En ce début d’été, deux journalistes de La Relève & la Peste se sont embarqués dans un tour de Bretagne à vélo. L’objectif de cette itinérance : partir à la découverte d’initiatives autour des low-tech. Les low-tech ? Ce sont – pour reprendre la définition du Low-tech Lab, qui fait référence en la matière – des technologies à la fois utiles, accessibles et durables, donc particulièrement adaptées aux enjeux actuels. C’est aussi une véritable philosophie de vie, puisqu’en réfléchissant sur l’impact environnemental des outils du quotidien, il s’agit de repenser sa manière de vivre d’un point de vue global. C’est enfin un concept émergent, qui prend de plus en plus d’ampleur, et suscite déjà un vif enthousiasme et de nombreux débats. Une aventure de Marine Wolf & Elouan Ameline.
Quatrième étape : la low-tech comme levier de solidarité internationale
Le café fume dans les tasses, les rayons d’un soleil encore timide se faufilent entre les branches tandis que les oiseaux chantonnent déjà. Nous prenons le petit-déjeuner sous les arbres en compagnie de Vincent et Soizic Bourges.
Un peu plus loin, d’apprentis-bricoleurs s’activent autour d’établis où des planches de bois attendent d’être assemblées. Ils participent à une formation proposée par Inti pour fabriquer son propre séchoir solaire. Nos compagnons de table, tous deux investis au sein de l’association depuis plus de 15 ans, nous racontent son histoire.
« Inti est le nom du dieu soleil en Quechua », commence Vincent Bourges. « L’association est née en 1999. Son idée était de diffuser des cuiseurs solaires auprès de populations défavorisées. Il y a 4 millions de morts par an à cause des fumées de cuisson. C’est gigantesque, et c’est un sujet dont personne ne parle. Il faut imaginer que les femmes cuisinent dans la pièce commune, elles peuvent avoir leur enfant dans le dos en étant juste au-dessus du feu. Toutes les suies et les fumées de cuisson arrivent dans les poumons et dans les yeux, c’est un vrai fléau ».
Par ailleurs, un grand nombre d’entre elles passent plus de 4 heures par jour à aller chercher du bois pour cuisiner. À cela s’ajoute la diminution du risque d’incendie dans la maison, puisqu’une cuisson au bois implique de toujours surveiller le feu.
« Le fait de pouvoir cuisiner avec le soleil est un gros avantage pour ces gens-là qui voient tout de suite l’intérêt à la fois pour la santé et pour le temps gagné », note Vincent Bourges.
Souveraineté économique
L’histoire d’Inti commence donc par la diffusion de cuiseurs solaires en Bolivie auprès de populations locales. Basée à Nantes, l’association compte aujourd’hui 700 adhérents et accompagne des projets dans plusieurs pays d’Afrique et de la Cordillère des Andes. En 20 ans, 41 000 cuiseurs solaires ont été diffusés.
« On agit par exemple en partenariat avec des associations locales en Bolivie et au Pérou, qui connaissent le contexte et les partenaires. Elles organisent des stages de construction et de formation pour apprendre à se servir des cuiseurs. Les stagiaires repartent à la fin des quelques jours de formation avec un cuiseur solaire », explique Soizic Bourges.
« Avec des outils comme le four solaire, les femmes peuvent faire de la confiture, de la nourriture de rue pour en vendre à Lima ou à La Paz. Ou encore déshydrater des fruits et légumes », énumère Vincent Bourges.
Un usage particulièrement adapté en Bolivie, qui connaît régulièrement une surproduction de mangues. Dû au fait que toutes les mangues cultivées par les productions familiales arrivent à maturité en même temps, ce phénomène provoque régulièrement une chute des prix.
« Les séchoirs solaires permettent de ne pas perdre les fruits. En les transformant directement sur place, les habitants retrouvent une certaine souveraineté par rapport à leur économie familiale », note le formateur. « Je suis allé en mission il y a trois ans à la Paz, et j’ai rencontré des familles qui avec leur cuiseur solaire généraient 800 bolivianos par mois, soit un demi SMIC. Juste en coupant des légumes. En Bolivie, c’est une grosse somme, qui peut permettre de sortir de l’extrême-pauvreté ».
S’intégrer dans le quotidien
En France, Inti crée des partenariats avec des structures locales afin que chacun et chacune puisse s’approprier facilement ces outils.
« Il s’agit de partenariats techniques et financiers, basés sur la volonté des équipes locales, qui font appel à l’expérience de l’équipe de Nantes », précise Soizic Bourges.
« Tout est fabriqué sur place, le principe est que l’équipe locale réadapte la formation, avec le bois et le verre qu’elle trouve », complète Vincent Bourges. « S’il y a d’autres organisations qui veulent porter des stages de fabrication, les plans sont disponibles sur internet. L’idée c’est que ça se diffuse ».
À l’image de la plupart des autres outils low-tech, les technologies diffusées par Inti nécessitent d’être adaptées au contexte de chaque région afin de s’intégrer dans le quotidien de leurs utilisateurs.
« Avec un cuiseur solaire on ne se dit pas : tiens il est midi, qu’est ce que je vais manger ? », remarque Soizic Bourges. « Comme le temps de cuisson est deux fois plus long qu’un four classique, il faut anticiper. Au Chili, les adultes font la cuisine avant de partir au boulot, et les gamins se servent dans la cuisine quand ils rentrent le midi, ou plus tard. Le plat est toujours chaud, et il ne ne crame pas. Par contre chez nous, il faut être sûr qu’il y ait du soleil toute la journée ».
Le séchoir solaire remporte en revanche un franc succès en France.
« Il y a une grosse demande de jardiniers amateurs et des gens qui font de la récup’ d’invendus alimentaires. Ils se retrouvent avec de grandes quantités de fruits et légumes à déshydrater ».
Plus récemment, Inti s’est mis à mener des actions en Afrique.
« On intervient au Maroc, au Bénin, en Guinée », énumère Soizic Bourges. Dernièrement Inti a développé le séchoir solaire au Maroc pour les groupements de femmes. Elles nous ont appris que pour faire le couscous, elles façonnaient les granules avec de la farine de l’eau, et les faisaient sécher au soleil durant plusieurs jours. Avec le séchoir, en 4 heures c’était bon, cela a été une bénédiction ! »
Améliorer les conditions de vie des personnes les plus pauvres, simplifier le quotidien, répondre à des problématiques de gaspillage alimentaire, le tout en luttant contre le réchauffement climatique… Les multiples potentialités de la low-tech ne cessent de nous surprendre. Cependant, nous n’avons jusqu’à présent rencontré des acteurs que dans un contexte rural. Nous reprenons notre voyage avec en tête une nouvelle interrogation : comment la low-tech peut-elle s’intégrer en milieu urbain ?
Retrouvez les précédents épisodes de l’aventure à vélo de Marine et Elouan :
Épisode 1 : Récup’ et sobriété : les low-tech font leur festival
Épisode 2 : Après 6 ans d’expédition, le voilier-labo des low-tech est rentré en France
Épisode 3 : En Bretagne, des écolieux créent du lien entre habitants grâce aux low-techs