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La loi sécurité globale veut banaliser la vidéosurveillance par hélicoptère

« C’est un cas typique de militarisation de l’espace public, commente Martin Drago. Les boules optroniques, comme les drones, sont des outils d’abord utilisés dans des zones de guerre, qu’on importe ensuite dans les zones de paix, surtout les villes. Tout l’objet de notre campagne Technopolice consiste à dénoncer ces usages de plus en plus fréquents. »

Mardi 16 mars 2021, le Sénat entame l’examen en première lecture de la loi « sécurité globale », un texte controversé se proposant de renforcer la surveillance de la population, notamment dans le domaine des nouvelles technologies. À cette occasion, La Quadrature du Net, une association de défense les libertés dans l’environnement numérique, s’est intéressée aux hélicoptères de la gendarmerie nationale, sur lesquels sont embarquées des « capacités d’espionnage bien supérieures à celles des drones ».

Loi sécurité globale, une loi polémique

Déposée en octobre par les députés Jean-Michel Fauvergue (ancien patron du RAID) et Alice Thourot (LREM), ardemment défendue par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, la proposition de loi de « sécurité globale » a été adoptée par l’Assemblée nationale le 24 novembre dernier, en plein milieu du second confinement.

Elle doit encore être débattue dans les deux chambres du Parlement ; mais à l’exception de quelques détails, son destin semble tracé. Bientôt, ce texte comportant une multitude de mesures sécuritaires entrera dans la législation. 

La loi « sécurité globale », ce sont trente-deux articles volontiers qualifiés de « fourre-tout ». On y trouve pêle-mêle des dispositions sur les outils de surveillance (caméras piétons ou fixes, drones, réseaux de collecte des données…), la protection des forces de l’ordre, l’encadrement des sociétés de sécurité privées ou encore une réforme de la police municipale.

L’article 21, par exemple, autorise les policiers à s’équiper de caméras mobiles reliées en temps réel au ministère de l’Intérieur, là où l’article 22 compte légaliser la surveillance par drone. D’autres articles élargissent la vidéosurveillance fixe, facilitent le transfert d’images de halls d’immeuble jusqu’aux serveurs de la police, ou donnent la possibilité, aux collectivités, de mettre en commun leurs systèmes de surveillance.  

Mais c’est sur l’article 24 que se sont concentrées les controverses des mois passés. Celui-là prévoit de pénaliser la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme en intervention lorsque celle-ci a pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique ».

Autrement dit, les images de violences policières, qui servent souvent de protection aux manifestants et sont une source d’information cruciale pour les journalistes, seront dorénavant frappées d’illégalité, tout comme l’acte de filmer lui-même.

Le flou juridique autour des hélicoptères

S’il est à prendre en compte, l’article 24 est pourtant l’arbre qui cache la forêt. C’est du moins la position de l’association La Quadrature du Net, qui a consacré une analyse récente à une autre disposition, complètement ignorée : le matériel de surveillance embarqué sur les hélicoptères de la gendarmerie, que l’article 22 de la loi « sécurité globale » entend légaliser.

En résumé, dans plusieurs situations énumérées par la loi, comme les rassemblements de personnes, aux abords d’installations publiques, ou pour réguler flux de transport, les vidéos tournées par drone ou hélicoptère pourront être diffusées en direct dans la salle de commandement du dispositif de maintien de l’ordre et conservées trente jours (ou plus, si une enquête est ouverte).

« Pendant le premier confinement, la police et la gendarmerie ont déployé des drones pour surveiller le respect des mesures sanitaires, nous explique Martin Drago, juriste à la Quadrature du Net. Nous avons alors remarqué que l’usage de ces machines n’était régi par aucun cadre juridique, à la différence de la vidéosurveillance fixe, critiquable, mais légale. La police pouvait faire ce qu’elle voulait avec les images. »

La Quadrature du Net a engagé deux contentieux au Conseil d’État, qui a fini par interdire la surveillance par drones du confinement et des manifestations, par deux décisions de mai et décembre derniers. 

« Après cela, nous nous sommes dit : et les hélicoptères ? continue Martin Drago. Personne ne semblait avoir travaillé sur ce sujet, pas même la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). On ne trouvait que des articles de la gendarmerie, mais aucun encadrement légal, aucun débat. »

Dès 2000-2001, une question écrite au Sénat parle de « programmes d’équipements ambitieux » comportant des « caméras vidéo thermiques embarquées » sur les hélicoptères de la gendarmerie. Depuis vingt ans, celle-ci est donc en mesure d’enregistrer des images de la voie publique sans que le traitement des données personnelles n’ait fait l’objet du moindre débat public.

