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La magnifique baie de Saint-Brieuc sous la menace d’un méga projet de parc éolien offshore

L’objet de la discorde est un méga-projet de parc éolien offshore : d’ici 2023, si rien n’est fait, 62 mâts de 207 mètres de haut (la taille de la tour Montparnasse) quadrilleront une surface maritime de quelque 100 km² au large du cap d’Erquy, transformant cette baie préservée en usine à ciel ouvert.

Le 9 août, Sea Shepherd annonçait le lancement de son opération « Les Vents de la Colère ». Vidéos, actions coups de poing, recours en justice : depuis maintenant trois semaines, l’association de défense des océans multiplie les manœuvres contre le méga-projet de parc éolien en baie de Saint-Brieuc. Chronique d’un désastre qui aurait pu être évité.

Gisement exceptionnel de coquilles Saint-Jacques, plus grande réserve marine de Bretagne et site majeur de reproduction d’oiseaux marins, la baie de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor, est le théâtre d’un affrontement incompréhensible, et pourtant digne des temps que nous traversons.   

L’objet de la discorde est un méga-projet de parc éolien offshore : d’ici 2023, si rien n’est fait, 62 mâts de 207 mètres de haut (la taille de la tour Montparnasse) quadrilleront une surface maritime de quelque 100 km² au large du cap d’Erquy, transformant cette baie préservée en usine à ciel ouvert.  

D’un coût de 2,5 milliards d’euros, l’opération autorisée sous la présidence de Nicolas Sarkozy est portée par Ailes marines, filiale française du groupe espagnol Iberdrola, l’un des leaders mondiaux des énergies renouvelables.  

Lire aussi : « Côtes-d’Armor : les pêcheurs en guerre contre le méga-parc éolien offshore »

Dans les cartons depuis une dizaine d’années, le parc éolien n’a d’abord suscité qu’une opposition larvée, surtout de la part des pêcheurs, ou de certains observateurs avertis. Mais l’imminence des travaux, au mois d’avril dernier, a précipité la mobilisation. 

Dans la nuit du 24 avril, un cocktail molotov est lancé sur le chantier de raccordement de la plage de Caroual, à Erquy. Cinq jours plus tard, un esclandre a lieu dans un bassin du port du Légué, à Saint-Brieuc, durant lequel un vigile tombe à l’eau. 

Crédit photo : Jimi Knigthley

Le 3 mai, au petit matin, alors que les travaux doivent débuter dans la journée, plusieurs centaines de pêcheurs tentent de bloquer les navires d’Ailes marines en route vers le site. C’est peine perdue : en début d’après-midi, l’Aeolus, un paquebot hollandais de 140 mètres de long pouvant se transformer en plate-forme de forage, s’est déjà installé dans la baie. Enfin, le 7 mai, pour alerter l’opinion publique, 70 bateaux entourent le paquebot-foreur. Provenant de Saint-Malo, Cancale, Paimpol et même de Normandie, les pêcheurs passent une heure à tirer des fusées de détresse, surveillés de près par la Marine nationale.

Inquiets pour la biodiversité, à laquelle sont conditionnés des centaines d’emplois locaux et toute une tradition halieutique, les pêcheurs costarmoricains ont plusieurs fois demandé au gouvernement d’annuler le projet. En vain. Dans une lettre adressée à deux ministres, le président du Comité de la pêche des Côtes-d’Armor, Alain Coudray, a accusé l’État de minimiser l’impact d’un parc éolien constituant pour lui « une déclaration de guerre » à sa profession.

Le comité explique que la présence de 62 éoliennes dans la baie aura des conséquences inévitables, à long terme, sur « la Saint-Jacques, l’amande de mer, la praire, le homard ou les seiches ». À court terme, les travaux gêneront les pêcheurs et pollueront sans doute les eaux. Sans parler du paysage, à jamais balafré par les éoliennes.  Le 10 mai, le gouvernement se déclare « déterminé » à achever une usine « nécessaire » à la transition. Un mois plus tard, comme pour donner raison aux pêcheurs, une nappe d’huile de 16 km de long sur près de 3 km de large s’échappe de l’Aeolus au cours d’un forage, contraignant celui-ci à retourner à son port d’attache, aux Pays-Bas.   

