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« La jurisprudence Macron » : quand les élus accusés de corruption restent au pouvoir

Probité : qualité de quelqu’un qui « observe parfaitement les règles morales, qui respecte scrupuleusement ses devoirs, les règlements », dictionnaire Larousse

Anticor est l’une des trois seules associations françaises disposant d’un agrément lui permettant de se porter partie civile dans des dossiers de justice politico-financiers, et donc d’attaquer nos élus en justice lorsqu’ils sont soupçonnés de corruption. A l’occasion des 20 ans de l’association et du lancement de la Journée mondiale de la Probité, nous avons interrogé sa nouvelle Directrice Générale, la Docteure en droit et Chercheuse associée au CERRCLE Béatrice Guillemont, sur les enjeux en matière de probité de l’Etat de Droit Français.

LR&LP : Le sentiment général de la population est plutôt défiant envers les politiques à cause de tous les scandales ayant éclaté ces derniers temps. Lors du précédent quinquennat seulement, une quinzaine des ministres et membres de cabinet d’Emmanuel Macron ont été entendus ou directement visés dans des affaires ou enquêtes judiciaires. De la même façon, au moins dix-huit députés membres ou ex-membres de « La République en Marche » – ce parti qui devait « remoraliser » la vie publique – ont fait l’objet d’une plainte, d’une enquête judiciaire, d’une mise en examen ou d’une condamnation. En 20 ans, avez-vous assisté à une évolution positive ou négative de la probité des élus ?

B.G : D’un point de vue purement scientifique, c’est difficile de dire s’il y a plus ou moins de corruption qu’avant, car elle est par principe opaque et dissimulée. Ce sont des phénomènes cachés aux yeux de la population. Par contre, un travail de transparence est fait par les médias, ensuite par les chercheurs qui travaillent dessus, et les médias participent à nourrir le mécanisme de la scandalisation de l’opinion publique.

Pour lutter contre la corruption, il faut que les faits soient portés à la connaissance du public, ce dont se chargent les médias. A partir du moment où le scandale crée de l’indignation, les responsables publics se mobilisent et adoptent des lois par effet de ricochet. On a eu l’exemple des deux lois ordinaires et organiques du 11 octobre 2013 suite à l’affaire Cahuzac, il y a eu la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique après les révélations concernant le candidat à l’élection présidentielle François Fillon, qui expliquait lui-même qu’il fallait faire preuve de probité, ça s’entraîne.

Il y a aussi une exigence plus fine des citoyens à l’égard de ces sujets. Par exemple, FranceBleu a fait une enquête citoyenne en décembre 2020, « Ma France 2022 », qui a dévoile que la lutte contre la corruption des élus fait partie des principales préoccupations des français. Ce qui est une certitude, c’est que l’abstentionnisme croissant n’est pas en lien avec la dépolitisation des français. Les français sont particulièrement politisés et mobilisés, notamment la jeunesse qui maintenant va moins voter mais est active par d’autres moyens, à travers le militantisme que ce soit dans la rue ou sur les réseaux sociaux. C’est devenue un sujet de société propre à la République française.

Dire que la corruption a augmenté, scientifiquement on ne peut pas l’établir, mais l’inquiétude de la population est là.

Chaque révélation entraîne la scandalisation, l’indignation puis l’opprobre publique, les pouvoirs publics se sentent dès lors tenus par un devoir moral à adopter des mesures plus strictes, et ainsi le droit évolue. Consécutivement, la connaissance des citoyens en matière de probité augmente et parallèlement il y a un phénomène d’acculturation à des sujets relatifs à la corruption.

Les faits de corruption connus sont alors combattus ou vont l’être, et de nouveaux faits vont apparaître. C’est un cycle.

Un exemple : celui des faits de harcèlement moral et sexuel des collaborateurs parlementaires. Il y a quelques années ce n’était pas un sujet, même si des associations de collaborateurs s’étaient déjà créées au sein des assemblées pour lutter contre ces agissements. Les sujets relatifs au mésusage des frais de représentation des parlementaires, autrement posé, de détournements de fonds publics, étant à ce moment davantage d’actualité car nouveau pour l’opinion publique.

Désormais mieux encadrés par le droit – même s’il demeure imparfait – de l’espace a été créé pour faire émerger celui du harcèlement au sein des deux chambres du Parlement. L’opinion publique en a pris connaissance par le biais des médias, et particulièrement des médias indépendants et d’investigation, et les citoyens attendent que des mesures, notamment punitives, soient prises pour que ces faits cessent.

La corruption quand elle est endiguée d’un côté, elle se déplace, car un esprit corruptible le restera toujours un peu. De la même manière, à chaque fois qu’on endigue un problème, un nouveau sujet va apparaître. Même si l’enchaînement de scandales peut être difficile pour l’état d’esprit de l’opinion publique, cette montagne de révélations est une bonne façon de résoudre et endiguer ces problèmes.

