir et se reproduire. Quand il fait halte, un criquet se met à engloutir chaque jour l’équivalent de son propre poids, environ deux grammes, avant de pondre des œufs (jusqu’à 300 par individu) et de s’envoler vers de nouvelles régions.  

Ravageant les récoltes et les pâturages, parfois quelques minutes après s’être posés, les essaims de criquets affament le bétail, dont la disparition affame à son tour les hommes, privés de viande et de produits laitiers. Face à un tel fléau, les populations sont tout simplement impuissantes, puisqu’elles ne disposent pas d’insecticides ou d’autres moyens de contrecarrer radicalement la prolifération de la pire espèce de criquets qui soit.

Si aucune mesure n’est prise dans l’urgence, avertit l’ONU, ces essaims risquent de se multiplier par 500 d’ici le mois de juin et de provoquer une famine d’une ampleur inédite dans plusieurs pays.

En Éthiopie, comme par une fatalité, ils se déplacent résolument vers le sud, où se trouve précisément la vallée du Rift, le grenier du pays.

Criquets au sol, le 22.01.2020 au village Lerata dans la Région Samburu
Photo de TONY KARUMBA / AFP

La prolifération des espèces invasives

La prolifération exponentielle de cette espèce invasive pourrait être la conséquence lointaine des variations extrêmes qu’a connues le dipôle de l’océan Indien, qu’on sait déjà à l’origine des incendies terribles qui ont dévasté et dévastent encore l’Australie.

Le dipôle est un phénomène d’oscillation des températures à la surface de l’océan, bouleversant les conditions atmosphériques. En temps normal, le dipôle est neutre et les eaux sont alors plus chaudes à l’est de l’océan, vers l’Asie et plus froides à l’ouest, sur les côtes africaines. Toutefois, en 2019, le dipôle a connu une « phase positive » d’une intensité jamais mesurée et les températures se sont inversées, devenant anormalement chaudes à l’ouest et froides à l’est.

Conséquences : des pluies torrentielles en Afrique, une sécheresse chronique en Australie, comme l’expliquent le climatologue Éric Guilyardi et le météorologue Étienne Kapikian au journal Le Monde. Ainsi, les pluies diluviennes et les inondations de décembre, suivies de périodes très sèches, ont favorisé les conditions de reproduction des essaims géants qui se déplacent aujourd’hui en Afrique de l’Est.

Mais ce qu’il y a de nouveau dans cette analyse, c’est qu’elle nous permet de comprendre le lien étroit qui unit les incendies australiens et les nuées de criquets en Afrique, à travers les variations du dipôle de l’océan Indien. Ces anomalies sont-elles provoquées par la crise climatique ? La question, encore très peu étudiée, reste en suspens. Tout ce qu’on peut dire, c’est que le dipôle positif de 2019 est le plus puissant jamais observé par les climatologues depuis les premiers relevés, il y a trente-cinq ans.

Crédit : Cody Chan

Par ailleurs, les invasions biologiques de plantes, d’insectes ou d’animaux, deuxième cause d’extinction des espèces, sont favorisées par la crise climatique, comme l’indique une étude de l’université de Harvard sur les plantes des forêts de Nouvelle Angleterre, ou encore un rapport du Programme mondial sur les espèces envahissantes (GISP).

D’une capacité d’adaptation bien supérieure à la normale, les espèces invasives sont capables de transformer très rapidement leur physiologie ou leurs modes de fonctionnement afin de tirer parti des changements climatiques. Les plantes proliférantes, notent par exemple les chercheurs de Harvard, savent mieux modifier leurs dates de germination, de floraison et de fructification que les espèces dites natives qui, elles, subissent de plein fouet les bouleversements du climat et se retrouvent dominées par les premières.

Il semble qu’il en aille de même pour les espèces envahissantes d’insectes et d’animaux : flexibles, résistantes, elles se rendent maîtres d’un environnement, qu’elles colonisent plus vite avant de s’en prendre à toutes les espèces concurrentes. C’est le cas du frelon asiatique, bien connu dans les campagnes françaises parce qu’il décime les populations d’abeilles ; de la fourmi d’Argentine, qui se répand en Europe en formant des « super-colonies » sur un mode de collaboration unique ; des méduses dans tous les océans ou des pieuvres au large des côtes australiennes.

Une étude publiée dans le magazine Science le 31 mars 2017 montre que la moitié des espèces mondiales connaissent aujourd’hui une « redistribution » de leurs populations ; autrement dit, elles se déplacent sous l’effet du changement climatique. Dans la même perspective, la prolifération d’espèces invasives dans des territoires qu’elles n’occupaient pas est une conséquence directe et inéluctable du processus de mondialisation : en témoignent la pyrale du buis originaire d’Asie, la bactérie « tueuse d’oliviers » qui sévit dans les Pouilles et provient d’Amérique centrale, le moustique tigre ou encore le ver de terre géant qui alarme les autorités françaises depuis une vingtaine d’années.

On peut donc s’attendre à voir ces phénomènes se multiplier durant les prochaines décennies.

Augustin Langlade

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