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« La loi Duplomb montre que nos vies n’ont pas de valeur aux yeux des politiques »

« Avec la loi Duplomb, ils ont appuyé sur le détonateur de la maladie, mais aussi sur la colère de la population. Il y a un élan. Ils pensaient pouvoir nous détruire en silence, mais ils nous unissent. »

Fleur Breteau, atteinte d’un deuxième cancer du sein, a fondé le collectif Cancer colère. Si la loi Duplomb a été adoptée le 8 juillet après un ultime vote à l’Assemblée nationale, sa lutte contre les pesticides et pour la protection du vivant ne fait que commencer.

LR&LP : Qu’est-ce qui vous a conduit à fonder Cancer colère ? 

Fleur Breteau : J’ai eu un premier cancer du sein il y a quatre ans. A ce moment-là, des personnes très proches ont aussi développé des cancers. On a commencé à appeler ça le Cancer Comedy Club.

Le jour où l’on m’a diagnostiqué mon deuxième cancer à l’autre sein, le 30 août 2024, un de mes plus proches amis, Nicolas Krameyer, un grand défenseur des droits humains, est mort d’un cancer généralisé. Le Cancer Comedy Club, ce n’était plus possible.

Le texte de la loi Duplomb tombe au moment où je commence la chimiothérapie, je m’y intéresse un peu et me rends compte que c’est un texte horrible. Je lis aussi plein de chiffres sur les cancers publiés par Santé publique France qui résonnent très fort en moi.

Je viens d’avoir 50 ans, à l’hôpital, je m’attendais à être l’une des plus jeunes et j’ai vu des enfants, des adolescents, des étudiants… Je me retrouve dans les salles d’attente avec des femmes souvent plus jeunes que moi, je vois des mères seules avec des enfants en bas âge.

Voir des sénateurs adopter la loi Duplomb, affirmer que les néonicotinoïdes ne sont pas si toxiques, et que l’on guérit du cancer, a tout déclenché. « Cancer colère » est né.

Il y a eu un écho incroyable parmi les patients. C’était magnifique ! En particulier auprès des femmes. J’ai remarqué qu’elles ont une conscience plus aiguë que les hommes du lien entre le cancer et l’empoisonnement de notre environnement.

Au final, on s’est retrouvés à être une vingtaine, des ex-malades, des malades et des futurs malades, avec l’envie de diffuser notre parole, d’exprimer notre colère et de politiser le cancer.

Fleur Breteau, fondatrice du collectif Cancer Colère

LR&LP : Vous étiez présente à l’Assemblée nationale lors de l’adoption définitive de la loi Duplomb avec d’autres collectifs. A l’issue du vote, vous avez crié à l’attention de ceux qui ont voté pour cette loi « Vous êtes les alliés du cancer et nous le ferons savoir ». Que s’est-il passé pour vous à ce moment-là ?

Notre présence n’a pas empêché des discours ahurissants. A l’Assemblée nationale, les gens ont le droit de mentir comme des arracheurs de dents, cela m’a beaucoup choquée.

La loi Duplomb est un détonateur qui va mécaniquement engendrer des milliers de malades à leur insu. Comment ces parlementaires de droite et d’extrême-droite peuvent s’exprimer avec un tel mépris pour toutes ces personnes ? C’est d’une irresponsabilité très violente. Je pense qu’ils ont perdu le sens de leur rôle. Ils devraient être destitués.

Quelques minutes avant le vote, je me dis que c’est à la société civile de conclure et que je suis la seule à pouvoir prendre la parole, car la seule à avoir la tête du cancer. Je ne pensais pas que la scène serait filmée.

Elle a généré encore plus de messages, de témoignages, d’envie de nous soutenir. Des agricultrices et des agriculteurs aussi. Des ouvrières et des ouvriers agricoles. C’est important de le dire.

On lutte contre une politique, pas contre les agriculteurs. On veut porter leur parole, on se préoccupe de leur santé, de leurs enjeux. On les a écoutés. Certains sont en colère, d’autres portent la honte et la responsabilité de se dire qu’ils participent à ça. Alors qu’ils sont victimes du système.

LR&LP : Vous faites le choix d’avoir « la tête du cancer » en ne portant ni perruque ni foulard. Pourquoi ?

Je porte une parole de malades qui décident de ne plus avoir honte de leur cancer et qui décident d’afficher leur cancer pour le politiser.

Le cancer détruit des vies. Les sénateurs, les ministres parlent du cancer comme si c’était un objet. Mais non, c’est une épidémie, c’est ce que disent les médecins et les chercheurs. Et les causes sont politiques.