Un élément prouve qu’on cherche encore la boussole de la probité, c’est qu’en France il n’y a pas de police publique en matière de lutte contre la corruption alors qu’on a de nombreuses autorités administratives comme la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique, l’Agence Française Anticorruption, la Commission des Contrôles de Comptes de Campagnes, etc. On a plein d’acteurs et de déontologues. Avec la loi 3DS de Février 2022 on a même des déontologues pour les élus locaux. Le dispositif existant est vraiment pléthorique, mais on n’a pas de police publique nationale, comme un plan pluriannuel en matière de lutte contre la corruption et de promotion de la probité.

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LR&LP : Ces temps-ci, on a effectivement plutôt l’impression d’assister à un recul des usages en matière de probité. Nous avions la jurisprudence Balladur-Jospin où tout ministre ou membre du gouvernement mis en examen serait démis de ses fonctions au moins le temps que les affaires se règlent. Et avec Emmanuel Macron, on assiste à l’inverse. Même Dupont-Moretti, le ministre de la Justice et Garde des Sceaux, est mis en examen et reste dans l’exercice de ses fonctions pour la première fois dans l’histoire de la Vème République alors qu’il vient d’être envoyé début octobre face à trois juges indépendants qui vont devoir statuer. Pourquoi Anticor a-t-elle décidé de se porter civile dans cette affaire ?

B.G : L’instruction est terminée, il passe devant la juridiction de jugement. On utilisait l’expression jurisprudence BérégovoyBalladur, pour être exacte, et cette jurisprudence, un usage en fait, prévoyait que lorsqu’un membre du gouvernement était mis en cause pénalement, il doit quitter ses fonctions, c’est-à-dire démissionner. C’est un usage qui a été appliqué pendant longtemps et qui ne l’est plus à l’heure actuelle.

Béligh Nabli parlait dans l’Obs de « la jurisprudence Macron », qui vient faire écho à la non-application de la jurisprudence BérégovoyBalladur. Des dizaines de membres du gouvernement ont été mis en cause, et la plupart restent en fonction.

L’exemple le plus alarmant pour Anticor est celui de Dupont-Moretti, dont les poursuites ont été engagées par Anticor puis suivie par les deux associations de la magistrature. Il pèse sur lui des soupçons de prises illégale d’intérêts, un joli mot pour dire corruption, pour des faits relevant de sa fonction.

Même s’il y a présomption d’innocence, il faut bien comprendre qu’il est suspecté pour des faits qu’il a commis dans le cadre et grâce à l’exercice de sa fonction de Ministre de la Justice, là où Emmanuel Macron prétend que non. Anticor a demandé à ce qu’il démissionne, ou que le président de la république l’invite à quitter ses fonctions.

On appelle ça une jurisprudence, « un ensemble de décisions prises par des juridictions administratives ou financières ou civiles », mais là en l’occurrence c’est un usage, et un usage peut se défaire comme le fait Emmanuel Macron. Il faudrait donc adopter une règle qui contraindrait les membres du gouvernement en exercice à quitter leurs fonctions en cas de mise en cause pénale. Mais ce n’est pas le seul : il y a aussi Gérald Darmanin, et Alexis Kohler même s’il n’est pas membre du gouvernement, qui est secrétaire général de l’Elysée c’est-à-dire le plus haut fonctionnaire de France.

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LR&LP : L’affaire Sarkozy/Platini vient d’éclater autour de l’attribution de la coupe du monde au Qatar, qu’est-ce que cet événement nous dit de l’état de la démocratie et des liens qui vont s’imbriquer en terme de corruption, de démocratie et de géopolitique ?

B.G : Ce n’est pas vraiment une nouvelle affaire puisque les faits remontent à 2010. Durant un déjeuner à l’Elysée, le 23 novembre 2010, aurait potentiellement été scellé un pacte de corruption entre Michel Platini, Nicolas Sarkozy et les émirs qataris – le futur émir du Qatar présents et l’actuel émir du Qatar Tamim Ben Hamad Al Thani. Il y aurait eu également la présence de Sophie Dion, alors conseillère au Sport qui tient maintenant une chaire éthique du sport à la Sorbonne, ainsi que Claude Guéant. Un certain nombre d’accords concernant des intérêts sportifs et diplomatiques auraient été conclus lors de ce déjeuner.

Toutes les grandes rencontres internationales sportives entraînent des enjeux diplomatiques. On suppose que le Qatar se serait battu pour obtenir le mondial du Foot afin de rayonner davantage parce que le pays aurait peur de voir son sort scellé : en terme de dimensions, c’est l’équivalent de l’Ile-de-France, une toute petite Région de 40km2 et il ne voulait pas se faire effacer de la carte. Exister territorialement et diplomatiquement est donc un enjeu majeur pour ce pays. Les grandes rencontres sportives lui permettent d’exister sur le plan international et d’un point de vue diplomatique.

La raison pour laquelle Anticor s’est saisie du dossier Platini/Sarkozy, c’est parce que la Fédération Française de Foot – ses représentants en l’occurrence, Michel Platini, alors Président de l’UEFA et Vice-Président de la FIFA – et Nicolas Sarkozy, alors en exercice de ses fonctions comme président de la République, sont des personnes chargées de mission de service public et ce dossier-là les met directement en cause.