De là au début du mois d’août, deux nouvelles pollutions à l’huile ont été signalées et aucun forage n’a encore pu être finalisé. Les roches des fonds de la baie étant parmi les plus dures d’Europe, le sol résiste à tous les assauts mécaniques. Trois têtes de forage s’y sont brisées, pour l’instant.    

Lire aussi : « EDF bafoue les droits des peuples autochtones avec un méga-parc éolien au Mexique »

Le 9 août marque l’entrée en scène d’un poids lourd du milieu environnementaliste. Ce jour-là, Sea Shepherd lance son opération « Les Vents de la Colère », destinée à alerter la population sur une « aberration écologique » et contraindre le gouvernement à faire machine arrière. 

Embarqués sur deux bateaux, huit activistes ont ainsi mouillé dans le port de Saint-Brieuc pour au moins trois semaines. Ils se joignent aux pêcheurs, à d’autres associations et aux riverains de plus en plus alarmés par les conséquences du chantier. 

Sea Shepherd dénonce, en particulier, l’existence de deux zones Natura 2000 de part et d’autres de l’usine. Ce statut de protection aurait dû justifier une extrême prudence de la part de l’État. Celui-ci a pourtant accordé à Iberdrola 59 dérogations à l’interdiction de porter atteinte à des espèces protégées — 54 d’oiseaux marins, quatre de dauphins, une de phoques — ainsi qu’à leur habitat. 

Certaines de ces espèces sont en danger critique d’extinction. C’est le cas du puffin des Baléares, un oiseau marin jouissant en France d’un plan national d’action. Selon le bureau d’études missionné par l’opérateur espagnol, la survie des populations d’autres espèces, comme le pingouin torda et guillemot de troil, ne serait pas même assurée. 

 

Lire aussi : « Hérault : un collectif se bat pour la démolition de 7 éoliennes dangereuses pour la biodiversité »

Jugeant ces dérogations illégales, Sea Shepherd France compte déposer, dans les jours qui viennent, un recours devant le Conseil d’État, seule institution pouvant désormais statuer sur les contentieux relatifs aux énergies renouvelables marines (EMR), depuis la loi « Asap » du 7 décembre 2020. 

La position de l’association semble rejoindre celle du Conseil national de la protection de la nature, dans un avis rendu le 6 juillet dernier sur « le développement de l’énergie offshore en France et ses impacts »

« L’objectif de la Commission européenne qui pourrait se traduire par l’équivalent de 34 000 éoliennes offshore en 2050 dont 7 100 pour la France semble clairement incompatible avec la survie de nombreuses espèces d’oiseaux marins », écrit l’instance d’expertise, qui estime que les parcs éoliens au sein ou à proximité des zones Natura 2000 sont particulièrement dangereux pour la faune.  

En attendant de déposer son recours, Sea Shepherd a réalisé plusieurs vidéos de sensibilisation. Accompagnés d’un pêcheur professionnel, les militants se sont par exemple approchés de la plate-forme Aeolus au cours d’un forage, afin de montrer, à l’aide d’une caméra plongée dans l’eau, le bruit assourdissant que ces travaux font subir aux animaux sous-marins.    

Nuisances sonores, pollutions industrielles, vibrations et champs électromagnétiques perturbant les poissons, pâles meurtrières pour les oiseaux, « effet barrière » de l’usine sur les migrations : les raisons de refuser le parc de Saint-Brieuc sont légion, tout comme pour les projets de Fécamp, Dunkerque, Belle-Île, Oléron…

Ces opérations industrielles « présentent des menaces similaires pour des espèces marines vulnérables, s’alarme Sea Shepherd dans un communiqué, et il n’existe à ce jour aucune prise en compte des effets cumulés des différents projets sur les espèces protégées et en particulier sur les espèces migratrices. »

D’autres recours juridiques ont été déposés par des pêcheurs et des associations auprès des institutions européennes. Ils sont en cours d’examen. La justice française s’étant montrée jusqu’ici sourde aux arguments des opposants, c’est en l’Union européenne que résident les derniers espoirs. Sans l’intervention de la justice, les éoliennes tourneront pendant vingt ans en baie de Saint-Brieuc, puis laisseront derrière elles, pour des décennies, une friche industrielle de béton et d’acier. 

Augustin Langlade

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