On veut porter cette parole politique, dénoncer les causes qui sont à la fois l’usage complètement hasardeux des pesticides, mais aussi la problématique des inégalités sociales. Quand on vit à côté de sites industriels chimiques ou de grandes cultures céréalières et qu’on n’a pas les moyens de déménager, on est contaminés qu’on le veuille ou non.

Les médecins nous disent qu’ils n’ont jamais vu autant d’enfants et de jeunes malades.

C’est un mécanisme de destruction méthodique de nos vies. Si le gouvernement se préoccupait un minimum de la vie des gens, il n’aurait pas mis sous tutelle l’Anses deux jours après le vote de la loi Duplomb.

Manifestation contre la loi Duplomb – Crédit : Cancer Colère

LR&LP : Comment imaginez-vous la suite pour Cancer Colère ?

Ce vote montre que nos vies n’ont pas de valeur. C’est à la société civile de se mobiliser. On va se battre au nom de ceux qui ne le peuvent pas. Des antennes Cancer colère vont se créer partout en France.

Avec la loi Duplomb, les politiques ont appuyé sur le détonateur de la maladie, mais aussi sur la colère de la population. Il y a un élan. Ils pensaient pouvoir nous détruire en silence, mais ils nous unissent.

Il va falloir lutter contre cette loi, il va falloir qu’on la fasse abroger. Les parlementaires vont déposer un recours devant le Conseil constitutionnel et, nous, avec plein d’autres collectifs, on va se mobiliser. Notre sentiment d’impuissance se transforme en énergie, c’est galvanisant, puissant.

La lutte a des vertus thérapeutiques. J’ai l’impression que je suis en train de détruire des métastases en me mobilisant et en rencontrant toutes ces personnes. Avec la lutte, la peur est mise de côté.

On a conscience que la lutte ne va pas être simple, il faut du temps. Actuellement, on porte une pétition avec Franck Rinchet-Girollet, porte-parole d’Avenir Santé Environnement (ASE), qui demande l’arrêt de l’utilisation des pesticides de synthèse.

Un temps fort nous attend à l’automne avec la publication de l’étude PestiRiv, lancée en 2021 par l’Anses et Santé publique France, sur l’exposition aux pesticides des personnes vivant en zones viticoles. Les résultats devaient être publiés en 2024, mais le gouvernement a reporté la publication pour ne pas peser sur le vote de la loi Duplomb.

Aux Antilles, plus de 95 % de la population est contaminée au chlordécone et les sols pourraient être pollués pour les 4 000 à 10 000 ans à venir. C’est ce qui est en train d’advenir en métropole si on ne fait rien.

LR&LP : Selon vous, la création d’un registre national du cancer, acté fin juin, va-t-elle permettre d’en savoir plus sur les causes du cancer ?

En Charente-Maritime, les données sur les cancers révèlent des foyers de cancers pédiatriques, on connecte les maladies avec les causes environnementales.

Les chiffres parlent contre les politiques. Le registre national devrait aider à constater les dégâts, en apportant des données factuelles sur les causes environnementales du cancer.

LR&LP : Au-delà de l’impact des pesticides sur les humains, vous vous inquiétez également de la destruction du vivant.

Quand on voit la destruction silencieuse du vivant en cours, il faut qu’on s’interroge sur notre condition d’être humain. Qui est-on pour couper un arbre qui était là 300 ans avant nous ? Comment peut-on s’imaginer vivre dans un monde où il n’y a que des cultures céréalières bourrées de pesticides ?

Je suis malade comme les arbres sont malades, comme les abeilles sont malades. Je suis visée comme les blaireaux et les renards. On est des indésirables en fait.

Le discours « vous allez guérir du cancer » n’est pas une promesse suffisante. Je n’ai pas envie de vivre dans un monde sans arbre de 300 ans, dans un monde où les fleurs brûlent à cause des canicules, dans un monde où les tomates ne se développent pas car il fait 35 °C, dans une nature silencieuse où il n’y aura plus rien de vivant.

Cela me terrifie alors que notre vie est connectée au vivant. Ces gens qui ont voté la loi Duplomb ont-ils des moments de contemplation ? Sont-ils émerveillés par un arbre ? Par l’océan ?

A Cancer colère, on souhaite, par le prisme de la santé, mobiliser le plus de monde possible, et être les porte-parole des bourdons, des lombrics, des hirondelles, des arbres. Le prisme de la santé est mobilisateur, mais on veut aussi défendre le vivant.

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Charlene Catalifaud

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