Ce dossier aurait participé à sceller ce pacte de corruption, qui comprend notamment le rachat du club du PSG, devenu effectif en 2011, appartenant à l’époque à l’un des proches de Nicolas Sarkozy, Sébastien Bazin. Car à l’époque le PSG allait mal, il perdait des millions d’euros. 

Il y aurait parmi les autres éléments du pacte, on en dénombre une dizaine, l’achat par le Qatar de Rafales, réalisé sous la Présidence de François Hollande. La création de la chaîne BeIn Sports, réalisée et propriété du Qatari Nasser Al-Khelaïfi, également devenu propriétaire du PSG, pour venir concurrencer Canal qui avait historiquement les droits TV pour les coupes du monde de foot. Le recrutement de Laurent Platini, le fils de Michel Platini. La montée de l’actionnariat des qataris dans le groupe Lagardère.

Le tout aurait été convenu  en échange d’une promesse : que Michel Platini ne donne finalement pas sa voix aux États-Unis, ce qui était semble-t-il son intention initiale, mais au Qatar.

Il y aurait même éventuellement des retours d’ascenseurs : s’est posée la question de savoir si l’attribution de l’Euro 2016 de Foot à la France n’a pas été une réciprocité de l’attribution du mondial au Qatar. La justice suisse et américaine se sont également saisies de cette affaire. La justice américaine a établi une estimation de 150 millions de dollars de pots de vin sur plusieurs coupes du monde : cela serait un haut lieu de la corruption pour ceux qui représentent les pays dans les enjeux sportifs.

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LR&LP : Est-ce que la lenteur des procédures judiciaires n’est parfois pas un frein pour condamner les élus ? Je pense particulièrement à Richard Ferrand, ancien Président de l’Assemblée Nationale, qui avait été mis en examen dans l’Affaire des Mutuelles de Bretagne et dont la prescription des faits vient d’être confirmée.

B.G : Une affaire qui nous a beaucoup marquée est celle de l’affaire de la chaufferie de La Défense, dans laquelle Anticor est partie civile, une affaire politico-financière française impliquant le maire de Puteaux (Hauts-de-Seine) Charles Ceccaldi-Raynaud (1925-2019). Le juge a abandonné au moment où le procès devait avoir lieu, car cela faisait 20 ans que l’affaire durait, il y avait même un des prévenus qui était décédé à l’âge de 94 ans.

Effectivement, en France les procédures sont parfois très longues, notamment en raison du manque de moyens de la justice. La France et les magistrats français sont très peu dotés en comparaison d’autres pays démocratiques européens comme l’Allemagne.

Faute de moyens ils font comme ils peuvent et ils sont surmenés. Au Parquet National Financier, ils ont à peu près 600 dossiers, soit 50 par magistrat, sachant qu’ils co-supervisent à 2 procureurs donc 100 dossiers par personne, cette charge de travail est inhumaine.

Le temps faisant son œuvre, des preuves disparaissent soit parce qu’on les a détruites ou bien cachées, comme le coffre d’Alexandre Benalla qui a disparu ; soit parce que le temps altère les éléments de preuve. Les témoins décèdent, les victimes aussi, donc ça ralentit la lutte contre la corruption voire ça la rend inefficace. Quand on est quasiment sûrs des faits qui font l’objet d’une poursuite et que celle-ci finit par être abandonnée, c’est pour nous un sentiment d’inachèvement.

LR&LP : Comment dépasser cet état de faits qui donne le sentiment à la population française qu’il y un statut d’impunité pour les personnalités politiques ?

B.G : Avec Anticor, en se constituant partie civile, on a la possibilité de pousser des procédures, on peut aussi directement solliciter des parquetiers pour leur demander où en sont les procédures grâce à notre agrément. Cet agrément est vraiment précieux pour l’ensemble des citoyens français, car il permet de la lutter contre la corruption et donc de préserver notre État de droit.

Si la préoccupation première des français est la lutte contre la corruption, il faut aussi défaire certaines mesures adoptées telle que la loi de février 2017 – relative à la prescription des infractions opaques et dissimulées – qui est venue rallonger certains délais de prescription de ces faits, de trois à six ans désormais, tout en ajoutant une date butoir de 12 ans. La conséquence de cette réforme pénale, c’est qu’au-delà de 12 ans, aucune poursuite n’est possible, or par principe la corruption est opaque est dissimulée, c’est une hérésie. Le droit de la probité avance, mais recule aussi parfois.

Il faut donc non seulement faire adopter des mesures qui permettent de renforcer la lutte contre la corruption, mais il faut également défaire certaines mesures qui viennent porter préjudice à cette lutte-là.

Pour aller plus loin : Anticor, l’association anticorruption qui dérange les dirigeants politiques français

Crédit photo couv : Amaury Cornu / Hans Lucas via AFP

Laurie Debove

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