Un hélicoptère de la gendarmerie national française en vol, au dessus du lac blanc, massif des vosges, France – Source

Un arsenal aérien de vidéosurveillance

Ces instruments de surveillance se sont bien entendu modernisés. Depuis au moins 2010, indique la Quadrature, la gendarmerie est équipée de « systèmes optroniques aéroportés » : ces boules à 360° sont capables, par exemple, de zoomer sur une plaque d’immatriculation à un kilomètre de distance, d’identifier des personnes et des véhicules de jour comme de nuit, de suivre automatiquement un objectif et de retransmettre au ministère de l’Intérieur, en direct, des images d’une qualité digne des meilleures caméras au sol.

« C’est un cas typique de militarisation de l’espace public, commente Martin Drago. Les boules optroniques, comme les drones, sont des outils d’abord utilisés dans des zones de guerre, qu’on importe ensuite dans les zones de paix, surtout les villes. Tout l’objet de notre campagne Technopolice consiste à dénoncer ces usages de plus en plus fréquents. »

S’il est permis à la gendarmerie de s’équiper de matériel de guerre, une fois que les caméras ont capté des images de l’environnement public, c’est l’inconnu. On sort de tout cadre légal. Que deviennent les données collectées ? Qui les traite, les conserve, y a accès ? Et la vie privée ? Les gens sont-ils informés qu’on les filme ?

« Voilà vingt ans que la police et la gendarmerie nous surveillent en toute illégalité avec des hélicoptères, nous indique notre interlocuteur. Et personne ne s’est pressé de leur rappeler le droit. Pourtant, ce non-encadrement est bien connu des services de l’État et du Parlement. »  

Dans un document enregistré le 5 novembre 2020 à l’Assemblée nationale, les rapporteurs de la loi « sécurité globale », Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, reconnaissent eux-mêmes qu’il n’existe pas encore « de cadre juridique législatif encadrant l’usage [des] caméras aéroportées par les autorités publiques ».

Avouant à demi-mot que les forces de l’ordre ont profité de ce vide juridique pendant deux décennies, les parlementaires proposent donc de légaliser à postériori la captation d’images par les aéronefs, catégorie comprenant les drones, les hélicoptères et les avions. C’est l’une des ambitions de la loi débattue à partir du 16 mars au Sénat.

Le système optronique actuel de la gendarmerie est le « Wescam MX-15 », de production canadienne. Mais d’ici les Jeux olympiques de 2024, qui se tiendront à Paris, les hélicoptères pourraient s’équiper de meilleures technologies, fabriquées cette fois-ci par l’industriel français Safran, chez lequel le secrétaire d’État au Numérique, Cédric O, a travaillé trois ans. Un détail.

Pour Martin Drago, ces partenariats publics-privés entre « patriotes de la surveillance » résultent de la volonté affirmée du gouvernement de créer un champion français de la sécurité.

« Dans les projets de surveillance, on voit toujours la sphère publique financer des entreprises privées. Pour rentabiliser leurs innovations, celles-ci les vendent aux collectivités. »

Plus ces outils conquièrent le ministère de l’Intérieur, plus ils encouragent les pratiques de surveillance et d’espionnage de la population. À chaque coup, ils finissent par être intégrés à la législation, parce qu’il faut bien protéger les forces de l’ordre qui les utilisent.

« C’est un schéma qui se répète tout le temps dans le domaine de la surveillance, analyse Martin Drago. Mais on oublie que quelque chose de légal n’est pas forcément quelque chose de bien ni de bon. La conséquence, c’est la normalisation. Aujourd’hui, les caméras fixes sont admises par tous. Est-ce si évident ? Si rien n’est fait pour freiner cette dynamique, on en arrivera à légaliser la reconnaissance faciale… »

Et ainsi de suite, jusqu’à imiter complètement les pires régimes.   

Crédit photo couv : Antonin Burat / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP. Paris (FRA), 21 mars 2020 – Un hélicoptère de la gendarmerie nationale tourne au-dessus de Paris, afin de faire respecter les consignes du confinement déclaré par le président Emmanuel Macron pour lutter contre l’épidémie de coronavirus.

Augustin Langlade

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